Le 5 mars 1987, c’est avec un appétit certain que j’entrepris la lecture de mon hebdomadaire. Ce dernier avait décidé de comparer la Transalp à la Kawasaki KLR qui avait enthousiasmé un des journalistes de la revue. Cerise sur le gâteau, c’était Christian Lacombe qui était chargé de l’essai et j’appréciais régulièrement ses conclusions dans ses reportages.
Sa première démarche , plutôt inhabituelle, mais ô combien intéressante, fut de la montrer à quelques concessionnaires de marques concurrentes. Le résultat fut sans appel : « Ils ont tous fait la gueule à la vue de la Transalp, mais seulement par dépit. Tous la voudraient en vente dans leur magasin et tous pensent qu’elle va faire un tabac…Après avoir fait un petit tour dessus, ils sont carrément convaincus. On nous a même dit que la Transalp piquerait de la clientèle à BMW et d’argumenter qu’elle réunit le sérieux, la discrétion et l’efficacité, qualités auxquelles les amateurs de la marque allemande sont très sensibles ».
L’essai débuta par l’autoroute à 150 de croisière, terrain sur lequel la Transalp révéla ses qualités face au gromono de sa rivale ; cette dernière dut, pour suivre ce rythme imposer un « vissage » de la poignée de gaz.
En outre, cette étape autoroutière confirma une qualité nouvelle dans la catégorie des trails.
« A fond, la 650 KLR se fait légère du nez, mais nous sommes loin des ondoiements qui caractérisent les autres trails et ceci à des vitesses bien inférieures. La Transalp file comme sur un rail et se guide d’une main. Ainsi, on peut mettre taquet (180 km/h compteur). La stabilité de la Transalp est comparable à celle des meilleures routières ».
« Le 150 de croisière peut être soutenu à l’infini, une vitesse couramment utilisée par les routards ( Cela, c’était avant la multiplication des contrôles radars en vigueur actuellement !).
« Question fiabilité, la Transalp doit tout démontrer. A priori, le moteur inspire confiance (pure sensation dictée par l’expérience), mais il faut savoir qu’il est techniquement très proche de celui du VT 500 dont de nombreux exemplaires ont déjà dépassé les 100 000 bornes et qui, dans sa jeunesse, a seulement souffert d’un petit problème d’étanchéité de segmentation ».
A cette époque, ma VTE 500 totalisait effectivement pas loin de 75 000 kilomètres et, après deux voyages en Grèce et surtout en Algérie dans des conditions très difficiles, se portait comme un charme malgré l’installation d’un side-car de 100 kilos depuis un an.
La deuxième partie de l’essai emprunta la Nationale 20 à un rythme peu raisonnable, témoignage d’une époque bien révolue… En voilà quelques extraits :
« Faisant fi des limitations, nos deux bécanes poursuivent à un rythme impensable pour un trail (bravo pour la KLR qui suit il est vrai à fond de gaz). Les petits trains de voitures qui déambulent à 100/110 sont rattrapées, puis avalées …. comme avec une routière tout en restant sur le rapport supérieur. Au test de reprise( en 5 ième), la Transalp est meilleure que la KLR dès 70 km/h. A 120 km/h et plus, le V-twin consolide son avantage. Le bicylindre, qu’il soit en V ,parallèle ou à plat, est par excellence le moteur de moto et ceci depuis la nuit des temps. C’est un moteur qui a du caractère (plus qu’un quatre cylindres, mais moins qu’un mono), facile d’entretien et surtout plus fiable qu’un mono. C’est le moteur du meilleur compromis efficacité-plaisir-coût. Le gromono, particulièrement celui du KLR, nous enivre avec sa poussée dans les bas régimes, en dessous de 4000 tr/mn. Mais alors, il faut savoir que la mécanique souffre le martyr. Le pom-pom-pom jouissif à l’oreille et aux sens est en fait une source d’ennuis futurs pour la mécanique. Pour la longévité du gromono, mieux vaut rester dans des régimes supérieurs à 4000 tr/mn, éviter de faire chauffer la mécanique au ralenti. Le moteur de la Transalp est un modèle de douceur et de souplesse pour un twin. Il accepte sans rechigner la remise des gaz en 5ième dès 2500 tr/mn et la montée en régime se poursuit dans l’allégresse et sans faille jusqu’à 9000 tr/mn ».
Cet essai me confortait dans l’idée qu’un V-twin était mécaniquement un bon choix et d’ailleurs, j’appréciais au quotidien le comportement de ma moto, qui conciliait les avantages du quatre cylindres avec sa souplesse et ceux du gromono, avec son caractère.
« Passé Limoges, les grandes courbes attaquées à 150 km/h nous permettent une nouvelle fois d’apprécier la superbe stabilité de la Transalp qui s’y inscrit avec la précision de direction …. d’une routière. Celle de la KLR est à la limite du flou artistique et il faut pousser la Transalp à son maxi en performance pour distinguer ses limites ».
Le journaliste rend là un bel hommage à cette nouvelle Honda qui révèle de grandes qualités inhabituelles à l’époque dans la catégorie des trails.
« Paris-le Lot, un voyage qui m’est ô combien familier et sur lequel j’ai testé une multitude de motos de tous types. Eh bien avec ces deux-là, nous avons fait un temps (que je tairai) supérieur d’un petit quart d’heure au record détenu par une ultra sportive avec, à l’arrivée, le sentiment d’avoir roulé sans prendre de risque … et sans fatigue ».
Bref, le trail s’éloignait du concept originel en améliorant ses capacités routières et, avec le V-twin de la Transalp, en possédant des performances enviables.
Seule la consommation de 8 litres aux 100 me paraissait élevée, mais vu le rythme de l’essai, il était difficile de battre des records en la matière !
La fin de l’essai sur les routes sinueuses du Lot.
« La Transalp est maniable, mais elle n’a pas l’agilité d’un trail qui, dans les enfilades serrées, se manie du bout des fesses alors qu’une moto comme la Transalp se conduit avec les guidons ».
« Pour en revenir à l’agilité, je serais curieux d’essayer la Transalp avec une roue de 19 pouces à la place de la 21 qui n’est pas vraiment utile sur ce genre de machine et qui, de plus, « abîme » l’esthétique ».
Sur ce sujet, Honda donnera satisfaction au journaliste …. 20 ans plus tard, lors de la sortie de la Transalp 700, effectivement beaucoup plus vive.
La conclusion de cet essai ?
« UN : la Transalp n’est pas un trail.
DEUX : elle affiche des qualités routières étonnantes et devrait satisfaire ceux qui cherchent une moto ultra polyvalente ».
Avec le recul, je réalise à quel point la Transalp avait défriché un nouveau terrain et son homogénéité était telle que le succès paraissait évident pour ce nouveau modèle de la gamme.
Quant à moi, je continuais à me polariser sur l’absence de cardan et la consommation d’essence élevée pour me convaincre qu’elle n’était pas faite pour moi. Sachant que mon budget ne me permettait raisonnablement pas de me l’offrir, peut-être qu’inconsciemment, je cherchais les arguments pour ne pas me laisse tenter….