7 / PIQUE-NIQUE ALGERIEN
Vendredi 14 décembre 1990 . Le pique nique va commencer. Le chevreau qui nous accompagne depuis ce matin est égorgé, dépecé, découpé avec une dextérité incroyable, le feu est allumé. Nous sommes posés en plein désert. Une des deux voitures qui nous a emmenés ici a le capot ouvert car le moteur a supporté moyennement le voyage; je constate avec stupeur que toutes les pales du ventilateur sont cassées. Durant toute la journée, nous alternons repas, discussions et parties de football. Mes amis me font également découvrir toute la vie présente dans cet endroit désertique : oiseaux, lézards, insectes, petits trous de gerboises ( souris des sables), terrier de fennecs, traces de chiens sauvages.
La nuit vient de s’installer. J’enfile le burnous que me tend Salah. Je me laisse aller, assis en tailleur près du feu, levant la tête de temps en temps pour admirer le ciel étoilé. Je suis heureux, à mille lieux de mon pays. Je n’oublierai jamais ce pique nique en plein désert entouré de mes amis algériens.
Le lendemain, il est temps pour moi de reprendre la route. Au moment de quitter cette maison, j’ai la gorge serrée et les larmes me montent aux yeux. Je fais mes adieux à mes deux amis et à leurs trois enfants. La moto est de nouveau chargée et je pars, doucement.
Après deux stations d’essence dont les cuves sont vides ( étonnant dans un pays producteur de pétrole !), je peux enfin faire le plein de ma Honda et je me dirige plein sud avec le sentiment de faire un grand saut vers l’inconnu.
Au restaurant d’Hassi Messaoud, je commande une soupe et un thé ; le patron est tellement surpris par la frugalité de mon repas qu’il refuse de me faire payer !
A la sortie de la ville, une longue ligne droite de 370 kilomètres m’attend. Au loin, les dunes ocres du grand erg oriental s’offrent à mon regard ; de temps en temps, je croise un énorme camion Kenworth chargé d’acheminer le matériel dans les puits de forage dont j’aperçois les flammes au loin. La circulation se raréfie. Après 150 kilomètres, quelle surprise d’apercevoir une ferme modèle avec trois champs circulaires dont la verdure contraste étrangement avec l’environnement.
Soudain, le moteur se met à s’étouffer, comme si un cylindre était hors service. Cela ne dure qu’une dizaine de secondes mais je prends conscience de la fragilité de mon équipage. Plus tard, je m’offre une halte pour fêter le 5000 ième kilomètre du voyage.
La route est de plus en plus déserte et accidentée et j’ai une curieuse sensation de solitude dans ce décor. Le soleil est sur le point de se coucher quand j’arrive à Ohanet. Déception, en fait du village attendu, je ne trouve qu’une station d’essence. Plutôt que de monter ma tente dans cet endroit lugubre, je décide d’atteindre In Amenas, 130 kilomètres plus loin. La nuit s’installe rapidement sur cette route défoncée. Les yeux écarquillés, je parcours à l’énergie la dernière partie de cette étape. Epuisé, je m’imagine dans le lit douillet d’une chambre d’hôtel pour me motiver. C’est malheureusement une simple cité pétrolifère qui m’accueille. Je rassemble ce qui me reste de forces et rencontre le commandant de la gendarmerie qui me propose en toute simplicité de monter la tente devant la caserne !