Chapitre 18
Il sortit de son sommeil en sursautant. De fortes vibrations parcouraient sa cabine ; les moteurs venaient d’être mis en marche. Dans quelques instants, il quitterait le port.
Comme un voleur.
Il avait un goût amer dans la bouche mais la perspective d’échapper aux forces de police du pays l’aidait à mettre de côté ce sentiment de malaise. Le bruit des moteurs s’accentua, puis, plus tard, le bateau se mit à tanguer sous l’effet de la houle. Chris poussa un long soupir de soulagement, ils avaient atteint la haute mer.
Malgré tout, il n’osa pas se montrer et attendit patiemment. Enfin, un marin vint le chercher et l’accompagna dans la salle de restaurant où l’attendait le commandant qu’il avait rencontré auparavant.
« Vous devez avoir faim » lui dit-il pour toute introduction « venez partager mon repas ».
Alors que Chris mangeait avec appétit, il ajouta :
« Mustapha est un ami cher, qui m’a beaucoup aidé à un moment difficile de mon existence, il y a vingt ans. Alors, quand il m’a parlé de vos problèmes, j’ai trouvé normal de vous apporter mon soutien. Je suis Roumain et j’ai beaucoup souffert dans mon pays, sous Ceaucescu. J’ai fini par fuir mon pays, comme l’a fait Mustapha et comme cela arrive à beaucoup de personnes dans le monde. Vous savez, c’est une épreuve terrible de laisser, du jour au lendemain, tout ce qui a été sa vie, sa famille, ses amis. Cela laisse des traces indélébiles dans tout son être et vous n'êtes plus le même homme après de telles épreuves. C’est pour cela que je suis très attaché à la solidarité entre les hommes. Quant à Mustapha, ne vous inquiétez pas, il avait décidé de retourner chez lui depuis plusieurs mois. Tous les deux, nous sommes habitués à vivre avec la crainte du pouvoir en place et nous trouvons des solutions pour échapper à son contrôle. Vous avez la chance de vivre en France où vous êtes libre, mais je crois que nous n’avez pas réalisé les risques encourus en fréquentant certaines personnes. Vous n’étiez pas assez prudent. Ici, la police est omniprésente, sous toutes ses formes, comme c’était le cas dans mon pays lorsque j’y vivais. Et votre statut d’occidental n’aurait rien changé. Demain, notre bateau décharge sa cargaison à Port Saïd, en Egypte. Là bas, vous ne risquez rien, vous pourrez poursuivre votre voyage ».
Chris avait écouté attentivement son interlocuteur; il le remercia vivement et lui proposa de le payer pour l’immense service qu’il lui avait rendu. Il se vit opposer un refus ferme.
« On ne peut pas mélanger solidarité et argent. Nous sommes nés sur une même Terre pour nous entraider. Ce qui me ferait le plus grand plaisir, c'est de savoir qu’un jour, vous rendrez peut-être ce geste à l’un de mes frères Terriens ».
Les larmes aux yeux, Chris tourna la tête vers un des hublots. La mer calme rayonnait sous le soleil du matin. Il avait l’impression de sortir d’un cauchemar.
Il prenait conscience de sa vulnérabilité, seul avec sa moto, loin de son pays. Jusqu’à ce jour, il avait voyagé, avec une sorte de douce inconscience.
Bien sûr, il se rendait compte de la dureté des régimes des pays traversés, des difficultés rencontrées par les habitants avec lesquels il avait pu échanger des idées, mais, jamais, il n’avait pensé que lui-même pouvait en subir les conséquences.
La simple pensée de devoir affronter un interrogatoire, de se retrouver enfermé dans un tel pays lui fit froid dans le dos.
Il sortit sur le pont, il avait besoin de sentir le vent, les embruns sur son visage, ce parfum de la liberté qui aurait pu se dérober à lui. Les moteurs meublaient l’espace de leur bruit lancinant, l’étrave du bateau fendait l’eau qui se fracassait violemment contre la coque.
Il se laissa bercer par le rythme monotone de la traversée, oubliant peu à peu ce à quoi il avait échappé pour se tourner vers les jours prochains.
Un nouveau pays allait lui offrir l’hospitalité ; il essaya de se souvenir des cours d’histoire de son enfance sur les Egyptiens, mais sa mémoire lui faisait défaut. Il eut une pensée très forte pour Mustapha en route pour son pays après 20 années d’absence.