L'autoroute, ce n'est vraiment pas ma tasse de thé. Quoi de pire à proposer à un motard qu'un ruban routier sans virages! Je l'emprunte quand je n'ai pas le choix. C'est le cas ce jeudi 19 septembre 2019. Je quitte mon bureau et enfourche ma Honda. Le programme du week-end est le suivant: assister à l'épreuve du Bol d'Or. J'ai quatre jours de liberté qui m'attendent C'est donc l'esprit léger que je franchis la barrière du péage. C'est l'occasion pour ma nouvelle moto de découvrir ce mode de déplacement certes rapide, mais surtout ennuyeux et coûteux. Pour ma part, j'ai quand même envie de savoir comment elle va s'y comporter.
Grâce au rallongement de la démultiplication, mon régime de croisière sera limité à 6000 tours/minute correspondant désormais à une vitesse de 132 km/h pour 124 affichés.
A cette vitesse, la moto garde son excellente et rassurante stabilité. Je note assez rapidement que le pare-brise présente une bonne protection contre le vent au niveau du casque, mais beaucoup moins au niveau des bras et épaules. C'était prévisible vu sa faible largeur. Si j'étais un consommateur d'axes autoroutiers, j'envisagerais peut-être l'achat d'une bulle haute plus large.
Pour rompre l'ennui qui me gagne, je quitte la quatre voies avant Toulouse. Capens, Saint Sulpice sur Lèze, Lagrâce-Dieu, Auterive, Nailloux et je rejoins de nouveau l'autoroute à Villefranche de Lauragais. Cinquante kilomètres qui font du bien et qui confirment que le pneu Bridgestone sied à râvir à ma Honda. Très sécurisant, il me donne parfois envie d'en rajouter une couche dans l'angle pris, c'est bon signe!
A Villefranche de Lauragais, je fais le plein afin de vérifier la consommation en cas d'utilisation uniquement autoroutière, ce qui va être le cas dorénavant.
Les kilomètres défilent et je parviens à profiter de ce moment. Le soleil est de la partie et la lumière est belle alors que la nuit ne va pas tarder à arriver. Carcassonne se dévoile sur ma gauche, la montagne d'Alaric sur ma droite. Je double, je me fais doubler, je regarde les nombreux camions, souvent étrangers, dont les plaques d'immatriculation me font voyager, je constate l'aberration de ces trop nombreux SUV dont l'intérêt me semble inexistant. Plus lourds, plus hauts, consommant plus, plus chers, je pense que, dans quelque années, on les regardera comme une catégorie de voitures aberrante à une époque où la priorité aurait dû être donnée à la protection de notre planète dans TOUS les domaines.
Narbonne. Il est temps de m'arrêter pour une nuit réparatrice.
Vendredi. Petit déjeuner à 7 heures, départ à 8 heures. Le temps est toujours agréable et ma moto se révèle reposante. Vibrations contenues, position de conduite naturelle, selle n'agressant pas mon fessier et très bonne stabilité même quand le vent s'invite parfois. Mes Transalp 600 aimaient beaucoup moins les assauts de Monsieur Eole.
Je fais le plein après 342,4 kilomètres parcourus. 12,78 litres suffisent, soit une consommation moyenne de 3,73 litres aux 100! Toujours aussi frugale, ma petite Honda. Le résultat correspond à celui relevé par Moto Magazine lors de son intéressant essai comparatif en mai 2019.
Chaque passage à la barrière de péage me réconcilie avec les autoroutes. Sur la droite, il y a une voie dédiée aux motards qui peuvent passer sans bourse délier! C'est suffisamment rare pour être signalé. Opération destinée à ce que la majorité des motards en partance pour le Bol d'Or emprunte l'autoroute beaucoup moins accidentogène que la route.
Les derniers kilomètres sont parcourus sur une route sinueuse. Il commence à y avoir de nombreux motards que je trouve plutôt sages; cela change des années 80 où beaucoup dégoupillaient à l'approche du circuit. Les deux seuls que j'ai vus rouler à fond, c'étaient deux motards de la police croisés alors qu'ils enquillaient plein angle une épingle au guidon de leur Tracer 900! C'était beau à voir mais pas très raisonnable, Messieurs!
Sur le circuit, je retrouve mon concessionnaire. Cette année, Philippe a décidé de sortir sa vieille RC 30 qui prenait la poussière au grenier pour participer au Bol d'Or Classic, épreuve réservée aux machines d'avant 1992. La dernière fois qu'elle avait couru au Bol d'Or, c'était il y a vingt-six ans.... Depuis quelques semaines, je la voyais, au fond de l'atelier, reprendre vie avec l'aide précieuse de Francis.
Elle est superbe dans sa livrée orange, en hommage à la Honda CB 750 Four qui avait gagné les 200 Miles de Daytona en mars 1970 alors que cette moto aujourd'hui mythique commençait sa carrière commerciale. Philippe me décrit les dernières péripéties avec, notamment, la découverte d'une branche (!) dans le robinet de réservoir qui empêchait une bonne arrivée de l'essence.
Philippe et Marc, son coéquipier, abordent l'épreuve avec une certaine décontraction pour ne pas dire une décontraction certaine! L'unique but semble être de se faire plaisir tout en allant jusqu'au bout des quatre heures de l'épreuve (deux heures ce vendredi soir courues de nuit et deux heures demain matin).
Leur course se déroule comme dans un rêve. Le sourire ne les quitte pas, on sent qu'ils se font plaisir; le staff de Honda France est venu avant le départ les encourager. A la fin de son relais, Philippe semble aux anges, je sens qu'il prend un pied énorme à piloter cette Honda sur ce circuit mythique. Il apprécie même les dépassements des plus rapides, admirant les trajectoires en sa qualité de spectateur privilégié au guidon! Une petite alerte survient; ce qui aurait pu être une panne d'essence se révèle être un robinet de réservoir farceur qui se ferme au fur et à mesure des tours sous le pression du vent ou des vibrations. La course se termine, les pilotes sont heureux et leur entourage l'est tout autant. C'est chouette une course sans aucune pression où seul le plaisir a droit de cité.
Samedi matin, après une courte nuit, j'assiste à la deuxième manche qui se déroule au petit matin. J'adore le bruit rauque de la RC 30 qui contraste avec les hurlements des quatre cylindres en ligne des autres firmes japonaises. Il donne l'impression de tracter sans forcer dans la longue ligne droite du mistral.
Fin de la course. On se retrouve sous l'auvent, on discute, je suis invité à manger alors que la pluie annoncée commence à tomber. On doit moins rigoler du côté des concurrents du Bol d'Or traditionnel. Un groupe passe devant l'auvent au guidon de très belles Honda me rappelant quelques souvenirs de jeunesse.
Le Bol d'Or débute sous la pluie et, très vite les pace cars sont de sortie. Plus tard, c'est la stupeur, la course est suspendue à 18 heures pour cause de piste dangereuse. L'eau a du mal à s'évacuer et les risques d'aquaplanning à plus de 300 km/h convainquent la direction de course à prendre cette sage décision. Douze heures d'interruption, du jamais vu!
Tôt le matin, la course reprend. J'assiste à un relais de "mon" pilote Alex Sarrabayrouse qui a fait du chemin depuis ses débuts. Je le trouve d'ailleurs plus incisif qu'avant, notamment dans les dépassements d'attardés. C'est propre et rapide. C'est d'ailleurs la réflexion que je me fais. A tous les niveaux, ça va fichtrement vite, il faut un très bon niveau pour assurer tous ces relais. Bravo les pilotes!
Je ressens de l'humidité dans l'air, ce qui semble confirmer les prévisions pessimistes de la météo nationale, et décide de quitter le circuit avant la fin de la course. Je n'ai pas très envie de me retrouver avec la foule lors du départ. Le temps est incertain mais j'évite la pluie jusqu'à Arles où elle fait une brève apparition. La nuit a été courte et j'ai toute la journée de demain pour rentrer à la maison et je me pose à Nîmes juste avant l'arrivée d'un véritable déluge. C'est mon jour de chance!
Lundi matin, départ de bonne heure. A Narbonne, j'abandonne le morne ruban autoroutier. Je sais que le titre de l'article est "La Honda CB 500 X et l'autoroute" mais je n'ai pas pu résister à l'appel des routes départementales. J'examine ma carte Michelin et je suis mon instinct en empruntant une petite route qui doit me permettre de rejoindre Quillan.
Bonne pioche! C'est beau, désert, sinueux au possible avec toutes les variétés de virages qui s'offrent à moi. De temps en temps, je traverse de beaux petits villages qui calment le rythme. Car ce dernier augmente dans de telles conditions. Ma moto excelle sur un tel terrain et je me régale à pencher et pencher encore, à soigner mes trajectoires, à multiplier les rétrogradages rapides et doux, à écouter le bicylindre manifester sa joie. Du bonheur, rien que du bonheur!
La partie cycle révèle une fois de plus ses immenses qualités tant elle est évidente, facile, efficace, jouissive. Le pneu arrière est lui aussi à l'honneur tant il donne un sentiment de sécurité total. Il est vraiment très bien adapté à ma Honda.
Mon étape du jour prend une autre dimension, je sais que le plaisir ne va plus me quitter.Plus tard, j'attaque la montée au dessus de Quillan où je rattrape deux Anglais au guidon de leur Yamaha FJR 1300. Je n'ai pas envie de baisser de rythme, je me sens tellement bien, concentré. Est-ce l'euphorie du moment, je trouve que mon moteur "pédale" bien, comme s'il était maintenant complètement libéré après ses premiers 12 000 kilomètres.
Après Saint Paul de Jarrat, deux possibilités s'offrent à moi. Rejoindre Foix ou aller à Tarascon sur Ariège d'où je pourrai me diriger sur Massat via le col de Port. Devinez quel est mon choix? Gagné! J'opte pour la montagne. La route est bien bosselée et, miracle d'une journée à part, ma suspension arrière me parait moins "revendicative" à la détente. La moto est moins secouée et je peux rester sur ma bonne rythmique.
Côté moteur, quand j'ai besoin ou envie d'en rajouter une louche, je reste au dessus de 4000 tours/minute, régime à partir duquel le bicylindre s'exprime avec vigueur; pas besoin d'aller au delà de 6000 tours/minute, le moteur est suffisamment coupleux dans cette plage de régime pour emmener l'ensemble à bonne allure.
Je poursuis donc cet hymne à la joie version mécanique en me délectant de cette faculté de la moto à s'inscrire dans les virages les plus serrés avec une facilité déconcertante. Peu importe que la nature du virage ne se dévoile qu'au tout dernier moment, il est si facile de mettre de l'angle, de freiner en courbe, de rétrograder, tout coule de source et c'est un véritable bonheur à la conduite .... au pilotage plutôt dans ces enchaînements. A aucun moment, je n'ai eu le sentiment de perdre un tant soit peu la maîtrise de ma machine.
Je conserve ce tempo dynamique jusqu'à Saint Gaudens où je dois me résoudre à rejoindre l'autoroute. C'est bien beau, les chemins détournés, mais cela fait oublier l'heure et il est temps pour moi d'arriver à Pau.
Je me stabilise de nouveau à 6000 tours en 6ième pour achever rapidement les 120 kilomètres qui me séparent de Pau.
Résultat probant: ma Honda a passé haut la main l'épreuve autoroutière, bien aidée par son pignon de 16 dents. Ce dernier m'a permis de rester à un régime pas trop élevé et donc d'éviter une zone de vibrations qui aurait pu s'avérer désagréable à la longue.
Mais, et je le savais déjà, elle s'en sort nettement mieux sur les routes sinueuses; cela tombe bien, moi aussi!