Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'envol (tome 2) - chapitre 22

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Chapitre 22

 

Une solide poignée de mains conclut la longue discussion. L’homme lui annonça qu’il lui apporterait les papiers officiels dans quelques jours, mais son regard franc et le contact vigoureux de sa main suffisaient à Chris.

Il y a plusieurs mois, il vendait son appartement, et voilà qu’il venait de se rendre acquéreur d’un lopin de terre dans une palmeraie, au fin fond de l’Egypte. L’idée avait germé lors d’une partie de dominos devant un thé lorsque son adversaire lui avait parlé des terrains qu’il possédait autour du village.

Chris avait appris qu’il fallait se laisser porter par ses envies, ses intuitions du moment, même si elles paraissaient alors sans fondement, ridicules parfois. Ensemble, ils étaient partis visiter ces terrains et l’un d’eux l'avait séduit, immédiatement.

Etait-ce la présence de quelques palmiers majestueux, de lauriers roses en bordure? A moins que ce ne soit le fait d’être à la fois si proche de la petite route et caché de la vue des automobilistes et piétons? Il se dégageait une atmosphère intime de cet endroit dont il tomba amoureux.

 

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Le soleil s’élevait et crachait le feu sur les quatre hommes qui travaillaient depuis le lever du jour ; comme chaque matin, depuis le début de la semaine.

Chris s’arc-bouta sur la poignée de la presse manuelle, le bloc de terre prit la forme rectangulaire du moule en se tassant. La brique de terre crue partit rejoindre ses congénères qui séchaient. La sueur perlait sur son front, il alla se désaltérer avant de poursuivre sa tâche.

Les trois maçons le guidaient dans son apprentissage de la construction d’une maison. C’est Ibrahim, l’ancien propriétaire du terrain, qui avait négocié leur embauche. Depuis, Chris les rejoignait tous les matins, au sortir de leur tente qu’ils avaient installée à proximité du chantier, et ils entamaient leur journée de travail, entrecoupée par le repas dans le café d’Azid.

Il oubliait bien vite les courbatures qui se manifestaient quand il quittait son sac de couchage, lui rappelant qu’être maçon ne s’improvisait pas. Mais, c’est le cœur léger, avec une énergie décuplée par les encouragements de son entourage, qu’il s’attaquait à des travaux qui lui avaient paru jusqu’à présent relever du domaine de l’inaccessible.

Parfois, il s’éloignait légèrement pour mieux apprécier l’avancement des travaux. « Est ce que tu réalises que tu es en train de construire ta maison ? » se disait-il comme pour mieux s’en convaincre. Il se sentait dans un état second depuis qu’il s’était lancé dans cette nouvelle aventure. Comme si ses actes ne lui appartenaient pas.

Ses trois compagnons de construction, dans toute leur simplicité et leur gentillesse, le poussaient à ne pas trop réfléchir sur le pourquoi de ses impulsions du moment. Régulièrement, ils interrompaient leur tâche pour venir donner le coup de main nécessaire à ce Français, rempli de bonne volonté, mais peu au fait des subtilités de la maçonnerie.


Les journées se suivirent, identiques dans le but recherché, mais jamais monotones. Les matériaux nécessaires se mettaient en place et les briques achevaient leur séchage sous le lourd soleil d’avril. Parfois, en fin de journée, Azid venait les aider après son travail. Une atmosphère joyeuse accompagnait la construction et, régulièrement, des habitants du village venaient se rendre compte par eux-mêmes de l’avancement des travaux.

 

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Le 25 avril, il y eut relâche. Pour fêter l’anniversaire de la libération du Sinaï, lors du retrait de l’armée israélienne, en 1982. Après 15 années d’occupation suite à la guerre des 6 jours.

La guerre, encore et toujours, présente dans les esprits même quand elle était finie, avec ce sentiment qu’elle pourrait de nouveau éclater un jour prochain.

Chris se mit à rêver d’un monde dans lequel le droit à la paix serait proclamé comme principe universel, la guerre interdite. Il imagina ce texte planétaire qui s’appliquerait à tous les gouvernements; avec une redistribution de l’argent actuellement utilisé pour fabriquer les armes et réparer les conséquences des conflits à l’agriculture, à la santé, à l’écologie, à la sauvegarde de la planète.

Les gestes d’amitié qui croisaient son chemin depuis son départ alimentaient son utopie et, au cours de cette journée, il laissa son esprit s’envoler vers ce monde où la paix aurait seule le droit à la parole. Ibrahim était près de lui et écouta avec une moue dubitative ses rêveries.

Plus tard, il lui parla d’Azid :

" Il est arrivé il y a vingt ans dans la région et nous ne connaissons pas grand-chose de lui. Il parait que, très jeune, il était militaire et il a été victime d’une mine dans le désert du Sinaï occupé alors par les Israéliens. Il n’a pas été trop grièvement touché, à la différence de certains de ses compagnons d’alors, mais il a perdu l’ouïe et l’usage de la parole depuis cette date. Par la suite, il s’est installé ici, et il est employé comme serveur dans ce café ; le propriétaire le loge dans cette maison et, en contrepartie, il entretient son jardin. Tu sais, les horreurs qu'il a vécues, c’est ça la réalité de la vie; des hommes qui veulent en manger d’autres et qui utilisent leur pouvoir pour entraîner dans leur folie les personnes qu’ils dirigent. L’Europe a connu ces guerres, le Moyen Orient aussi, ainsi que l’Afrique. Cela ne s’arrêtera jamais; cela fait longtemps que j’ai perdu espoir ".

 

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Le temps et le soleil avaient fait leur œuvre; les briques étaient sèches, prêtes à être utilisées.

Très ému, Chris posa la première adobe sous le regard attentif de ses trois compagnons de travail. Il se souvint des journées entières qu’il passait, enfant, à manipuler les pièces de son légo, à construire les maisons les plus folles, fruits de son imagination.

A l’époque, il se projetait dans ces minuscules habitations qu’il rêvait d’habiter. Aujourd’hui, il éprouvait les mêmes sensations au fur et à mesure que le mur s’élevait. Il était impatient, maintenant, d’achever ce beau travail. Il lui plaisait de bâtir sa maison avec un peu de terre, de paille et quelques morceaux de bois ; comme l’avaient fait bien avant lui des millions de personnes qui se servaient de ce que la nature leur offrait. Ce retour vers le passé le remplissait de joie.

Comme si, au fil de son voyage, il éprouvait le besoin de se détacher de cette société moderne, étouffante, qui générait chaque jour un peu plus de dépendance, qui amenait l’homme à oublier ce que lui avaient transmis ses ancêtres. Il suffisait de sortir sa carte bleue pour trouver tout ce dont on avait besoin, et surtout tout ce qui était inutile, mais le savoir faire s'étiolait lentement.

Au moment de son départ, ce rejet de la société de consommation était encore un vague sentiment caché dans un recoin de son cerveau. Aujourd’hui, il avait envie d’une autre vie et ce voyage s’offrait à lui comme une transition. Il prenait peu à peu conscience de la transformation qui s’opérait en lui.

 

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La palmeraie avait revêtu ses plus beaux vêtements sous la pleine lune et les étoiles scintillantes. Chris avait abandonné ses amis à la fin du repas. Il s’en était allé sur ce chemin qu’il connaissait si bien maintenant. Le cœur battant, il distingua la silhouette de la maison.

Il ralentit le pas, pour mieux apprécier l’instant. Elle était là, belle dans sa simplicité. Il s’assit dans le sable et resta à la contempler ; son regard s’attarda sur les murs de couleur ocre, à la porte bleue azur, à la lampe à pétrole accrochée près de l’entrée. Il était partagé entre la fierté et l’émotion.

Sur le côté droit, un abri en bois et en feuilles de palmier accueillait Voxane. Il ferma les yeux et sombra dans un demi-sommeil ; il laissa ses pensées s’envoler, traverser la mer méditerranée, survoler Marseille et se laisser porter dans le Lubéron. Maud était là, dans sa position favorite, les jambes repliées, une lettre à la main, sur le canapé qui avait été témoin de leur première soirée.

Sa lettre. Qu’il avait envoyée il y a quelques jours. Dans laquelle il lui racontait sa vie de bâtisseur, lui décrivait ce village perdu, ses amitiés. Il l’imagina interrompre sa lecture, tendre l’oreille vers le sud ; il vit son visage s’illuminer. « J’ai très envie de te voir, mon amour » s’entendit-il dire à voix basse. Quand il fut rempli de Maud, il se décida à franchir le seuil de la porte. Il se coucha et s’endormit avec Elle, une main appuyée contre le mur de terre.

Un vent léger faisait danser les feuilles des arbres.