Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

David, Emy et Mattea. Leur vie est un voyage.

 

 

 

Certains parviennent à réaliser le voyage de leur vie, d'autres, beaucoup plus rares font de leur vie un voyage. Ce fut le cas de David, Emy et Mattea que j'ai eu la chance de rencontrer au Maroc, en 1997. Cette petite famille a parcouru pendant de longues années les routes et pistes de notre Terre. Ils habitent désormais un village de l'Etat de Géorgie. 

Les quelques jours qu'ils ont passé à deux reprises dans mon appartement resteront gravés à jamais dans ma mémoire. J'ai adoré ces moments passés avec eux, leur grand coeur, leur détermination, cette énergie qu'ils transmettaient, ce lien si fort qui les unissait. 

 

David a écrit un  livre publié depuis 2022 (en langue anglaise publié par Road Dog Publications). Titre: Dis Big Pella Walkabout. An odyssey.

En voilà un court résumé.

 

 

 

 

 

La jeunesse de David Wooodburn

L’histoire débute de l’autre coté de notre planète, dans cet immense territoire qu’est l’Australie. C’est là que le jeune David Woodburn âgé de 10 ans se retrouve, après la mort de son père, dans un pensionnat qu’il qualifie de spartiate et cruel. Lui est plus attiré par la nature qui l’entoure. Dès qu’il le peut, il part marcher dans la brousse à la recherche des serpents. C’est dans cet endroit dirigé par les jésuites que sa haine de l’école va grandir.

 

Très vite, il commence à effectuer des petits boulots lui permettant d’avoir de l’argent de poche et d’acheter les livres qui le passionnent. Les récits de navigateurs le font alors rêver. Il se rend régulièrement sur la jetée du port de Sydney voir les bateaux, rêvant d’appartenir un jour prochain au monde des navigateurs. Timide, il n’ose pas à s’adresser à eux.

Puis il y a cette visite chez son copain Jeremy qui lui prête une revue de motos (Two Wheels) dans laquelle se trouve le récit de deux Anglais voyageant sur leur Triumph et Norton . Dans ce numéro, les deux hommes traversent les montagnes afghanes. Le jeune David est fasciné et il réalise ce jour-là qu’il pourra lui aussi «naviguer» un jour prochain au guidon d’une moto.

Il est alors apprenti menuisier et, avec l’aide financière de sa mère, il achète sa première moto, une Yamaha 250. Un an plus tard, c’est la 650 de la marque japonaise qui prend le relais. Avec elle, il commence à parcourir les régions australiennes.

Après l’achat d’une Kawasaki 900 d’occasion, il commence à envisager sérieusement un voyage qui l’amènerait de Singapour à l’Angleterre.

Sa visite d’un magasin de motos va être à l’origine d’un basculement dans son orientation de motard. Alors qu’il se renseigne sur le prix d’une bagagerie complète pour sa moto, il aperçoit, dans un coin du magasin, un petit side-car de marque Goanna. L’entreprise australienne vient de fermer et le side-car est en vente pour 600 dollars. David est séduit et en fait l’acquisition.

Plus tard, alors qu’il recherche des équipements pour son futur voyage, il demande au vendeur si ce dernier connaît la mécanique. Ce dernier le reçoit chez lui et passe la journée à lui expliquer les bases de la mécanique en refusant d’être payé.

 

Premier voyage en solitaire

 

C’est en 1978 que David largue les amarres. Son attelage est prêt, il a les pneus de rechange, un phare supplémentaire, quelques pièces, un jeu de cales pour le réglage des soupapes. Il prend le bateau pour Singapour. Il est alors un «garçon de la brousse, crédule, naïf et optimiste avec des préjugés sur les Asiatiques ». Ceux-ci tombent bien vite car il est traité avec courtoisie par les Malais, les Thaïlandais, les Chinois et Indiens.

Il reste trois mois en Thaïlande avant de poursuivre sa longue route. Après cinq jours de bateau pour atteindre l’Inde, il lui faut six semaines pour arriver à Delhi.

Au Pakistan, il a ce sentiment très fort que chaque homme porte une arme à feu. Il y apprend qu’un coup d’État vient d’avoir lieu en Afghanistan mais parvient malgré tout à obtenir un visa d’une semaine pour traverser ce pays. En Iran, sa moto tombe en panne. Deux soupapes sont hors service. Il entreprend la réparation à Téhéran et, alors qu’il cherche un travail, un Iranien lui conseille de quitter son pays «en train de s’effondrer».

Alors qu’il vient d’arriver dans la région du Kurdistan turc, son side-car prend feu ! Moment de panique sur cette piste déserte en voyant de la fumée et des flammes s’échapper de l’installation électrique sous la selle. Il finit par réussir à étouffer l’incendie avec de la terre. Il est seul, sans eau et, ô miracle, apparaît un vieux Land Rover. A son bord, un Anglais avec sa femme Indienne. Le seul véhicule rencontré dans la journée !

Pendant trois cents kilomètres, il est remorqué avec son attelage qui roule en crabe. Eprouvant pour les nerfs. A Erzurum, il est laissé sur un énorme parking où stationnent les poids-lourds. Il y fait la connaissance de Tony, qui rentre à vide en Italie et accepte de charger son side-car jusqu’à Trieste. David y laisse son attelage et poursuit son voyage par le rail. Suisse, Allemagne, Hollande. A Amsterdam, il recherche, en vain, du travail et décide de se rendre en Angleterre. Il y arrive avec seulement 90 livres en poche mais trouve un travail dans le premier pub où il rencontre un ouvrier du bâtiment!

L’automne arrive et il retourne en Italie pour récupérer son side-car. Alors qu’il remonte en Angleterre à son guidon, il s’arrête pour bivouaquer à proximité d’un vignoble italien. Il se glisse nu dans son sac de couchage et, au cours de la nuit, voit une voiture arriver doucement et s’arrêter à quelques mètres de lui. Craignant d’être attaqué, il surgit de son duvet, récupère son couteau et gesticule sous le pinceau des phares. En fait, il s’agit simplement de deux policiers venus le contrôler… A partir de ce jour-là, il gardera toujours un minimum de vêtements lors de ses nuits à la belle étoile...

Après avoir de nouveau travaillé pendant l’hiver et le printemps en Angleterre, il peut assister aux courses du Tourist Trophy sur l’île de Man qu’il avait loupées l’année précédente.

Son voyage se poursuit jusqu’au Maroc. Il rejoint ensuite la Grèce et retourne en Angleterre pour renflouer les caisses. C’est ensuite la traversée de l’Atlantique jusqu’en Floride.

Il se rend à Porto Rico où il rencontre trois jeunes. Avec eux, à l’aide de quelques machettes et outils rudimentaires, il coupe des bambous et feuilles de palmiers pour construire une cabane. Pendant trois mois, il vit «un petit morceau de Robinson Crusoe, escaladant les arbres pour ramasser les noix de coco, faisant de la cueillette sauvage et volant un peu de canne à sucre dans les champs, libre de me promener sur un rivage enchanteur ».

Il trouve un emploi de serveur-plongeur. Quand arrive Noël qu’il passe seul, David, après ces trois années de voyage, se demande ce qu’il doit faire de sa vie. Il a alors 24 ans.

Il rejoint New York où il embarque sur un cargo pour une longue traversée jusqu’en Australie.

 

 

Retour en Australie

Dans son pays, sur une parcelle de 10 acres, il construit un petit chalet et une cour pour les chevaux. Les années sont difficiles. Il essaie, sans trop de succès, de trouver sa place dans la société. Il plante de la marijuana ramenée d’Amérique. Une nuit, il enterre sa récolte, conscient qu’il est en train de prendre une mauvaise direction dans sa vie…

David a deux chevaux avec lesquels, durant ses cinq années «sédentaires» il part des journées, voire des semaines entières. Il travaille un temps dans une écurie de chevaux.

Sa vie s’écoule mais, tout au fond de lui, il a encore la bougeotte. Il projette de se rendre en Nouvelle Zélande. Alors qu’il a réservé son billet, il passe devant le consulat général des Philippines. Sans trop savoir pourquoi, il pénètre dans le bâtiment. Un homme lui demande s’il désire un visa. Il lui répond que non. L’homme rajoute que c’est gratuit et que le visa est valable 59 jours et qu’il l’aurait dès le lendemain….

Au même moment, Emy vient de quitter son île de Panay pour venir aider son cousin, pasteur à Cavite City.

La famille d’Emy est très pauvre et elle se sent obligée de monter à Manille pour postuler pour un emploi de domestique à Singapour.

David fait sa rencontre là-bas. Lorsque son visa arrive à terme, il lui demande de l’accompagner pour l’aider dans ses démarches dans ce pays où il se sent un peu perdu.

Elle a de son coté une possibilité d’emploi comme domestique à Singapour. David est persuadé que quelque chose de mauvais lui arriverait là-bas et réussit à la convaincre de venir avec lui en Australie. Elle accepte… C’est le début de leur histoire commune.

Dès leur arrivée, David achète une BMW 80 GS d’occasion, celle qui, ils ne le savent pas encore, va les emmener très loin à travers le monde.

Ils commencent par sillonner les routes australiennes, campent, trouvent du travail dans la cueillette des concombres, puis des aubergines, enfin dans un élevage de bovins.

 

Ils rejoignent la pointe la plus septentrionale de Cap York, là où son arrière grand-père, Franck Jardine, est arrivé en 1864 avec un groupe d’hommes, 250 bêtes et une douzaine de chevaux. C’est dans cette région que sa mère est née, mais elle a gardé ce secret en elle car elle était métissée et faisait tout pour apparaître «blanche» dans la société australienne.

Quelques mois plus tard, alors qu’ils séjournent à Cairns, Emy est enceinte.

La petite Mattea est née quelques mois plus tard. Leur vie se poursuit à trois désormais. Ils la commencent par un détour en Chine où, pendant huit mois, ils vendront des bibles de contrebande !

 

 

 

 

 

 

La famille Woodburn prend la route

Ils reviennent en Australie mais leur décision est prise, ils vont partir. Comme le cite justement David, un proverbe chinois dit «Sur un voyage de mille miles, vous devez d’abord faire le premier pas ». Il se pose des questions sur la somme d’argent qu’ils détiennent. Sera-t-elle suffisante ? Leur choix est fait, leur vie va se dérouler sur les routes.

 

Mattea s'initie déjà à la mécanique.

 

 

 

Pendant que ses parents montent la tente sous la pluie, Mattea attend à l'abri sous le side-car... 

 

 

Mattea effectue son premier voyage pour aller voir sa grand-mère

 

 

Mattea a deux ans. Ils séjournent d’abord deux mois en Thaïlande. Puis, c’est l’immersion dans ce pays immense qu’est l’IndeLe trafic y est intense et, sur la Trunk Road, David se souvient ne pas avoir utilisé un rapport supérieur à la 3ième durant trois jours ! Il décrit les nombreux camions Tata et les accidents omniprésents : «Tata dans l’arbre, Tata à l’envers, tata dans l’autobus, Tata contre Tata».

Mais son plus gros «combat » est mené contre cette foule incessante, pesante, assistant au moindre de leurs actes, posant constamment des questions alors que, par exemple, il répare un pneu au bord de la route. «Est-ce que cette femme est ton épouse ? Utilise-t-elle la contraception ? … Vous avez un double moteur (en référence aux deux cylindres sortant chacun des deux cotés du réservoir)».

Parfois, David manie lhumour comme lorsquon lui demande si les pneus de rechange sont destinés à sa moto et quil répond que ce sont des pneus de Land Rover prévus dans lhypothèse dune rencontre avec une de ces voitures en détresse…. Mais, tout cela met à mal leur patience et leur énergie même si, aujourdhui, il considère l'Inde (où ils ont passé un an en tout) comme le pays le plus fascinant du monde.

Ils se dirigent vers le nord et font une halte de deux semaines à Katmandou. Ils tentent, ensuite, de rentrer au Tibet, mais ils sont refoulés.

 

A proximité du Tibet

 

Ils rejoignent donc le Pakistan avec le projet de se rendre en Afghanistan. Il leur faut dabord franchir le col de Shandur. La piste est difficile et, avec la fonte des neiges, les traversées des rivières sont parfois périlleuses. Il leur faut, à chaque fois, décharger lattelage. Emy se place au milieu de la rivière pour guider David.

 

 

 

 

Lors dune traversée, lattelage ne peut résister à la force du courant. Larrivée inattendu dun berger les sort de ce mauvais pas et il les aide à emmener le side-car jusquà la terre ferme.

 

Au fur et à mesure de la montée, David sinquiète de la possibilité de franchir ce terrible col. Le moteur respire mal à cette altitude et les 50 chevaux sont à la peine. Ladhérence vient parfois à manquer. David décide de retirer le filtre à air pour permettre au moteur de mieux respirer. Dans les passages les plus ardus, il leur faut décharger tous les bagages. Emy et Mattea marchent pendant que David fait cirer lembrayage et saute de la moto pour la pousser. Cest là quil commence à se familiariser avec lodeur caractéristique dun embrayage en train de surchauffer. Ce nest quun début, en Afrique, ils auront à maintes reprises loccasion de renouveler lexpérience...

 

 

A l'assaut du col du Shandur

 

Rencontre 

 

 

A proximité de Shandur 

 

 

  

 

Séance de réparation à Lahore (Pakistan) 

 

 

Départ de Lahore après la réparation 

 

  

 

Le choléra s’invite

A Peshawar, après la moto, cest au tour de David davoir une surchauffe de son embrayage… Il se sent extrêmement faible, parle même de «désespoir total». Les vomissements et les diarrhées se succèdent. En pleine nuit, il «demande à Dieu de reprendre sa vie». Au petit matin, il réalise quil est dans une ville frontière du Pakistan avec sa femme et sa fille et quil DOIT vivre. Emy le soigne avec des infusions daïl bouilli. Devant son état critique, un homme lemmène dans un hôpital pour réfugiés afghans. La femme médecin française lausculte et lui annonce quil a le choléra. «Pouvez vous me donner quelque chose pour me soigner ?». «Je nai rien pour vous mais vous avez décidé de vivre... ».

De retour de lhôpital, David décide de rejoindre lIran car il est persuadé quil va mourir sils restent ici. Ils optent pour un itinéraire passant par les terres tribales, interdites aux étrangers, afin déviter les hautes chaleurs des plaines auxquelles il se sent incapable de résister.

Il décrit sa maladie comme «un feu qui éventre lintérieur dun bâtiment laissant lextérieur desséché mais intact».

Départ à quatre heures du matin. David est terrifié à ce moment-là, alors que son corps ne demande que du sommeil. Il na plus que cette obsession ancrée en lui datteindre lIran.

 

David luttant contre le choléra. Par contre, Mattea semble en pleine forme!

 

 

A Dera Ghazi Khan, ils quittent la ville à trois heures du matin. Plus loin, la piste est bloquée par une chaîne et lun des quatre hommes présents les laisse passer ! Pourquoi ? Il se pose encore la question…

Lorali. Il ne sont plus quà une journée de route de Quetta. Un homme armé leur interdit le passage et les somme de faire demi-tour.

«Si jobéis, je vais mourir».

David décide de contourner la barrière en priant très fort. «Cet homme ne va pas me tirer dessus, je suis Britannique». Et cest le cas…

A Quetta, ils recherchent un amortisseur pour remplacer le leur qui vient de lâcher. Un homme va remuer ciel et terre et finit par revenir dans leur hôtel avec lamortisseur réparé.

«Sans frais, Monsieur. Vous êtes un invité de mon pays. Nous navons fait que notre devoir».

David mentionne que, lors des quatre séjours au Pakistan, il a pu constater que ce pays est très loin de la mauvaise presse dont il est lobjet.

Etape entre Quetta et la frontière iranienne. Nouveau départ à trois heures du matin pour éviter les terribles chaleurs du Balouchistan. Réservoir quasiment à sec lors dun contrôle de larmée. Le sergent leur fournit de lessence en provenance dIran, beaucoup moins chère. Ils arrivent à la frontière juste avant la fermeture et décident ensuite de dormir dans le no mans land.

 

 

Région du Balouchistan

 

Bâtiments de la frontière pakistanaise où ils passeront la nuit 

 

 

Larrivée à la frontière iranienne donne lambiance avec deux énormes messages sur les murs :

«Amérique grand satan» et «A bas lAmérique!». David rappelle que, en 1953, la CIA a financé un coup d’État contre le gouvernement démocratiquement installé...

  

Entrée en Iran

 

 

Entrée dans le pays par un fort vent de sable. Vingt cinq kilomètres sont parcourus, protégés par leur chèche quand, soudain, David voit surgir en face de lui un automobiliste suicidaire… jusquà ce quil réalise quici, on roule à droite…

Le gentillesse des Iraniens est une constante. Cest ainsi qu’à Tabriz, alors quils demandent sils sont autorisés à camper dans un parc, un homme leur ouvre la mosquée pour la nuit en leur demandant simplement de fermer la porte en partant le lendemain.

 

Nuit passée dans une mosquée de Tabriz 

 

Puis, cest la Turquie où ils obtiennent un visa pour la Yougoslavie mais on omet de leur dire que la guerre civile vient déclater (Bosnie, Serbie…).

 

 

Grèce

 

Mattea fête ses 3 ans en entrant en Hongrie 

 

 

Ils arrivent ainsi en Europe après cette longue route parsemée de difficultés. Mais leur voyage nen est pas terminé pour autant. Ils poursuivent leur vie nomade et retournent en Asie, avant de revenir sur le sol européen.

 

 

Mattea essaye ses futures motos!

 

 

Mattea en "salle de classe" dans un poste de police pakistanais 

 

 

 

 Vol du side-car!

Plus qu’un voyage, c’est une vie qui s’écoule pour cette famille unie. De temps en temps, il est nécessaire de renflouer les caisses. David est charpentierIl a ainsi pu trouver du travail en Yougoslavie, Allemagne, Suisse et Norvège et Angleterre. C’est dans ce dernier pays que leur long périple aurait pu prendre fin. Leur attelage est volé. La moto est retrouvée, mais pas le panier. Il en faut plus pour les décourager. Pendant deux mois, David le reconstruit patiemment avec l'aide de David Wilcox qui leur prête une partie de son atelier.

 

 

 

En 1997, ils arrivent au Maroc et y séjournent pendant plusieurs semaines. Leur prochaine destination est le Cap Nord. Ils arrivent à Tanger pour embarquer sur le ferry qui doit les amener en Espagne. Au même moment, jarrive sur le port avec ma Transalp 600. Je reviens de la frontière mauritanienne où jai accompagné un couple damis en 4Xen partance pour le Sénégal. La vision de ce side-car atypique dans la file des voitures titille ma curiosité et je mempresse de rechercher les propriétaires de cet attelage. La discussion sengage et, quelques heures plus tard, nous nous quittons alors quils se rendent à Gibraltar pendant que je remonte sur Tarbes pour reprendre mon travail.

 

 

Quelques semaines plus tard, mon téléphone sonne. Cest David au bout du fil. Je leur avais laissé mes coordonnées. Ils sont à quelques dizaines de kilomètres de chez moi et je les invite à venir. Ils restent plusieurs jours dans mon appartement et je découvre avec émerveillement ce mode de vie de voyageurs permanents. Inutile de dire que les longues discussions avec eux alimentent mon goût prononcé pour les voyages !

 

 

 

Je les accompagne pendant quelques dizaines de kilomètres lors de leur départ.

 

 

Quelques mois plus tard, à lapproche de Noël, ils me font limmense plaisir de repasser chez moi. Depuis notre première rencontre (relation de cause à effet?), jai commencé à préparer un futur voyage autour de la méditerranée.

Quant à eux, ils ont ce projet un peu fou de rejoindre lAfrique du sud. Je suis impressionné devant leur détermination. Je me souviens de la phrase de David : «Nous avons 4000 dollars » (il venait de travailler deux mois en Suisse) «Cela devrait suffire pour rejoindre le Cap ».

Ils quittent Tarbes par une journée pluvieuse, juste après Noël 1997. 

Je croise les doigts pour quils trouvent le soleil après avoir franchi le long tunnel dAragnouet-Bielsa qui relie la France à lEspagne … et cest le cas après un épisode neigeux coté français!

 

 

 Arrivée en Afrique

Au Maroc, ils entreprennent de longues démarches pour obtenir les visas pour le Cameroun, le Niger, le Nigéria.

Ils installent leur campement à 20 kilomètres dAgadir. Leur périple africain ne débute pas de la meilleure des manières : un soir, David est mordu par un serpent à la cheville gauche ! Après cinq jours difficiles, il retrouve un semblant de forme et ils entament leur descente jusquà Dakhla.

 

 

Cote atlantique marocaine

 

Campement au sud d'Agadir

 

 

 

 Sur leur route, à proximité de Tan Tan, ils demandent à un jeune Marocain devant une modeste maison s'il peut leur donner un peu deau. Ce dernier insiste alors pour quils viennent rompre le jeûne du ramadan avec sa famille. Ils se voient offrir le lit conjugal pendant que le jeune couple va dormir par terre dans la pièce à coté…

 

 

En route pour Dakhla

 

 

A Dakhla, David remarque quun goujon de cylindre est HS. Il entreprend sa réparation avec un hélicoïl dans une semi obscurité alors que le départ pour la frontière mauritanienne est prévu pour le lendemain. Il trouve également un vieux Metzeler Sahara 3 quil doit entailler sur le flanc car il frotte sur lamortisseur!

La traversée de la Mauritanie savère délicate sur ces pistes sablonneuses où lattelage se retrouve souvent bloqué. Le flat twin hurle à haut régime pour se sortir de ces passages délicats et lembrayage surchauffe.

 

 

Séance de réparation dans le désert après un tonneau de l'attelage dans une dune de sable (avec Emy blessée)!  

 

 

La piste longe locéan; sur la plage, il leur faut se dépêcher pour faire face à la marée montante. Les vagues les plus fortes les aspergent et Emy doit régulièrement se mettre sur le garde-boue pour équilibrer lattelage car le sol est en devers.

 A leur arrivée à Kiffa, David est malade. La douleur dans sa jambe a persisté. Le venin a affecté le muscle.

La moto ne va guère mieux avec des roulements de direction très fatigués. Ils pourront être changés à Bamako.

 

Pendant que papa répare, Mattea attend en compagnie des enfants. 

 

 

 

 

Cest ensuite larrivée au Burkina Faso. Les trois voyageurs ont leurs habitudes pour organiser les bivouacs. Dabord séloigner de la route ou de la piste, trouver un endroit isolé, arrêter le moteur, écouter les bruits autour deux. Sil ny a pas trace de présence humaine, revenir sur ses pas et effacer toute trace de leur passage.

 

Campement au Mali

 

 

 

Ensablement dans le Sahel

 

 

 

La famille au complet et son fidèle attelage 

 

 

Fille unique mais jamais seule... 

 

Le Nigéria ne leur laisse pas un bon souvenir. Contrôles incessants, violence omniprésente. La traversée de lAfrique nest pas un long fleuve tranquille...

 

 

 

Cest ensuite le Cameroun qui les accueille. Ils séjournent à Douala où Emy rencontre … un cousin. Ce dernier travaille sur un bateau accosté sur le port. Ils sont invités à bord et repartent avec un carton rempli de 60 (!) paquets de nouilles qui seront rangés dans le nez du side-car. Ces nouilles savèreront en fait précieuses, notamment au Zaïre tant il y est difficile de trouver de la nourriture.

Au Cameroun, ils découvrent la jungle et aussi la boue qui va avec. Lattelage souffre sur ces pistes difficiles et le faux cadre finit par lâcher.

Lentrée en République Centre Africaine commence mal. Alors quils ont payé les frais de douane (30 dollars), le capitaine leur demande 10 dollars supplémentaires un peu moins officiels... Devant le refus de David, il enferme alors leurs passeports dans un tiroir fermé à clef ! La résistance de la petite famille sorganise alors en installant leur campement devant les bureaux! On tente de les en empêcher mais David rétorque quils sont responsables de leurs passeports, propriété du gouvernement australien. La nuit sécoule et le matin, le lieutenant les réprimande mais leur rend les précieux documents…

Ils peuvent enfin fouler le sol centre africain mais un premier contrôle de gendarmerie a lieu 25 kilomètres plus loin. On leur demande 30 dollars… Refus ferme. On finit par les laisser partir. Les barrages se poursuivent malheureusement sur cette route.

 

République Centre Africaine

A leur arrivée à Bangui, ils assistent à la fuite dun homme ensanglanté avec le regard rempli de détresse, poursuivi par une foule sous le regard indifférent de lofficier qui est avec eux devant cette scène de lapidation. Ils trouvent un terrain appartenant à un expatrié canadien où ils peuvent planter leur tente.

Les nouvelles sont mauvaises. Ils apprennent en effet que la frontière avec la République Démocratique du Congo est fermée. Ils se retrouvent dans une impasse. Ils décident de rester quelque temps ici en espérant que la situation va sarranger.

Bangui est une ville repoussoir. Bâtiments pillés, nombreux immeubles truffés dimpacts de balles, camions dépouillés dont il ne reste plus que le châssis.

Pour ne rien arranger, David a une crise de paludisme.

Pour parachever ce tableau bien noir, une tempête sabat sur la ville et cinq arbres autour deux sécrasent dont lun tout près de la tente où se trouve Emy à ce moment-là!

Durant la nuit, la fièvre de David augmente dangereusement. Il sent quil a atteint «labîme ». Il rampe sous la tente, donne tous les papiers à Emy en lui expliquant comment rentrer en Angleterre.

«Je me suis excusé de ne pas avoir été meilleur mari ou meilleur père. Emy ma massé dans la nuit. Jai fini par succomber au sommeil et, le matin, au réveil, la fièvre avait diminué. Jétais faible et misérable, mais vivant ».

 

Le marathon infernal en République Démocratique du Congo

Peu après, ils apprennent la réouverture de la frontière. Après une traversée délicate, ils pénètrent en République Démocratique du Congo. Ils ont un visa valable 30 jours, 2000 kilomètres à parcourir et leur première étape effectuée à 30 km/h de moyenne leur annonce la couleur : il va être difficile de tenir les délais…

En effet, outre létat de la piste, les contrôles routiers sont incessants et souvent tendus. De largent est systématiquement demandé, les soldats sont parfois ivres! La tension est très souvent présente lors du passage de ces barrages.

Quant à la population, elle peut être accueillante ... ou pas, et parfois menaçante.

La boue est omniprésente et lembrayage souffre énormément. Les 117 kilomètres entre Gemena et Akula sont parcourus en 7h30! Après une nuit de repos, David sattaque à la réparation de lembrayage de la moto sous le regard dune foule curieuse. Dans la boue, avec peu doutils, cela lui prend 7 heures. Pendant ce temps, Mattea joue avec les enfants. Quand David démarre la moto pour aller lessayer, la foule, manifestement heureuse du dénouement, applaudit!

Il leur fut poursuivre leur chemin. Les passages des ponts sont délicats. Ils sont souvent en très mauvais état et il leur faut sécuriser leur passage en posant des branches et des pierres dessus.

La fatigue saccumule chez les trois voyageurs. La piste est parfois impraticable et il leur faut abattre des jeunes arbres à la machette pour se frayer un passage.

Ils arrivent épuisés à Aketi et sinstallent dans une mission catholique. David sécroule et sombre immédiatement dans le sommeil mais deux responsables de limmigration arrivent en exigeant leurs passeports et les convoquant le lendemain dans leurs bureaux.

Quand David arrive dans les locaux, on commence (rengaine connue...) à lui demander 30 dollars. Refus de sa part. Leurs passeports sont alors enfermés dans un tiroir. Après deux heures dattente, David rejoint Emy qui a chargé le side-car. Ils retournent au service de limmigration où on leur apprend que le chef est parti pour la journée! Cen est trop! David rentre dans son bureau et récupère les passeports.

Ils quittent la ville comme des voleurs, sont très vite retardés par des ponts de fer où ils doivent mettre au fur et à mesure les planches de bois encore présentes entre les poutres.

La piste se dégrade et il leur faut sextirper de cette boue qui enserre lattelage. Arrivent quatre hommes qui leur proposent leur aide moyennant un peu dargent. Une fois payés, ils deviennent insistants. David monte sur la moto alors que les quatre hommes entourent lattelage, menaçants. Un coup de kick et un démarrage brutal leur permettent de se libérer mais les quatre hommes entament leur poursuite en courant derrière eux! Trois kilomètres plus loin, ils doivent traverser 20 mètres deau profonde. Lattelage senfonce dangereusement. Heureusement, deux hommes sur une petite moto japonaise viennent à leur secours et les aident spontanément …. et sans solliciter de largent.

Ils arrivent 12 kilomètres plus loin en compagnie de ces deux hommes à Dulia où ils trouvent un petit hôtel. La propriétaire fait chauffer de leau. Ils peuvent se laver avec de leau chaude, cela ne leur était pas arrivé depuis des mois et cest un véritable bonheur!

Le lendemain, ils parcourent les 75 kilomètres jusquà Buta en… 8 heures! On leur demande de camper derrière le service de limmigration. Les soldats ont été informés quils avaient récupéré leurs passeports à Aketi sous la menace dune arme et quils vont passer au tribunal! Après un très rapide «procès», ils sont condamnés à payer 100 dollars quils parviennent à négocier à la baisse jusquà 75 dollars.

Malgré toutes ses épreuves, David parle de son amour pour ce continent. Derrière le comportement parfois détestable de certains, il noublie pas que, pendant la période de la colonisation, le roi belge avait fait preuve dune grande cruauté et se demande si lattitude de certains habitants nest pas lhéritage du «pillage colonial impitoyable».

Et cest sur ce continent que sest renforcée la paix intérieure quEmy et lui avaient en quittant lEurope. Cette incertitude permanente sur les routes et pistes africaines les a aidés à se découvrir un peu plus.

Le premier bivouac après leur départ de Buta se trouve près dun groupe de huttes. Laccueil y est chaleureux, un homme les amène près dune source pour quils puissent se laver et puiser de leau. «La nuit fut belle, nous avions de lherbe douce sous nos pieds, un peu de nourriture pour nos estomacs, des voisins amicaux, un magnifique ciel étoilé et nous étions au coeur de lAfrique».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avant de quitter ce lieu paradisiaque, il lui faut bricoler la moto qui refuse de démarrer, puis la pluie fait son apparition. La piste devient un tunnel et ils doivent se frayer un chemin dans cette jungle épaisse. La visibilité est très mauvaise, même avec les phares allumés. Ils sembourbent régulièrement. Emy et Mattea sont souvent obligées de marcher à coté de lattelage. Soudain, une énorme flaque deau alors que la nuit arrive. Puis le moteur se tait! Il ny a plus dessence. David démonte le réservoir, nettoie les filtres, fait transiter le peu dessence restant du bon coté du réservoir. Cela leur permet darriver, exténués, dans un petit village où ils peuvent sabriter dans une hutte providentielle.

Autour, cest rapidement lattroupement. «La vie privée est un concept occidental».

Le lendemain, il leur faut traverser la rivière après une longue négociation pour faire baisser le prix du passage de 100 à 10 dollars!

Pour franchir cette rivière, rien de plus simple. Deux pirogues attachées et quelques planches fixées entre elles pour y installer l’attelage…

 

Sur lautre rive un chef de police «belliqueux et méchant» les soumet à un véritable interrogatoire dans une atmosphère hostile.

Quand ils le quittent, cest pour trouver une piste ardue où ils effectuent 20 kilomètres pendant les deux premières heures. La course contre la montre se poursuit avec leur visa qui sapproche de la date dexpiration.

A lentrée de Kisangani, un policier leur dit que leurs papiers ne sont pas bons et exige de largent. Eternel refrain… Il ajoute que la route jusquà Bukavu est peut-être impraticable à cause de la guerre.

David entreprend de réviser sa moto qui a énormément souffert. La boite à air est remplie de boue! Le moteur du démarreur également.

Au départ de Kisangani, ils ne parcourent que quelques centaines de mètres en une heure dans de profondes ornières. La journée est de nouveau éprouvante et ils font une halte dans un village où on leur permet de dormir dans une cabane vide. Mais, envahis par des moucherons, ils doivent monter leur tente. De son coté, David soccupe de lembrayage qui a beaucoup souffert.

 

Une nouvelle étape les attend, encore plus ardue avec dix kilomètres parcourus en trois heures! Lembrayage surchauffe et il ny a plus de freins à lavant! Dans une longue descente, lattelage prend de la vitesse et David na pas dautre alternative que de bifurquer à droite, vers un terrain herbeux. Lattelage senvole et atterrit au milieu dun groupe de huttes devant lesquelles une femme bat le grain. Les gens semblent médusés devant cette soudaine apparition, bouches ouvertes, yeux écarquillés. David leur dit juste «Bonjour. Vous allez bien» puis «Au revoir et bonne chance» et ils rejoignent la piste. Des années après, il ne pourra sempêcher de penser que cette histoire restera gravée dans les mémoires de ces habitants...

Peu après, lattelage se retrouve submergé par leau dans une énorme flaque, la batterie installée à lavant du siège du side-car produit des étincelles peu rassurantes et doit être précipitamment débranchée!

David est découragé en se demandant combien de trous de ce genre ils vont devoir franchir jusquà Bukavu et sil ne serait pas plus rapide de marcher vers le Rwanda... Pendant un court instant, il a cette idée folle de récupérer les papiers et quelques bagages et de mettre le feu à lattelage!

Mais la volonté reprend le dessus et ils luttent toute la journée pour avancer un peu plus avec lespoir de parvenir à temps à la frontière.

Une nouvelle journée les attend, avec toujours ce combat permanent pour parcourir quelques maigres kilomètres. Sur les 150 kilomètres jusquà Lubutu, il leur faut pousser lattelage pendant 70 kilomètres! Lembrayage est au bout du rouleau, David et Emy aussi! La boue ne cesse de les engloutir et lépuisement sinstalle. Alors quil leur reste 35 kilomètres, ils se posent la question de réparer lembrayage sur le bord de la piste. Cest à ce moment là quun utilitaire Toyota les dépasse. Lhomme leur propose de les remorquer … moyennant 100 dollars.

«Si nous avions 100 dollars, croyez-vous que nous serions en train de pousser?».

David ajoute : «Un jour, nous nous tiendrons tous devant Dieu. Vous nous avez vus coincés dans cette jungle et vous avez exigé un prix élevé. En fait, vous ne vouliez pas nous aider».

Et ils poursuivent leur véritable chemin de croix en laissant lhomme à ses réflexions.

Un kilomètres plus loin, ce dernier les rattrape et leur propose le remorquage gratuit…

Ils arrivent, en fin de journée, brisés, et sinstallent dans la mission catholique. Une demi-heure plus tard, un «vautour» sous la forme dun agent dimmigration tant redouté exige leur présence demain matin dans son bureau.

Cest ce que fait David, accompagné par Mattea. Dans la rue, des soldats arrivent, les encerclent, crient, lun deux le pousse avec un bâton, exige ses papiers. David refuse, Mattea est effrayée. La situation est en train de prendre mauvaise tournure. Un utilitaire avec des soldats à son bord passe à leur hauteur. Un officier en descend et commence à frapper David. Heureusement, ils sont arrivés au bureau de limmigration.

Cest de nouveau une tentative dextorquer de largent. David ne peut sempêcher de demander à lhomme si celui-ci est musulman. Cest le cas. «Le Coran enseigne lhospitalité avec les étrangers. Pourquoi donc me traitez-vous de façon aussi peu respectueuse?». Larrivée du chef de limmigration va avoir un effet imprévu. Lhomme indique alors à son supérieur que son intervention dans la rue avait permis de les tirer dune situation délicate alors quils étaient agressés par les militaires! Et ils sont escortés jusquà la mission pour assurer leur sécurité…

David sattaque alors à la réparation des freins. Il récupère un disque dembrayage dun tracteur en ruine et fabrique avec celui-ci quatre plaquettes de freins! Nouvelle altercation avec des soldats armés sur le marché lors de leur départ le lendemain, puis un barrage avec des soldats ivres, et deux nouveaux contrôles. Au dernier, on leur annonce quils sont dans une zone «militaire» et que la piste jusquau Rwanda est impraticable, et quils devraient faire demi-tour!

Les jours se suivent et se ressemblent avec un nouveau départ à 8 heures, puis un contrôle dune heure trois kilomètres plus loin. Au total, seuls 87 kilomètres sont effectués dans la journée. A Itabero, ils reçoivent un bon accueil dans un camp militaire. David doit de nouveau réparer lembrayage, il va devenir un véritable spécialiste dans ce domaine!

Ce sont les dernières étapes avant le Rwanda. La route est parsemée de véhicules abandonnés, pillés. Beaucoup de transports de troupes. La région na rien de rassurant.

Cest fait, ils sont presque arrivés au Rwanda. Il est temps, leur visa expire demain! Mais il leur faut franchir un nouveau barrage où, encore une fois, on tente de leur soutirer de largent. La tension monte. Profitant dun moment dinattention, David monte sur la moto et démarre! Ils nen peuvent plus de ces contrôles au cours desquels il est impossible de savoir sils ont affaire à des soldats du gouvernement ou des rebelles.

La nuit tombe et ils installent leur campement. Un homme sapproche deux, leur dit quil a une ferme un peu plus loin. Il part, revient avec des pommes de terre bouillies et un œuf pour Mattea. Geste simple et généreux qui leur réchauffe le coeur.

 

 

Génocide rwandais

Le lendemain, ils pénètrent dans Bukavu en évitant les postes de contrôle. Il leur faut maintenant rejoindre la frontière. Ils rencontrent un travailleur de lONU qui leur donne les pistes pour rejoindre discrètement la frontière.

Cest fait, après un mois dune rare intensité, ils sont au Rwanda. Avant daller plus loin, lembrayage nécessite de nouveau quelques soins et cest en prélevant celui dune Renault que David parvient à le remettre en état.

Alors quils séjournent dans une mission catholique, ils assistent à larrivée dun groupe de missionnaires américains. Ils ont alors le sentiment de ne pas être les bienvenus ici, comme si ces Américains navaient vu en eux «quune famille en lambeaux, une image de léchec à leurs yeux, loin du culte de la victoire prônée aux Etats unis. Nous étions des perdants, pas dignes dêtre pris en considération». David a retrouvé dans leur attitude celle que certaines personnes de l’Église leur avait déjà montré en Angleterre, à Hong Kong et en Australie.

Heureusement, au même moment, il y a ces hommes, Félix et Emmanuel, qui leur offrent leur aide, un petit endroit pour remettre en état la moto très fatiguée. David apprécie ces moments de partage avec Emmanuel, dans ce petit atelier. Son compagnon doit souvent lui emprunter des outils et David finit par lui demander: «Emmanuel, vous êtes un très bon mécanicien, pourquoi navez vous pas doutils».

Lhomme lui répond : «Ils sont venus chez moi, ont tué ma femme, mes enfants, ont emporté ma télévision et mes outils».

«Ce jour-là, j’ai compris que notre épreuve était minime comparée à celle de ce Tutsi victime du génocide rwandais. J’avais Emy et Mattea avec moi, ma trousse à outils et ma télévision était cette Afrique que je traversais. Je me suis senti honteux et impuissant».

 

 

Après le Rwanda, cest lOuganda qui les accueille ... et aussi leur premier troupeau de zèbres. Ils sarrêtent dans un camping tenu par un Australien. Depuis leur départ de Bamako au Mali, cest leur première confrontation avec dautres voyageurs. David essaie dengager la conversation mais se retrouve à court de mots…

Dans le bloc sanitaire, il se voit dans une glace. Depuis combien de temps cela ne lui est-il pas arrivé? Il a une trace noire sur son épaule, et il pense alors à tous les poteaux de brousse quil a coupés pour soulever lattelage embourbé. Il en a gardé la trace physique…

Un jeune Allemand vient les aborder. Il a eu vent de ces voyageurs «un peu fous» ayant traversé la République Démocratique du Congo et les invite à séjourner chez lui. David trouve du travail; il est temps de remettre à niveau le budget de la famille mis à mal par cette traversée africaine. Puis, cest lentrée au Kenya.

En Zambie, il est de nouveau embauché dans une propriété destinée à être transformée en gîte. Ils y restent six semaines au milieu dun environnement où les hippopotames, lions et autres éléphants sont nombreux. David et Emy sont heureux de faire découvrir cette faune à la petite Mattea dont lenfance aura été extraordinaire. Depuis ses deux ans, elle aura vécu dans un nomadisme permanent à travers le monde. Javais dailleurs noté lors de leurs deux séjours chez moi à quel point elle avait un énorme esprit douverture et une grande faculté dadaptation aux situations rencontrées. Et, grâce aux cours envoyés par lécole de Brisbane et dispensés par ses parents, javais pu me rendre compte de lexcellence de son niveau scolaire.

 

 

Mattea fait ses devoirs

 

Leur long voyage arrive doucement à son terme. Avant de quitter la Suisse, David et Emy avaient participé, la veille de la date limite de dépôt des candidatures, à la loterie pour l’obtention de la green card qui permet aux citoyens non américains de s'installer et de travailler légalement aux Etats-Unis sans avoir besoin de visa. C’est en arrivant à Kampala qu’ils apprennent avoir été tiré au sort.

Leur avenir passe par le continent américain. Arrivés à Johannesbourg, ils achètent trois billets d'avion pour Miami et s'envolent pour les Etats Unis.

Etonnamment, l'arrivée sur le sol américain s'avère plus difficile que prévu.

Ils finissent par s'installer dans un village de Géorgie, un peu «intolérant» où leur intégration est difficile. Mais, la persévérance fait partie de leurs qualités (j'ai pu m'en rendre compte!) et, dans la petite propriété où ils s'installent, ils défrichent les terres, plantent des vergers, élèvent quelques animaux, construisent des chambres d'hôtes et un atelier où David restaure les vieilles BMW et quelques anciennes motos anglaises. Je pense que l'on peut lui confier les yeux fermés sa monture après sa longue expérience de «voyageur-mécano»…

Et, en guise de conclusion à ce voyage au long cours hors norme, ces paroles de David:

«Je sais que le but dans la vie n'est pas l'accumulation de richesses ou de pouvoir, mais de devenir la personne que vous êtes censé être».

 

 

 
 Couverture du livre publié en 2022