Le moteur est vraiment un élément essentiel sur une moto.
Voilà la réflexion que je me fais après avoir parcouru deux kilomètres au guidon de la Triumph Street Scrambler 900. Autant sur une voiture, je suis peu regardant sur le type de motorisation (hors diesel que je déteste), sur une moto, je sais que mon adhésion ou mon rejet va dépendre grandement des sensations générées par le bloc de métal situé sous le réservoir.
Et, avec la Street Scrambler, il se passe quelque chose. La moto me raconte tout de suite une histoire, celle des vieux moteurs dont j’entendais parler quand j’étais gamin. Les moteurs longue course (dont la course, le déplacement du piston, est supérieure à l’alésage, le diamètre du cylindre) ont peu à peu disparu du catalogue des constructeurs sous l’impulsion des Japonais. Ces derniers, dans les années 60-70, sont arrivés et ont proposé des moteurs beaucoup plus performants que ceux des constructeurs en place, les Anglais, Allemands et Italiens. Les zones rouges ont migré vers des sommets jusque-là inaccessibles.
Pour ma part, j’ai très vite constaté que mon plaisir résidait dans l’utilisation du moteur dans la plage de régime basse, celle où je ressens les pulsations des pièces mécaniques lorsque je les sollicite avec la poignée de gaz.
Ce qui me marque, dès mes premiers tours de roues avec cette Street Scrambler, c’est de constater à quel point son bicylindre se complait dans les régimes les plus bas. Cela commence dès le relâché d’embrayage en première et cette caractéristique qui m’est si agréable va me suivre tout au long de l’essai. Bercé par le pom-pom très discret s’échappant du (très beau) double échappement, je vibre à l’unisson avec ce moteur. A l’accélération, je vois sur le compte-tours numérique le régime moteur monter paisiblement par tranche de centaines de tours. Mais, parallèlement, la vitesse augmente sensiblement, démontrant qu’il est loin d’être fainéant, même s’il ne rivalise évidemment pas avec son grand frère le 1200 Scrambler que j’ai eu le plaisir d’essayer il y a quelques semaines.
Avec ce 900, c’est une autre dimension, je sens un moteur attachant et, plus je roule, plus je l’apprécie. A 100 km/h sur le rapport supérieur (cinq vitesses seulement mais cela ne gêne aucunement, je trouve même que cela est en phase avec le caractère de ce placide 900 cm3), le compte-tours indique seulement 3200 tours/minute. La moto tire long et cela lui va bien. La souplesse du moteur est impressionnante, il accepte de reprendre à 1500 tours/minute sur le 3ième rapport sans manifester la moindre mauvaise humeur. Sur la route tournicotante menant à Saint Pée de Nivelles, je n’éprouve pas le besoin d’aller au-delà de 4000 tours/minute, même pour dépasser les voitures. La moto les avale sans coup férir, montrant qu’elle dispose d’un bon couple moteur. Je me retrouve aisément à 4000 tours/minute en 5ième, presque à 130 km/h sur une courte ligne droite. Le moteur est discret mais la puissance annoncée est bien là, et à des régimes très bas, tout ce que j’aime. La boîte de vitesses précise et l'embrayage doux complètent ce beau tableau.
Je me laisse porter par le bruit du bicylindre. Il sonne comme son apparence "à l'ancienne" le suggère, le laisse entendre. Je ne peux m'empêcher de faire la comparaison avec la Honda NCX 750 que je connais bien. Honda, le constructeur qui a initié les hauts régimes dès son arrivée sur le marché européen avec la CB 450, a paradoxalement opté pour le moteur longue course dont je parle au début de mon essai. Et, comme sur la Triumph, essayer la NCX 750, c'est se retrouver à des régimes étonnamment bas. Mais, sur la moto japonaise, malgré un bruit tout aussi feutré, c'est une tonalité plus moderne qui s'échappe. C'est difficile à expliquer, je suis vraiment dans la sensation accoustique; la Triumph rappelle ses "ancêtres" alors que la Honda n'a pas de telles références dans la gamme.
Et le reste ? Je vais arrêter ce parler de ce moteur qui m’a fait beaucoup d’effet. Je viens de vérifier la fiche technique et il ne peut d’ailleurs pas être qualifié de longue course mais je trouve que Triumph a su lui donner cette personnalité très particulière à laquelle j’adhère totalement. Une sorte de retour dans le temps. Il est clair que les adeptes des montées en régime ont intérêt à passer leur chemin !
A l’abord des premiers virages, j’ai le sentiment d’être au guidon d’une moto longue. J’ai le souvenir d’un Scrambler 1200 très réactif et agile et la petite sœur ne donne pas dans un premier temps la même impression. Mais, très vite, je peux voir que la moto réagit très bien aux ordres du pilote lorsque je l’inscris d’un coup de guidon dans les virages serrés. Elle est même très amusante à mener et j’ai apprécié le bras de levier offert par le large guidon. Dans ces conditions, je suis surpris de sentir mes pieds si proches de la route. La moto est basse, et le moteur plutôt large et j’ai le sentiment que je pourrais arriver à frotter les repose-pieds si je haussais le rythme. C’est nouveau pour moi car cela ne m’est jamais arrivé avec mes trails depuis 1990 ! Les pneus Metzeler Tourance se marient très bien à la moto et l'ensemble met en confiance.
Je baisse les yeux et je constate que mes genoux n’enserrent pas le réservoir, mais le dessus des platines qui cachent le système d’injection. Il est vrai que le réservoir est particulièrement fin et haut placé. Les grippe-genoux ne me servent pas à grand-chose ! Malgré cela et le pot d’échappement sur lequel j'appuie ma jambe droite, je ne ressens pas de chaleur excessive comme cela avait été le cas sur le 1200. A priori, ce moteur dégage moins de calories.
De temps en temps, la route perd son revêtement lisse et c’est l’occasion de vérifier le sujet qui me préoccupait le plus après avoir constaté les faibles débattements des suspensions. Malheureusement, j’ai la confirmation que c’est un peu trop ferme pour moi. Habitué à la douceur de mes trails successifs, mon corps n’apprécie pas trop les réactions un peu trop sèches sur les cassures de la route. Ce n’est pas un bout de bois, loin de là, mais je crains que, dans la durée, mon organisme ne supporte pas cette relative fermeté.
Quant au freinage, même s’il m’a semblé pas très réactif au début, je me suis vite habitué à sa manière d’être. Il n'est pas violent mais efficace quand on le lui demande( je trouve d'ailleurs qu'il ressemble à celui de ma Honda CB 500 X). Il est en phase avec la personnalité de la machine. Car c’est ce qui ressort de cette Street Scrambler, une moto abordable et efficace dans la discrétion. C’est un trait de caractère qui me convient très bien.
Sa facilité d'utilisation se confirme avec un demi-tour aisé sur une route étroite et la faible hauteur de selle joue son rôle rassurant.
Je la ramène à la concession de Biarritz et la gare près de ses deux grandes sœurs. La différence de gabarit est flagrante, surtout en ce qui concerne la hauteur. Personnellement, sans aller jusqu’aux débattements de la 1200, j’en souhaiterais un peu plus. Cela permettrait de la démarquer de manière plus importante de la Street Twin et surtout d’offrir un meilleur confort pour ceux qui y sont sensibles comme moi. Un débattement de 160-170 mm environ avec des suspensions bien calibrées serait une bonne solution et offrirait en outre des possibilités en tout chemin accrues.
Il s’agit là de l’avis d’un trailiste au long cours et il se peut que les habitués des routières n’y trouvent pas à redire. Un essai chez son concessionnaire me parait être la solution … agréable au demeurant vu les qualités de la machine.
Pour ma part, j’ai passé un très bon moment avec, à mon retour, l’envie de poursuivre l’expérience, ce qui est très bon signe. Je sentais alors que cette moto s’appréciait dans la durée et je me serais bien vu l'emmener faire un tour dans mes Pyrénées tout au long d'un week-end.
PS: j'ai récemment lu que, sur la nouvelle Triumph Tiger 900, le constructeur anglais avait revu l'ordre d'allumage du trois cylindres afin de lui donner plus de caractère à bas régime, comme sur un twin. Vu la qualité de ses bicylindres, je trouverais judicieux qu'un véritable trail soit proposé avec ce type de motorisation. Mais, compte tenu de l'investissement réalisé pour le renouvellement de la gamme des Tiger, je crois que cela restera au stade du rêve.