Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Première partie: Honda 125 CG, la belle vie d'un petit mono

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Elle était bleue. Vingt huit ans après, j’ai un souvenir très précis de l’endroit où elle était garée, dans le magasin.

Je venais de la commander et je me souviens de l’étiquette jaune que le concessionnaire avait collée sur le réservoir : " Vendue ". Elle était à moi, mais je ne pouvais venir la chercher que deux semaines plus tard.

Gorges du Todra



Il fallait que je termine les deux mois de boulot d’été et que je reçoive ma dernière paye pour pouvoir me l’offrir.

Oubliées les heures interminables à faire la plonge, servir les clients, les fermetures tardives alors que la fatigue s'installait.

J’allais bientôt pouvoir piloter ma première moto.

 

 

 

Ce dernier samedi d’août est lui aussi ancré dans ma mémoire. Mon patron avait accepté de me payer avec un jour d’avance, le matin. Je ne terminais que le lendemain soir.

Je profitais de mes trois heures de pause de l’après midi pour quitter Lourdes et me rendre dans la concession tarbaise.

Le mécano m’expliqua le fonctionnement de ma petite 125, mais je ne l’écoutais pas. J’avais l’impression de la connaître déjà, tellement je l’avais espérée.

Quand il démarra le petit monocylindre, j’eus un pincement au cœur ; c’était à moi de réveiller cette mécanique !
Lorsqu’il commença à donner des coups de gaz, un peu trop brutaux à mon goût, je lui attrapai la main pour l’arrêter dans ce geste sacrilège. C’en était trop ; il allait me la casser, ma petite moto !

Je rejoignis mon travail à 60 km/h, submergé par l’émotion.

Durant toute la soirée, je servis les clients sans jamais quitter de l’œil MA moto garée devant le snack bar. A la fin du service, je la rangeai avec infiniment de tendresse dans la salle de restauration et abaissai le rideau métallique.

Je venais de renter dans le monde de la moto.

Commença alors un rodage soigneux …. mais rapide. Elle eut droit, quelques jours après, à une virée en duo sur les bords de la méditerranée.

Honda 125 CG Camping d'Argeles sur mer

J’aimais son petit moteur souple et coupleux et son petit bruit de quatre temps, denrée rare à l’époque. Il tractait bien, ce petit mono et il était capable de garder la cinquième par vent de face ou dans les côtes, en solo ou en duo, ce qui était loin d’être le cas de la Honda 125 twin du frangin, dont les 16,5 CV s’évanouissaient bien vite en dessous des 9000 tours/minute. Mon budget d’étudiant me faisait apprécier également sa consommation de moineau .

Je remarquai vite que le freinage ne méritait pas son nom ; de simples ralentisseurs, voilà ce que Honda avait installés sur ce modèle. Il est vrai que les petits freins à tambour n’auraient pas dépareillé sur un cyclomoteur !





Ma passagère de l’époque trouvait également que les repose-pieds directement fixés sur le bras oscillant, ce n’était pas la panacée, même si cela lui permettait de muscler ses jambes au gré des inégalités de la route !

Le rodage terminé, je remarquai très vite que le pseudo cadre " interrompu " avait la rigidité du roseau, ce qui occasionnait quelques approximations dans les courbes " rapides ".


Honda 125 Cg Route du Lot


Très vite les pompes à vélo, euh les amortisseurs, avouèrent leurs limites.
Mais, toutes ces imperfections nous paraissaient bien anecdotiques et elles ne nous empêchaient pas de prendre la route, pour un oui ou pour un non.

 


 

Un évènement survint. C’était le 31 décembre 1980. La réunion de famille se terminait doucement en fin de nuit. Ce fut le moment que choisit ma cousine et son mari Tunisien pour proposer à mon frère, lui aussi motard et à moi-même, de venir les rejoindre l’été prochain dans leur maison à Jerba. Dans l’euphorie du moment, les deux frangins acceptèrent.

Quelques mois plus tard, je me retrouvai , bien seul avec mon amie, pour organiser ce premier grand voyage, le petit frère ayant décidé que, en définitive, il avait d’autres projets moins lointains et moins incertains…..

C’est ainsi que le petit mono reçut un chargement peu raisonnable sur son porte bagages et dans ses sacoches en skai noires, en cette fin du mois de juillet.
Le départ fut épique ; la direction trop légère se " baladait " tant que l’on avait pas atteint la vitesse de 30 km/h . Chaud !

Nous avions un mois devant nous et nous prîmes la direction de la côte méditerranéenne.

Le deuxième jour, un wheeling involontaire nous fit comprendre que la répartition du poids n’était vraiment pas optimale ! Un arrêt sur le bord de la route, d’abord pour récupérer de la frayeur occasionnée, ensuite pour revoir le chargement, fut nécessaire.
Ensuite, ce fut la route au quotidien, la découverte permanente. Pise, Rome, Naples, Pompéï, l’Etna.

Honda 125 CG Camping de Pompéï

La moto se révélait être une infatigable voyageuse . Les amortisseurs Koni installés avant le départ jouaient pleinement leur rôle.


La consommation se limitait à 3 litres tous les 100 kilomètres.

A Trapani, nous avons attendu notre bateau plusieurs heures, dans une ambiance très italienne, un mélange de désorganisation et de bonne humeur. Nous avions alors déjà parcouru 3000 kms.

Honda 125 CG Port de Trapani

Après une nuit ventée sur le pont, nous avons posé les roues de notre petit mono sur le sol africain. L’émotion était immense.

Route tunisienne

Puis, ce fut le premier bivouac sur le bord d’un chemin ; nous avons installé la tente, un peu tendus. En fait, nous avions peur, peur de l’inconnu. Aussi, c’est avec un brin de méfiance que nous avons vu passer ce Tunisien avec sa mobylette bleue qui rentrait du travail.
Il nous demanda si tout allait bien, s’inquiéta de savoir si nous avions assez à manger pour le soir, nous signala qu’il habitait à quelques kilomètres de là et qu’il pouvait nous héberger car, nous dit-il, la météo annonçait la pluie pour cette nuit. Tant de sollicitude nous paraissait presque suspecte et nous déclinâmes l’invitation.
Il ne nous en tint pas rigueur et revint, quelques heures plus tard avec un plat contenant un mélange de pâtes et de morceaux de mouton et quelques fruits, nous souhaita bon appétit et bonne nuit, et s’en retourna dans sa demeure.

Nous venions de découvrir l’hospitalité tunisienne.


Honda 125 CG Ile de Jerba


Le voyage se poursuivit dans ce beau pays. Jerba, Tozeur, Nefta, le sud nous emballa malgré la chaleur extrême. Heureusement, notre petite moto ne donnait aucun signe de fatigue.

Honda 125 CG Ile de Jerba


Le retour se fit par la Sardaigne et la Corse.

7000 kilomètres . Du bonheur plein la tête.

Cette petite Honda 125 CG, en dépit de son frêle aspect, avait révélé ses capacités de grande routière.

 

 


Une petite fuite au joint de culasse quelques semaines après vint me rappeler que rouler des jours durant par des températures de plus de 40 degrés pouvait laisser des traces. Ce fut l’occasion de découvrir l’accessibilité et la simplicité de cette mécanique.

La récupération d’une fourche avant complète avec le disque mécanique sur une de ses sœurs, la Honda 125 S3, mise en épave, permit au freinage de redresser la tête. Finies les railleries des copains devant le ridicule petit tambour.

Pour parfaire son équipement, elle reçut un tête de fourche acheté 30 francs dans une vente aux enchères, le genre de truc tellement laid que personne n’en voulait. Cette fois, ma moto ne ressemblait plus à celle des facteurs, mais se rapprochait des « GT » de l’époque !



Honda 125 CG





Quelques mois plus tard, elle démontra qu’elle supportait aussi bien le chaud que le froid en m’emmenant à la concentration hivernale des Eléphants, à Salzbourg. Après une nuit par –20 degrés, elle démarra au premier coup de kick !Son endurance fut testée avec une étape non stop de 1400 kms en 36 heures qui ne l’éprouva aucunement ; je n’en dirai pas autant de son conducteur !


Honda 125 Cg Concentration des Eléphants



Elle aima tellement cette hivernale qu’elle me demanda d’y retourner l’année suivante

Honda 125 Cg concentration des Eléphants


 

Le pli était pris et le Maroc nous accueillit l’été suivant. Il fit encore plus chaud qu’en Tunisie et les pistes du sud laissèrent des traces….non pas sur la moto qui se comporta comme un charme, mais sur les deux passagers durement secoués.

Honda 125 CG piste de Merzouga

onda 125 CG gorges du Todra

Honda 125 CG Traversée d'un oued

Honda 125 CG piste de Merzouga

Au cours de ce voyage, la rencontre avec deux motards sur une 125 Ducati fut l’occasion de réaliser que le petit monocylindre Honda était vaillant comparé à l’italienne, qui fuyait de tous ses joints et graissait les bottes et pantalon de son propriétaire !

Honda 125 CG vent de sable


Honda 125 Cg Maroc



Quelques mois plus tard, elle roula en compagnie d’une de ses rivales désignées de l’époque, la MZ 125. Cette dernière se révéla plus confortable, spacieuse, freinant mieux, plus stable, mais que dire de son moteur deux temps fonctionnant au mélange, peu agréable, de sa boîte de vitesses archaïque. La conclusion unanime des deux propriétaires fut la suivante : il faudrait installer le moteur de la CG sur une MZ pour arriver à la 125 routière idéale. En 1998, lors d’un voyage en Turquie, je constatai que le fabricant local Kanuni, qui avait racheté l’usine MZ, avait mis en application cette idée !

Honda 125 CG ert MZ 125 TS


Le carter de chaîne montra son utilité puisque le chaîne d’origine ne fut changée qu’au retour du Maroc, après 50 000 kilomètres parcourus !


Honda 125 CG

En ce qui concerne l’entretien, je me contentais de régler le jeu aux soupapes de temps en temps et de changer les vis platinées installées dans le volant magnétique. Oui, comme sur une mobylette, ce volant magnétique alimentait un phare d’une puissance de ( ne riez pas !) 25 watts ! Quand je m’aperçus que, même en plein phare, je ne voyais quasiment rien, je finis par oublier le code. Le plus drôle , si je peux dire, était que la puissance du phare diminuait avec le régime moteur. Tout un poème !

Le pneu avant méritait lui aussi d’être montré du doigt. La dureté de sa gomme alliée à la légèreté du train avant lui permit d’accomplir 80 000 kilomètres avant d’être changé !

 


 


A 95 000 kilomètres, le petit mono fut l’objet de toutes les attentions en vue d’un grand voyage en Afrique. Réservoir « maison » de 32 litres, porte bagages spécial, amortisseurs et chaîne renforcés. Un examen de son cylindre révéla de légères rayures et il fut décidé, par précaution, de le réaléser. Par contre, l’embrayage était comme neuf.

Honda 125 CG

Honda 125 CG

Honda 125 CG

Honda 125 CG

 

 

 

 

Un deuxième CG, plus récent, reçut le même traitement « spécial désert ».

 Honda 125 CG

 Honda 125 CG

Honda 125 CG

 

Un accident mit fin au voyage de la petite sœur et mon CG poursuivit seul sa virée africaine.

Honda 125 CG Erg Occidental

Avec sa tenue de baroudeuse, la petite moto, montra ses capacités à voyager …. tant qu’elle fréquentait les routes. Les pistes algériennes furent éprouvantes pour son pilote. Je ne me souviens pas des débattements de la fourche, mais ils devaient être très réduits ; quant au moteur, les 11 chevaux étaient un peu à la peine pour me sortir des passages sablonneux. Bref, elle révéla ses limites en utilisation tout terrain, mais, ça, j’aurais pu m’en douter avant de partir !

Honda 125 CG Erg occidental

Honda 125 CG Algérie


Une rencontre avec Manfred, un chaleureux Autrichien, fut l’occasion de comparer les qualités respectives de nos montures.
Bilan : la XLR 600 passait nettement mieux les bancs de sable …. mais le petit mono était plus facile à pousser quand il se retrouvait planté dans un passage trop sablonneux. Je conclus, en toute impartialité( !), à un match nul.

 

 


 

 

Après cette virée algérienne, nous nous sommes retrouvés avec deux machines dont l'une avait parcouru en tout et pour tout 250 kilomètres avec un équipement digne des BMW GS Adventure. 

Je publiai donc une annonce dans la revue Le Monde de la Moto dont l'originalité était d'être écrite par ses lecteurs. J'ai encore en tête le texte: "A vendre Honda 125 CG préparée pour voyage en Afrique." Je faisais alors la liste des équipements de la moto: réservoir en inox de 32 litres, porte bagages spécial pour jerricans de 20 litres, amortisseurs Koni renforcés, pneus tout terrain, pièces de rechange...etc...

Il faut croire que nous n'étions pas les seuls illuminés à penser qu'un CG 125 était la moto idéale pour un tel voyage en terre africaine puisque nous reçûmes un coup de téléphone d'un jeune couple, Yannick et Annick, de la région parisienne qui nous indiquèrent être déjà en possession de deux CG et ne désirant acheter que l'équipement. La mort dans l'âme, j'acceptai de me séparer de tout cet équipement sur ma fidèle moto. 

Les deux arrivèrent un peu plus tard au volant de leur Peugeot 104 Z, le modèle court de 3, 30 mètres de long! Ils nous quittèrent avec le minuscule coffre bien rempli!

Leur but était de rejoindre Dakar. Ils nous donnèrent des nouvelles de leur périple et j'eus la surprise de voir, en novembre 1991, un récit de leur périple. J'étais heureux de savoir que, même si nous n'avions pu réaliser notre projet entièrement, toute cette longue préparation avait servi à deux autres motards passionnés. Une belle consolation.

J'égarai malheureusement cet exemplaire du Monde de la Moto.

J'avais essayé, en vain, de le retrouver via internet il y a quelques années. Il faut parfois être patient; voilà que je l'ai retrouvé il y a deux jours chez un copain de Dordogne qui me l'a offert. Merci Hervé!

A l'heure où certains ne jurent que par le gros trail suréquipé, ce voyage au guidon de deux motos  si simples et si peu puissantes fait du bien. Je suis heureux d'avoir retrouvé trace de ce périple africain (Algérie, Bénin, Togo, Burkina Faso, Mali, Niger).

En lisant ce témoignage, je vois que les réservoirs et un porte bagages ont été ramenés par avion, suite à la vente des deux motos à Niamey (vendues dans la journée, vous voyez que c'est une très bonne moto, la 125 CG!). Peut-être en retrouverai-je la trace un jour... 

 

 

 

 

 





Mon petit mono totalisait alors 105 000 kms et, après quelques années de repos dans le garage familial, je le donnai à un ami qui souhaitait se mettre à la moto. Il roula un an avec et, une fois familiarisé avec les 11 chevaux de l'engin, passa le permis gros cube.

Un autre ami prit le relais et possède toujours cette moto.

Le bilan de cette moto mythique dans la gamme Honda, tant elle a été produite, puis copiée dans le monde entier , est positif.

Je trouve que la phrase : « Il ne faut pas se fier aux apparences » lui convient très bien.

Sous son air de grosse mobylette, elle se révèle être une grande voyageuse, robuste et fiable.

Honda 125 CG

PS : par respect pour elle, je vous demande de ne pas tenter de la comparer aux 125 actuelles. D’avance, merci.

PS 2 : elle vient juste de fêter ses 28 ans


 

 

Bilan


Version journalistique :

Qualités :

Souplesse et couple du moteur.
Consommation.
Solidité.
Carter de chaîne, le cardan des 125.
Entretien facile.

Défauts ;

Freinage inexistant;
Tenue de route « imprécise ».
Amortisseurs style pompes à vélo.
Tableau de bord ( pas de compte tours, pas de totalisateur journalier).
Eclairage.
Repose pieds passager non suspendus.



Version personnelle


Qualités :

Aime les voyages.
Supporte la chaleur et le froid.
Accepte la surcharge.
Cinq places assises (constat fait dans les rues d’Ispahan : deux enfants sur le réservoir et un entre le père, au guidon ,et la mère, passagère).
Ne demande jamais : « C’est quand qu’on arrive » ? » en soupirant.
Donne (beaucoup) plus qu’elle ne promet.
A toujours un petit mot d’encouragement pour son pilote quand ce dernier commence à fatiguer.
Tient la cinquième avec un fort vent de face alors que la 125 twin du frangin, avec ses pots relevés, ses 16,5 CV à 12 000 tr/mn, « s’écroule » et doit garder la quatrième, voire la troisième, me permettant, en ma qualité de frère aîné, de garder la tête haute !
A un grand sens de la diplomatie (ne tombe pas en panne afin que je puisse cacher mes faibles connaissances en mécanique).


Défauts

Dès que j’ai trouvé, je vous envoie un message !

 

 

 

29 octobre 2011: j'ai revu la moto de mes débuts. Elle roule toujours, même si elle n'avait pas tourné depuis presque un an. J'ai été heureux de pouvoir poser mon regard sur celle qui m'a fait découvrir les joies du deux roues et du voyage.

Et, malgré ses 31 ans et son kilométrage, je lui ai trouvé plutôt bonne mine.

Honda 125 CG

Honda 125 CG

Honda 125 CG

Honda 125 CG

 


 

Novembre 2018: après ces longues années éloignés l'un de l'autre, nous avons passé quelques belles semaines ensemble avec un retour vers un pays qui nous avait tant séduits en 1982. C'est avec la même complicité que nous avons parcouru ce retour aux sources de 3000 kilomètres. Une véritable cure de jouvence! 

 

 

 

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