Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'envol (tome 2) - chapitre 27

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Chapitre 27

Le sol cessait enfin de renvoyer la chaleur accumulée tout au long de la journée. Le groupe était réparti sur les tapis posés sur le sol sablonneux et pierreux. C’était la fin du repas, une énorme soupe qui avait mijoté doucement, pendant que la discussion s’installait. Chris avait beaucoup de mal à se faire comprendre mais, il improvisait un langage des signes soutenu par des dessins sur son petit carnet lui permettant de communiquer avec ses hôtes.

De toute façon, cela ne le gênait pas de rester silencieux ; au contraire, il aimait ces moments pendant lesquels il n’était que spectateur. Il s’amusait à essayer de saisir le sens de la conversation, riait parfois, en même temps que les hommes et femmes réunis près des tentes du campement.

Il régnait une atmosphère de recueillement. Ibrahim, le jeune berger, lui avait fait comprendre que sa grand mère était décédée, une semaine auparavant. Il n’y avait pas vraiment un air de tristesse qui planait au dessus du groupe, mais Chris ressentait fortement que la vieille femme était encore présente dans les esprits. Il avait l’impression, parfois, que les gens évoquaient son souvenir, les moments passés en sa compagnie.

Il avait installé sa tente légèrement en retrait du campement. Plus tard dans la soirée, il alla chercher son accordéon.

La vue de son instrument provoqua quelques réactions ; il dut le montrer en détaillant son mode de fonctionnement. Certains semblaient connaître ce type d’instrument mais Chris supposa que c’était une denrée rare dans cet endroit isolé du Sinaï.

Il tendit son bras vers le ciel en essayant de faire comprendre qu’il voulait jouer en hommage à la vieille dame disparue. Il perçut l’approbation et commença à tirer sur le soufflet. Il joua des airs remplis de nostalgie, des ballades douces. Les airs se succédaient naturellement. Il avait le sentiment d’intégrer le groupe au fil de cet instant musical. Il leva la tête et laissa son regard se perdre dans le ciel étoilé. Il sentit ses yeux s’embuer et quelques larmes glissèrent le long de ses joues. Il se sentit troublé par cette émotion visible mais continua de jouer. La grand mère était là, auprès d’eux, et il l’imaginait heureuse de cette soirée dont elle devenait le personnage principal.

Il fit courir avec douceur ses doigts sur les boutons de nacre, retenant son soufflet pour limiter le volume sonore de l’instrument.

Cette inconnue disparue devenait un peu plus présente à chaque note jouée. Elle remplissait ce lieu désertique et aride, lui donnait de la vie, de l’amour.

La nuit était bien avancée quand chacun regagna sa tente. Le silence s’installa autour du campement, rythmé par le bêlement des chèvres.

Chris sortit son sac de couchage et s’étendit. Les bras repliés derrière la nuque, il regarda le ciel étoilé ; il pensa longuement à cette vieille dame qu’il aurait aimé connaître, essaya d’imaginer sa vie de nomade dans cette société moderne. Au fil de son voyage, il s’était souvent attaché à des personnes rencontrées brièvement, mais c’était la première fois qu’il éprouvait un tel sentiment pour quelqu’un de disparu qu’il n’avait jamais connu.

 

_______

 

Tout commença avec les mouvements désordonnés des bêtes du campement. Elles étaient nerveuses, bougeaient beaucoup.

Ploc, Ploc.

La toile de tente reçut les premières gouttes de pluie, espacées dans un premier temps.

De temps en temps, le ciel s’embrasait, déchiré par l’éclat violent d’un éclair. Un grondement sourd semblait surgir du sol, augmentait d’intensité tout en se rapprochant du campement.

Broam ! ! !

Le tonnerre , tel un coup de canon, résonna dans la vallée.

Chris, instinctivement, se replia à l’intérieur de son sac de couchage.

Soudain, un déluge s’abattit . Très vite, le sol sec et empierré refusa d’absorber la quantité d’eau qui se transforma en torrent.

Il sortit précipitamment de sa tente. Autour de lui, tout le monde était dehors, chacun tentant désespérément de sauver ce qui pouvait l’être car, de toute évidence, l’orage d’une violence inouï, allait provoquer de gros dégâts.

Son Scrambler, sous la force du torrent, se coucha sur le flanc gauche ; il craignit qu’il ne fut emporté mais un gros rocher l’arrêta dans sa course.

Devant les éléments déchaînés, la panique le gagna ; sa tente ployait sous la masse d’eau qui s’accumulait , la toile prête à se rompre. Il se précipita sous la tente, attrapa son accordéon qu’il enveloppa dans un sac plastique. Il était temps, son abri se déchira dans un craquement sinistre ; l’eau s’engouffra et emporta ses affaires.

Boum ! ! ! ! Un coup de tonnerre assourdissant éclata, alors qu’un éclair illuminait la scène apocalyptique d’un campement en cours de destruction. Plusieurs bêtes avaient fui, rompant la corde qui les retenait ou fracassant l’enclos de bois qu’elles regagnaient chaque nuit.

Soudain, sa moto s’embrasa sous le coup de foudre et Chris bascula en arrière sous l’onde de choc. Abasourdi, il eut la force de ne pas lâcher son précieux sac. Il rampa jusqu’à un rocher pour s’abriter du torrent qui dévalait la vallée et assista alors, impuissant, à l’explosion du réservoir d’essence.

L’orage disparut aussi soudainement qu’il était arrivé. En quelques minutes, la pluie disparut complètement, le ciel s’éclaircit et le calme s’installa de nouveau.

L’endroit était méconnaissable. Tout le campement était au sol. Les hommes et les femmes se relevaient, hébétés. Beaucoup d’enfants étaient blottis dans les bras de leurs aînés qui leur avaient offert leur protection.

Les premières paroles furent prononcées, comme pour marquer la fin de ce cauchemar. Chacun prenait des nouvelles de l’autre, constatait les dégâts occasionnés.

Chris était assis en tailleur ; le sac contenant son accordéon sur ses genoux. Il regardait fixement sa moto carbonisée. Hormis sa théière cabossée restée coincée sous un caillou et sa ceinture dans laquelle il conservait ses papiers et son argent, c’est tout ce qui lui restait.

Quelqu’un lui tapota l’épaule ; c’était Ibrahim,le jeune berger, qui regardait avec un air rempli de compréhension sa moto déchiquetée.

« Tout est fini » pensa Chris.

Alors, pour ne pas sombrer dans le désespoir, il se leva et se dirigea vers le campement ; il y avait tant à faire pour le remettre en état.