Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'envol (tome 2) - chapitre 21

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Chapitre 21

 


« Salam Aleikum » lança-t-il aux clients du café qu’il venait de rejoindre alors que le soleil était au zénith.

Certains jouaient aux dominos, comme il le faisait avec son grand père alors qu’il portait encore des culottes courtes ; l’image le fit sourire. Les regards portés sur lui laissaient entendre qu’ils n’étaient pas surpris de le voir.

Son arrivée hier, dans ce village perdu, n’était pas passée inaperçue et Azid avait peut-être fait savoir qu’il hébergeait le voyageur étranger chez lui. Ce dernier finissait de servir le thé et la chicha, la pipe à eau, à un client, puis il se dirigea vers Chris.

Ils se serrèrent la main longuement, chaleureusement, avec le souvenir de la soirée musicale de la veille.

Quelques hommes l’invitèrent à leur table, avec ce naturel désarmant si éloigné de l’individualisme occidental.

Chris s’en étonnait chaque jour; ici, l’Autre avait une importance alors même qu’on le voyait pour la première fois. Le contact était immédiat, chaleureux, souvent plein d’attentions. A chaque fois, il était ému devant cet intérêt sincère qu’on lui portait; un geste, un sourire, une invitation, un cadeau, son voyage était parsemé de ces rencontres désintéressées et chargées d’amour.

Il se sentait bien loin de ce monde que décrivaient au quotidien les médias de son pays, dans lequel l’homme, parce qu’il était différent et géographiquement éloigné, ne vivait que dans la guerre, la terreur, la pauvreté.

Qu’elle lui apparaissait bien puérile cette arrogance occidentale des pays riches face à ceux qui avaient eu moins de chance au cours de leur histoire. Souvent, une certaine honte le gagnait et il n’hésitait pas à descendre son pays du piédestal sur lequel certaines de ses rencontres l’installaient et à mettre en avant la gentillesse qui lui faisait l’honneur de croiser son chemin.

Aujourd’hui, il partagea en toute simplicité le repas des quatre hommes, quelques boules de fèves en friture accompagnées d’une salade de tomates. Un seul parlait l’anglais et il s’efforçait de traduire les questions de ses compagnons.

Chris répondait avec plaisir, racontant son voyage, ses déboires, les moments merveilleux, plus nombreux, le plaisir de découvrir le monde au guidon de sa moto.

Il percevait dans les yeux de ses interlocuteurs un certain étonnement, voire une incompréhension. Quel besoin de partir si loin de son pays et de ses proches, et seul de surcroît?

« Tu as laissé ta femme et tes enfants en France ? » lui demanda l’un d’eux. Chris rougit ; soudain, il se sentit désagréablement nomade et marginal.

Le souvenir de Maud s’installa dans l’oasis surchauffée. Pendant un moment, il abandonna ses compagnons pour le Lubéron ; le silence s’installa autour de la table. Personne n’osa lui reposer la question.

Il fit l’effort de sourire mais le poids de sa solitude s’était immiscé dans son esprit. La conversation bifurqua vers des horizons moins noirs, mais il ne parvenait plus à s’y intéresser. Peu après, il s’excusa et prit congé.

 

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A chaque pas, la chaussure soulevait une poussière blanchâtre. Il sentait la morsure du soleil sur sa tête malgré le chèche qu’il portait ; mais, il marchait, tel un automate, insensible à cette agression si douce comparée à ce tourment qui l’envahissait. Son cerveau bouillonnait, repassant en boucle la semaine avec Maud.

Depuis son départ du Lubéron, il avait envoyé quelques lettres, espacées, dans lesquelles il racontait son voyage, mais jamais il n’avait parlé des sentiments qu’il éprouvait, peut-être par pudeur ou par pragmatisme. En effet, il n’avait aucune idée de la durée de son périple dont il ne voyait pas et n’envisageait pas la fin.

La peur de s’attacher le tenaillait, elle était arrivée sans qu’il ne s’en rende compte. Sa tête était au bord de l’explosion ; alors, il se mit à courir, sans but, jusqu’à l’épuisement.

L’homme sur son âne le surprit sous un palmier, la tête renversée en avant, tentant avec difficulté de retrouver son souffle. Il s’arrêta, l’air interrogatif. Chris lui fit signe que tout allait bien. Quand ce dernier se fut éloigné, après avoir tenté vainement de retenir cette boule au creux de l’estomac, il s’abandonna.


Les larmes quittèrent ses yeux, doucement d’abord, puis en une pluie que rien ne semblait devoir arrêter. Il cessa de résister et laissa tout son être se vider. Il ne remarqua pas le ciel qui accueillait quelques nuages cotonneux, ni le soleil qui vira à l’orange, puis au rouge flamboyant.

Il était là, seul, sans trop comprendre pourquoi cette infinie tristesse l’avait envahi. Jamais il ne s’était senti aussi loin de son pays. Et désemparé. Son voyage lui paraissait soudain dérisoire et inutile.