Sitôt après avoir quitté le bateau, j’emprunte la route de montagne qui s’enfonce dans les terres. Virages à n’en plus finir, un rêve pour le motard….à condition de ne pas prêter attention au froid environnant et aux plaques de verglas. Brrr ! Je me gèle consciencieusement sur ma Transalp et je bénis mes poignées chauffantes et mes manchons.
Mon premier thé grec (lipton yellow, tout se perd !) est un véritable moment de bonheur dans ce petit village haut perché. Trois cafés déserts côte à côte me tendent les mains. Je choisis celui dans lequel la propriétaire me sourit derrière la vitre.
Le Grèce me semble poursuivre la modernisation que j’avais pu constater entre 1984 et 1998 mais, de temps en temps, un homme avec son âne et quelques vieilles femmes habillées de noir font de la résistance.
La région des Météores m’accueille mais pas la petite pension où j’avais passé la nuit quatre ans auparavant alors que s’achevait mon tour de la méditerranée. Fermée à cette époque de l’année. J’étais dans un tout état d’esprit à l’époque; j’avais 14 semaines de voyage derrière moi au cours desquelles j’avais fait des dizaines de rencontres d’une rare gentillesse, visité des déserts extraordinaires comme celui de l’Akakous en Libye, le désert blanc et le Fayoum en Egypte, marché des heures durant dans les rues du Caire ou de Damas, admiré l’extraordinaire site de Pétra en Jordanie, gravi avec une grande émotion le mont Moïse au sommet duquel j’avais passé une inoubliable nuit, sous les étoiles, mis à mal mon rythme cardiaque sur les routes Egyptiennes au milieu d’une circulation anarchique, rafraîchi mon corps surchauffé dans la mer rouge entouré de milliers de poissons multicolores.
Ce soir là, mon voyage me tend les bras, mais je ne sais pas encore ce qu’il me réserve.
Je fais une longue marche au milieu de ces pitons rocheux au sommet desquels dorment quelques monastères. Le ciel est d’un bleu très pur, quelques arbres en fleurs donnent une touche de couleur à ces étendues vierges de touristes et me laissent espérer une arrivée prochaine de la douceur printanière. Nous sommes le 25 février 2002.
Une longue étape m’attend le lendemain sur une route sans grand intérêt. Je commence à noter un changement dans la circulation. Les automobilistes sont plus approximatifs dans leur manière de conduire, les lignes blanches et les panneaux indicateurs semblant avoir un rôle plus décoratifs qu’en France. Quant aux routiers ; la recherche de la meilleure moyenne possible semble être leur leitmotiv ; alors que je fais une halte près d’une kantina (une vieille caravane aménagée en snack), un semi-remorque arrive à pleine vitesse, freine violemment, le routier en sort précipitamment, se dirige vers la kantina se fait servir un sandwich et repart immédiatement, pied au plancher. Un véritable arrêt de Formule 1 ! J’en reste estomaqué.
Malgré des paysages sans intérêt, le plaisir est au rendez-vous. Un plaisir plus cérébral avec une journée à tailler la route, retardant au maximum les arrêts essence et nourriture, laissant faire mon instinct qui me pousse à poursuivre, encore et toujours, le regard fixé sur le ruban de bitume, m’imprégnant fugitivement de mon environnement, usines, dépotoirs, villes, mais aussi la mer qui m’accompagne un long moment, les montagnes au loin et leurs cimes enneigées, un groupe de flamands roses. Personne d’autre que moi ne décide de la conduite à suivre et même si le but n’est que d’abattre des kilomètres, un très fort sentiment de liberté m’envahit à plusieurs reprises. Même si cela peut apparaître dérisoire à beaucoup, j’ai adoré cette étape « jusqu’au-boutiste ».