J’ai la chance d’avoir eu entre les mains, le livre offert par Honda aux premiers motards ayant passé commande de la nouvelle Africa Twin.
Cela m’a permis d’en connaitre un peu plus sur cette moto qui continue à me faire rêver.
Tout d’abord en lisant l’interview de monsieur Naoshi Iizuka, l’ingénieur en chef du projet qui a donné naissance à la CRF 1000 L.
Il indique que l’équipe en charge de ce projet a retenu trois grands axes :
« être capable d’aller sur tous les types de surface »
« avoir des caractéristiques techniques adaptées au tout-terrain »
« avoir des performances permettant d’atteindre n’importe quelle destination ».
Il insiste sur le fait qu’il y a eu la volonté de rester fidèle à son nom de baptême.
Il parle de la boîte DCT, notamment de la fonction G. celle-ci a pour effet de limiter le glissement partiel de l’embrayage qui, en temps normal, permet de minimiser les à-coups de transmission à l’accélération ou à la décélération. En effet, il avait été constaté qu’il était plus efficace en tout-terrain de limiter ce glissement partiel afin de mieux maîtriser la durée du patinage et donc, les mouvements de la moto. Il précise que cela offre au pilote une meilleure perception continue des réactions de la moto en termes de traction, y compris sur les sols glissants.
Il semble très confiant quant à la fiabilité de la boîte DCT qui a passé des tests de durabilité très sévères. Il parle même d’un système neutralisant les erreurs en recourant à une sorte de « réinitialisation ».
J’aurais bien aimé en savoir un peu plus mais je fais confiance à Honda qui a toujours vendu des motos très fiables ; en outre, il n’y a eu aucun retour négatif sur les boîtes DCT qui équipent plusieurs motos de la gamme depuis maintenant 6 années.
Questionné sur la qualité de la moto en faisant référence au niveau élevé de finition et de fiabilité des premières Africa Twin, il se contente de répondre : « Il suffit de regarder la moto. C’est tout ce que je peux dire ! Même les clients les plus exigeants qui attendaient depuis longtemps cette moto vont l’apprécier ».
Il justifie le choix du bicylindre en ligne pour des raisons de répartition des masses autour du centre de gravité. Il semble que l’idée d’un trois cylindres ait été envisagé mais les performances du bicylindre à bas et moyens régimes se sont avérées globalement meilleures au cours des essais.
Enfin, il révèle que la puissance a été volontairement limitée car la priorité fut donnée au couple et aux performances à faible ouverture des gaz, c’est à dire moins de 50%, compte tenu de l’objectif, une moto destinée aux longs voyages et la nécessité d’un bon contrôle indispensable en tout-terrain.
Il y a un autre article consacré à Maurizio Carbonara, chef de projet et chef designer du R&D Europe dont le siège est à Rome.
Au départ, c’est le concept proposé par le centre placé sous son autorité qui a été retenu. Le but de l’équipe fut de concevoir une moto compacte, légère et transmettant un sentiment de solidité. La moto devait être simple, sans superflu, tout comme la première Africa Twin. Il y a eu la volonté de ne pas recourir à des « excentricités » ou à l’innovation pour l’innovation. Une première ébauche avait été réalisée, extrême et très innovante, mais qui n’était pas viable en terme de rapport qualité-prix.
Mais, certains éléments de cette proposition initiale furent conservés, une selle étroite, un réservoir largement évidé, ainsi que le profil avant arrondi afin de maintenir une sorte de continuité avec le passé.
Puis est arrivée la CRF 450 Rally du Dakar et le design de l’Africa Twin a alors évolué avec plus d’ « agressivité », mais sans trahir le style de la première XRV 650 qui avait tant plu. Pour l’anecdote, il signale qu’il y a encore beaucoup d’anciennes Africa Twin sur le parking du R&D Honda au Japon. Il insiste sur le fait que l’objectif premier était de proposer une moto bien adaptée au tout-terrain.
D’ailleurs, quelques ingénieurs spécialisés dans les modèles tout-terrain faisaient partie de l’équipe.
Une attention particulière a été réservée au silencieux nécessairement volumineux du fait de la présence d’un catalyseur et des contraintes liées aux émissions. Il fut décidé de ne pas placer la chambre de tranquillisation sous le moteur pour privilégier la garde au sol.
Le design définitif fut choisi, il y a deux ans, et un premier modèle en argile fut réalisé. Un gros travail fut réalisé en soufflerie car le but était de parvenir à un haut niveau de stabilité à haute vitesse. C’est la raison pour laquelle des ouvertures ont été prévues dans le saute-vent. Le réglage de la bulle n’a pas été retenu pour des questions de solidité, de légèreté et de fiabilité dans des conditions extrêmes et à long terme. Quand la maquette de la moto fut présentée il y a deux ans environ aux directeurs des différentes filiales Honda dans le monde, tous ont demandé de ne pas la modifier. A partir de là, il a fallu affiner quelques milliers de détails pour la mise au point avant l’industrialisation.
Le designer avoue qu’il aime beaucoup les motos des années 90, qui représentaient le mélange parfait entre confort général et performances, avec des proportions optimales. Le but a été d’actualiser l’Africa Twin, avec plus de sportivité. C’est pourquoi il y a eu la volonté de reproduire des grands évidements du réservoir de la XRV 650, de concevoir une boîte à air permettant d’extraire rapidement le filtre.
La plus grande difficulté fut de recréer l’équilibre de cette moto, avec les contraintes imposées en termes de volumes par les systèmes actuels d’admission, d’échappement, de refroidissement mais aussi par l’aérodynamisme.
Il indique que la moto, aurait pu sortir un an plus tôt s’il n’avait été question que de design. Il semble donc que le retard pris vient de la partie mécanique. Il précise juste qu’aucun compromis n’a été accepté en ce qui concerne la stabilité, le poids et les performances.
L’équipe a gardé à l’esprit que l’entretien pourrait être réalisé par les utilisateurs eux-mêmes, et imaginé quelle devait être la physionomie de la moto afin qu’ils l’aiment aussi « déshabillée » ( !).
L’intérêt de ce livre est qu’il permet de rentrer (un peu) dans la maison Honda, dont le secret semble être élevé au rang de philosophie d’entreprise. Il est extrêmement rare de pouvoir suivre la genèse d’un modèle. Pour l’Africa Twin, il semble que Honda a consenti à faire quelques efforts, compte tenu de l’aura de cette moto. Bien sûr, j’aurais aimé en savoir un peu plus, voir un peu plus de photos, connaitre les véritables raisons de ce retard. Le bruit qui court est que le moteur manquait de puissance et qu’il a fallu revoir la copie…
Mais, cela valait le coup d’attendre un peu plus longtemps tant je trouve cette moto aboutie. Je comprends la fierté de Maurizio Carbonara quand il conclut ainsi son interview : »Je suis heureux que cette Africa Twin ait suscité une véritable émotion, nous aurions été impardonnables de ne pas avoir respecté les attentes des amateurs. Pour un designer, la recherche d’une ligne innovante n’est pas toujours le meilleur choix à faire mais je crois que nous avons conçu une belle moto à un prix raisonnable compte tenu de son haut niveau de qualité ».
Pour ma part, je fais partie de ceux qui attendaient avec impatience cette moto et, effectivement, cette CRF1000L répond à tous mes désirs. Quand je la vois, quand je suis à son guidon, je ressens très fortement ce que Naoshi Iizuka et Maurizio Carbonara ont expliqué, à savoir que cette moto n’est que la suite logique de la première Africa Twin, qu’elle est restée fidèle aux gênes de sa grande sœur. Quand je l’ai essayée, cette filiation m’a sauté aux yeux et je pense que je suis bien placé pour en parler car je roule actuellement et depuis maintenant plus de 400 000 kilomètres sur une Transalp 600, très proche d’une Africa Twin 650. Ce sentiment de continuité, mais avec tous les progrès réalisés au cours de ces trente dernières années, fut une révélation et à l’origine de mon coup de foudre pour cette moto.
Conserver les qualités du passé, éviter les écueils du modernisme à outrance, mais utiliser au mieux les technologies actuelles, voilà comment je résumerai cette moto.
C’est pour cela qu’il s’en dégage un tel équilibre.
D’ailleurs, c’est maintenant décidé. Je garde ma bonne vieille Transalp pendant deux–trois ans et j’achète une Africa Twin d’occasion !
Le livre fait la part belle aux passé avec notamment l’interview de Monsieur Akira Takahashi, celui qui était, il y a trente ans, responsable des essais. Actuellement, il est président de la division R&D de Honda Europe.
Il dévoile dans cette interview un peu de l’histoire de la première Africa Twin. Il a commencé à travailler sur cette moto en 1986, juste au moment du lancement de la Transalp, car il y avait une demande de la France et de l’Italie pour une moto à l’orientation plus tout-terrain que la Transalp.
L’objectif fut de lui donner des capacités en tout-terrain, qu’elle soit polyvalente et qu’elle puisse se rendre n’importe où. Vingt personnes ont travaillé sur ce projet. Les essais ont été réalisés au Japon, dans une région « semblable à un désert africain ».
Le plus difficile fut de trouver un bon équilibre entre les performances sur route et en tout-terrain. Il fallait des suspensions à grands débattements, mais aussi assurer la stabilité à haute vitesse. En outre, il fallait trouver la meilleure répartition des masses entre l’avant et l’arrière, et conserver ces performances avec un passager. Des essais en soufflerie furent réalisés pour déterminer la meilleure protection aérodynamique.
Vingt prototypes furent construits et 100 000 kilomètres parcourus dans toutes les conditions d’utilisation. Elle fut même comparée à la NXR du Dakar qui était difficile à conduire à grande vitesse sur route.
Le cadre était celui de la Transalp, avec des changements sur la partie arrière pour le rendre plus rigide. La zone de la colonne de direction fut également renforcée et elle avait un profil différent. De plus, le cadre était plus large dans sa partie centrale pour une meilleure rigidité.
Il précise que l’équipe s’est fortement inspirée de la moto de course du Dakar et que, notamment, la position de conduite était identique. D’ailleurs, François Charliat, un des pilotes du Dakar, a participé au développement de la moto.
Il tient le même discours que celui entendu lors de la présentation de la CRF 1000L à savoir que l’Africa Twin a été construite avec des matériaux qui soient facilement réparables. Ce fut le cas pour le cadre qui était fait avec un acier normal pour que n’importe quelle personne avec un poste à souder puisse intervenir dessus. De même, le moteur fut testé avec de l’essence ayant un faible indice d’octane sans aucun problème grâce à la bonne combustion assurée par le double allumage. Je confirme les bonnes dispositions de ce moteur en la matière car celui de mes Transalp a parfois dû avaler des essences douteuses (notamment au Pakistan) avec pour seule conséquence une réduction de la puissance, mais un fonctionnement toujours régulier du V-twin.
Elle a fait la preuve de sa fiabilité en participant brillamment au Paris-Dakar. Ce beau résultat valut à l’équipe un fax de félicitations de Monsieur Soichiro Honda lui-même.
Puis, le modèle évolua, avec d’abord une première génération de 750, dont il reconnait la moindre homogénéité, car développée trop rapidement. Par contre, l’équipe eut plus de temps pour peaufiner la deuxième génération avec un résultat probant. Il déclare préférer la dernière version de l’Africa Twin 750, et c’est aussi mon cas. Je trouve qu’elle avait atteint un degré de maturité élevé.
Interrogé sur le faible succès rencontré par l’initiatrice du genre, la XLV 750, en 1984, il l’explique par le fait qu’elle avait été conçue par l’équipe RD dédiée aux motos de route, ce qui avait déterminé certaines caractéristiques du moteur et du cadre. La Transalp et l’Africa Twin ont été élaborées par ceux qui s’occupaient du tout-terrain. Actuellement, il n’y a plus de séparation entre ces deux équipes ; il s’agit d’un département unique.
J’ai beaucoup aimé la lecture de ce livre. Les photos, les croquis, les témoignages de ceux qui ont participé à la naissance de ces motos, tout cela donne une touche humaine qui manque souvent chez le premier constructeur mondial. J'ai également lu avec grand plaisir les articles sur les différents modèles d'Africa Twin et plus encore celui consacré à celle qui marqua le début du trail bicylindre chez Honda, la XLV 750. Je garde en effet un souvenir ému de cette moto qui m'a permis de réaliser deux très beaux voyages dans le sud de l'Algérie.
Cela m’a fait plaisir de pouvoir connaître le nom et le visage de ces hommes qui ont fait partie de l’aventure. C’est tellement inhabituel chez Honda où le secret semble bien ancré dans la culture d’entreprise. C’est dommage, car j’ai cru déceler de la passion dans les propos d’Akira Takahashi et Maurizio Carbonara. Et qu’est ce que la moto, si ce n’est un objet de passion pour beaucoup?