Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Quatrième partie:1993-2007 (2014-....), le bonheur motocycliste ou quatorze années (et plus....) au guidon de mes trois (quatre... cinq) Honda Transalp - Etat de grâce

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70 km/h. je laisse le V-twin prendre sa température sur la rocade nord de Pau. J’ai 400 kilomètres au programme.

Il y a une heure, au lever, un coup de téléphone imprévu. Il fallait que je vienne rapidement.

Je suis inquiet, comme on peut l’être quand un de ses proches a de gros problèmes de santé, mais j’ai conscience qu’il va me falloir faire abstraction de  tout cela durant le parcours. La conduite d’un deux roues ne pardonne pas un cerveau « absent ».

Je quitte la ville par la route des coteaux. Cela débute par une montée et trois virages. Je sens immédiatement que je suis dans le rythme. Depuis que je roule en moto, j’ai appris à reconnaitre les indices propices à une conduite « enlevée ». C’est le cas aujourd’hui ; il fait beau, pas trop chaud, ma nuit fut récupératrice, je me sens bien posé sur ma moto, et je prends de l’angle dans ces premiers virages avec un grand sentiment de sécurité. Mes trajectoires sont précises, j’ai l’esprit vif.

Très vite, je quitte la route de Lembeye, direction Vic en Bigorre. La départementale est étroite et je reste un petit moment derrière un camion.  Une petite ligne droite que j’ai anticipée par un début d’accélération dans le virage et j’avale le poids lourd sur ma lancée, en cinquième, en remerciant d’un geste de la main le conducteur qui m’avait fait signe que la voie était libre.

Libre, c’est ce que je ressens sur cette route déserte alors que ma Transalp semble avoir trouvé son régime de croisière. J’alterne les kilomètres sur le plateau, qui m’offre une belle vue sur les Pyrénées, au loin et  dans les descentes qui me plongent dans les parties boisées.

L’itinéraire choisi est varié, avec de courtes lignes droites entrecoupées de dénivelés sinueux. Je prends plaisir à « lire » la route, afin d’arriver dans le bon tempo dans les successions de virages, j’aime parvenir à éviter le freinage tout en gardant une bonne vitesse ; je soigne mes rétrogradages qui sont  précis, rapides et doux ; la moto se relance sans le moindre à-coup.

J’ai tous mes sens en éveil, prêt à réagir au moindre évènement extérieur. Mon corps est à l’écoute des réactions de ma Transalp,  ses suspensions  réagissent aux nombreuses inégalités,  avec un léger dandinement que j’accompagne. Je suis maître à bord  et je sais que rien ne va perturber cette impression d’équilibre entre mon équipage et son environnement.

J’arrive à Vic en Bigorre, les ralentisseurs sont effacés en souplesse par les grands débattements et mes jambes alors que je me relève sur les repose-pieds.

Peu après, je rejoins la route d’Auch, à peine plus fréquentée. Je prends plaisir à calculer la vitesse à laquelle je dois arriver sur les véhicules qui me précèdent pour pouvoir les dépasser sans rupture de rythme, en évitant tout freinage.

Bien que concentré sur mon pilotage, je n’en apprécie pas moins les paysages traversés. Je ne m’attarde pas dessus, mais je les reçois, par bribes, comme un cadeau, un petit bonheur supplémentaire pour accompagner ma journée sur la route.

 

La preuve de mon bien être, c’est que j’ai oublié mes pneus pourtant usés après 18 000 kilomètres ; c’est comme si j’étais en train de les arrondir avec des prises d’angle volontaires et sereines.

Auch : je décide d’éviter le centre-ville. Il y a de la circulation, mais je parviens à m’immiscer, dans le flot de voitures avec agilité. Ma moto est très forte dans cet exercice et, aujourd’hui, je suis son prolongement. Tout coule de source, les voitures deviennent des obstacles que je prends plaisir à effacer rapidement, sans rupture de rythme.

Peu avant Mauvezin,  c’est une succession de courbes qui m’attend. A 110-120 km /h, je les aborde en soignant mes trajectoires. Le V-twin est dans sa plage de régime favorite. Je le sens qui respire bien et sur des accélérations un peu plus appuyées pour effacer les voitures qui me précèdent, le compteur flirte avec les 140 km/h avec facilité. Je crois que le vent est mon ami sur cette longue étape et qu’il me pousse un peu ; je ne ressens pas de turbulences et le 600 cm3 donne l’impression d’avoir un peu plus de cylindrée que d’habitude.

 

Même l’arrêt à la station d’essence participe à cet état de douce euphorie ; c’est une très gentille dame qui vient me servir et entame un brin de discussion ; cela faisait longtemps que je n’avais pas eu à faire mon plein moi-même. Je crois que, la dernière fois, c’était lors de l’essai de la NCX 750, en décembre 2013, en Espagne.

J’arrive à Castelsarrasin, chez ma sœur, l’occasion d’une courte halte.

Nouveau départ et la magie continue d’opérer. Malgré cette coupure, je suis toujours en « état de grâce », en totale harmonie avec ma moto. A la sortie de Moissac, j’emprunte la route sinueuse qui se dirige vers Dufort-Lacapelette.

Dans la montée avant le village, il y a une longue suite de virages plus ou moins prononcés, qui semblent intimement liés les uns aux autres ; il est indispensable de bien entamer les premiers pour que les suivants en deviennent le prolongement naturel. Et c’est ce que j’arrive à faire, en évitant une vitesse trop élevée au départ, puis en augmentant le tempo. La moto virevolte d’un virage à l’autre, bien campée sur ses Michelin, je n’utilise que le frein moteur, ne touche pas à la poignée de frein, je suis en extase, comme lorsque je joue une partition équilibrée du début à la fin avec mon accordéon diatonique. Si l’on pouvait illustrer un moment de bonheur, il pourrait avoir la forme d’un petit film de ces quelques kilomètres parsemés de virages.

 

La joie de rouler se poursuit  avec une descente que des virages serrés cherchent à perturber. Même lors de ces forts ralentissements avec des freinages plus appuyés,  j’ai ce sentiment très agréable de dominer mon sujet. A aucun moment, ne serait-ce que l’espace d’une seconde, je n’ai ressenti le moindre doute, la plus minime frayeur ou la nécessité de rattraper une erreur de pilotage. Je conduis relâché et ne ressens aucune fatigue.

Alors, je continue de rouler, ne voulant pas interrompre cette douce béatitude.

Je rentre dans le département du Lot, la végétation se fait moins dense, les plateaux calcaires font leur apparition.

Du haut de son rocher, la cité médiévale de Lauzerte me regarde passer.

 

J’arrive à  Cahors. J’aime beaucoup cette ville où j’ai passé trois années, mais l’heure n’est pas au tourisme et je contourne la ville. Ce n’est pas aujourd’hui que je m’attarderai sur le beau pont Valentré.

J’ai ensuite 100 kilomètres jusqu’à Brive, via la N20, réputée lors de ma jeunesse pour ses embouteillages pendant les périodes de vacances.

Avec l’autoroute voisine, elle est devenue un tronçon déserté mais ô combien agréable. Je continue à me régaler avec des placements précis à l’entrée des virages. J’ai la musique du V-twin pour cadencer cette étape.

La longue descente sur Figeac est délicate.  Les courbes peuvent donner l’illusion de facilité mais le dénivelé important complique la tâche. Dans la continuité des 300 kilomètres déjà parcourus, je conserve une fluidité dans ma rythmique, sur le quatrième rapport, pour un soutien efficace et discret du frein moteur jusqu’au pont qui enjambe le Lot. Une descente divine, d’où je pouvais apercevoir, la vallée, au loin.

Une fois en bas, il faut remonter ! Cela dure moins longtemps mais je plonge avec délectation dans les virages serrés qui ponctuent la remontée sur le plateau.

 

Les bois de plus en plus touffus annoncent l’arrivée dans le département de la Corrèze.

Après une brève incursion sur la quatre voies qui contourne Brive, je retrouve la nationale abandonnée. La route grimpe et j’enchaîne les virages sur un rythme que je qualifierais d’allegro ma non troppo ; à chaque fois, je couche la moto sans violence mais avec détermination et ma Transalp adore ça. Un virage se referme, mais j’ai déjà le regard porté vers la courte ligne droite qui suit et la moto s’y dirige sans l’ombre d’une hésitation.

Ce sont les derniers kilomètres, je pose la moto sur sa béquille latérale.  Je la regarde avec beaucoup d’affection après ces 400 kilomètres en état de grâce, de bout en bout.  Un moment unique.