Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'envol (tome 2) - chapitre 14

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Chapitre 14

 

Deux heures déjà qu´il déambulait dans cet endroit lugubre au gré des instructions des douaniers. La chaleur était étouffante dans cet endroit où l´ombre avait oublié de s´installer.

L´accueil était plutôt glacial et il ressentait une impression étrange aux portes de ce pays fermé au tourisme. Enfin, vint le moment très symbolique où on lui remit une plaque d´immatriculation arabe pour sa moto ; alors qu´il l´installait à l´arrière de Voxane, le sentiment très fort de quitter, peut-être définitivement, son pays l´envahit. Comme s´il fermait derrière lui une porte dont il n´avait pas la clef.

Il tenta de se raisonner alors qu´il parcourait ses premiers kilomètres en terre Libyenne, mais, toute la journée, il ne put enlever ce sentiment de malaise de son esprit. A 100 kms/h de croisière, la route rectiligne lui parut interminable et les rares villages qu´il traversait lui paraissaient sans vie avec des maisons grises ou beiges et très peu d´habitants dehors.

La campagne était tout aussi peu avenante, peuplée de sable et de cailloux, sans relief à l´horizon. Il commençait à regretter d´avoir quitté la Tunisie voisine. Il arriva le soir à Tripoli et dénicha, non sans mal, un hôtel. Alors qu´il marchait dans les rues de la ville, il fut étonné de l´indifférence que semblaient lui manifester les Libyens. Terminée la chaleur humaine débordante, envahissante parfois, omniprésente dans le Maghreb.

Ici, il se sentait étonnamment seul. Après avoir erré un long moment, il fut attiré par la lumière d´une petite gargotte dans laquelle il commanda un sandwich. Pendant qu´il attendait d´être servi, il fut abordé par un homme. Ce dernier parlait français et il lui indiqua qu´il était Algérien. Il avait fui son pays au moment des graves évènements, il y a quelques années. Depuis, il travaillait comme maçon à Tripoli. Mal payé, mal considéré, son histoire ressemblait à celles de la plupart des travailleurs immigrés. La discussion se poursuivit et son interlocuteur lui parla de ses conditions de vie. Ce qui l´insupportait au plus haut point, c´était le poids omniprésent du pouvoir sur les gens ; il se sentait comme un prisonnier ici et il survivait plus qu´il ne vivait, avec l´espoir de retourner chez lui bientôt.

Il lui désigna du doigt une affiche représentant Khadafi :

« Ici, il est le roi, il règne sur ce pays, avec une armée qu´il chouchoute et depuis que je suis dans ce pays, je ressens chaque jour cette menace qu´il pourrait intervenir dans ma vie, me jeter en prison. C´est terrible d´avoir cette sourde angoisse au fond de soi ; à aucun moment, je n´ai vraiment eu l´impression d´exister ici ».

 

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Le moteur s'étouffa sur un dernier coup de piston; le sable se referma sur les roues du Srambler. Une fois de plus, il était ensablé. Il coucha sa moto pour la libérer de ce piège, il connaissait maintenant les techniques pour se sortir sans trop d´effort de ces situations.

Malgré tout, il dut rester de longues minutes, le souffle court, pour récupérer. Il la trouvait bien lourde, sa moto, sur un tel terrain. Depuis son départ du camping de Germa, il avançait au pas dans ce paysage grandiose, où le sable était roi. Peu à peu, il apprit à lire le terrain pour passer dans les endroits où le sol était moins meuble ; reconnaissable à une teinte plus foncée.

Malgré cela, sa démarche était hésitante et les traces qu´il laissait derrière lui ressemblaient à celles d´un poivrot du retour du café ! Il savait qu´il n´était pas raisonnable de parcourir ces étendues sablonneuses au guidon de sa moto; d´ailleurs, le gardien du camping lui avait présenté un gars du coin qui se proposait de l´emmener à bord de son 4X4.

L´invitation était tentante, mais il avait opté pour la difficulté. Non pas par défi, mais parce qu´il avait choisi ce mode de vie itinérante. Il se sentait nomade, transportant sa « maison » sur sa moto et c´est cet ensemble qu´il souhaitait conserver tout au long de son voyage, quelque que soient les difficultés.

Il avait du temps, beaucoup de temps et peu lui importait de ne parcourir que quelques dizaines de kilomètres dans la journée. Il éprouvait un sentiment de liberté extrême au guidon de sa Voxan. Alors, il roula peu, s´ensabla beaucoup.

Le jour était bien avancé, il décida de se poser, dans cette étendue vierge. Il était seul mais il n´avait pas peur ; il avait appris à manier la boussole avant son départ de France et il était confiant.

Il mangea peu ce soir là, se laissant envelopper par le silence du désert ; étendu dans le sable d´une finesse incroyable, il assista à la naissance de milliers d´étoiles.

Le lendemain, il leva très tôt le campement pour profiter de la douceur matinale et parce que le sable était moins mou à ce moment de la journée. En fin d´après-midi, il crut à un mirage quand il aperçut, au pied d´une énorme dune, un lac. Oasis bleue dans ce monde de sable. Posé dans cet univers hostile, comme par magie. Spectacle irréel.

Quand il pénétra dans l´eau fraîche, son corps frissonna de plaisir ; l´eau était étrangement salée, comme lui avait indiqué un Libyen rencontré quelques jours plus tôt. Ce dernier lui avait conseillé de visiter ce petit coin de paradis alimenté par une source souterraine.

A proximité, quelques maisons étaient installées à l´ombre de palmiers. Il s´approcha. L´endroit était étrangement silencieux. C´est alors qu´il remarqua que les murs des habitations n´avaient plus de portes, ni de fenêtres ; il ne restait que les encadrements vides; à l´intérieur les murs peints donnaient une touche de couleur à ce village laissé à l´abandon.

Sur le rebord d´une fenêtre, une bouilloire était posée, comme pour rappeler que des personnes avaient vécu ici, il n´y a pas longtemps. Chris ressentit comme un profond malaise en parcourant ces maisons orphelines.

 

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« Il y a quelques années, le gouvernement a « invité » les habitants de ce village à déménager dans des immeubles modernes, situés à quelques dizaines de kilomètres de là. Et, dans ce pays, il est difficile de refuser une telle invitation de son chef d´Etat ; celui-ci est très susceptible » lui expliqua son voisin de table avec un sourire moqueur.

Chris l´avait rencontré quelques heures plus tôt sur la route déserte qui s´enfonçait dans le sud alors que, debout près de sa vieille voiture, il lui faisait un signe de la main. Panne d´essence par la faute d´une durite fatiguée. Chris l´avait dépanné avec quelques litres de ce précieux breuvage et ils étaient arrivés ensemble dans ce village.

Sahim, c´était son nom, avait le regard vif et un sourire qui attirait la sympathie. Chris l´invita à partager son repas dans un petit restaurant. Il lui fit part de ses impressions mitigées depuis qu´il était arrivé en Libye, des difficultés qu´il avait à rencontrer les gens , à engager la conversation, comme si ces derniers étaient indifférents, voire se méfiaient de lui.

Sahim lui raconta la vie dans ce pays, la dictature qui y régnait, l´absence de liberté, le sentiment permanent d´être sous la surveillance du pouvoir en place.

« Tu as du remarquer les nombreux barrages sur la route avec les militaires qui contrôlent ton identité. Dis-toi que, pour nous, c´est tous les jours de notre vie que nous subissons cela. Alors, un climat de méfiance, de peur, de suspicion, s´installe. Et, il n´est pas étonnant que tu ais du mal à lier contact avec les Libyens ».

Chris eut honte de ce décalage ; c´est un fabuleux espace de liberté qui s´offrait à lui depuis qu´il avait quitté la France; chaque jour maître de son destin, en décidant où il allait, sans contrainte, sans horaires imposés, sans chef, et il vivait ces moments extraordinaires en traversant des pays dans lesquels le mot liberté n´existait pas vraiment.

« Etre né quelque part », chantait Maxime Le Forestier; oui, il prenait conscience qu´il était né au bon endroit et qu´il n´avait jamais connu la faim, la guerre, le manque d´eau, un gouvernement autoritaire, qu´il avait pu fréquenter les salles de cinéma, de théâtre, les musées, faire grève, manifester, s´exprimer librement. Il était partagé; il avait envie de remercier le ciel de lui avoir accordé cette chance et, en même temps, il était révolté devant une telle injustice.

Sur les conseils de Sahim, il décida de s´enfoncer un peu plus dans le sud du pays.

« Là-bas, tu verras, ce n´est plus vraiment la Libye. Tu rencontreras les Touaregs ; ils appartiennent au désert; d´ailleurs, les frontières avec les pays voisins n´en sont pas réellement pour eux. Ce sont des hommes libres ».

L´esprit de Chris plongea dans le passé ; son long séjour avec ses amis Touaregs, la belle Mabrouka. Sept ans déjà. Un frisson parcourut son corps, il sentit son coeur battre un peu plus fort.