Il y a deux catégories de voyage. Celui minutieusement préparé dans tous les domaines et laissant peu de place à l'imprévu. Ou, un autre genre, celui qui va vivre sa vie au jour le jour, en laissant l'improvisation diriger les opérations. C'est ce dernier qui sera le nôtre. Au départ, un prétexte, aller voir des amis au fin fond de l'Andalousie et l'envie d'utiliser les 12 jours disponibles en évitant autant que possible les grandes agglomérations et tout ce qui ressemble à une quatre voies.
Cela fait une heure que nous roulons . La pluie persistante au départ du très beau village d’Albarracin s'est transformée en neige fondue et cette route déserte n'en finit pas de s'élever. Quelques plaques de neige font leur apparition. Peu après, c'est un tapis blanc qui se déroule devant nous. Un arrêt s'impose. Le demi-tour parait raisonnable mais le col n'est plus qu'à 3 kilomètres... Jean-Roland est d'accord, on continue. L'atmosphère est magique avec ce manteau blanc immaculé et le silence environnant. A allure réduite, nous faisons la trace sous le regard des sapins fraîchement enneigés. C'est ainsi que nous atteignons le Puerto de Noguera à 1695 mètres d'altitude. Nous venons à peine d'entamer notre quatrième jour de route mais nous avons l’impression d’avoir quitté la France depuis longtemps. Magie du voyage où rien ne semble écrit, où chaque jour apporte son lot de surprises.
J'ai en tête notre première journée à découvrir la magnifique région de la Sierra de Guara. Nous venions à peine de basculer sur le versant espagnol et nous nous sentions déjà loin de chez nous et cela avait un goût incomparable. Alors nous avions flâné, avec de nombreux arrêts pour nous imprégner de ce paysage, sous le charme des amandiers en fleurs, traversant des villages déserts, longeant une rivière asséchée pour achever l'étape du jour dans le séduisant village d'Alquézar.
Puis, il y eut cette seconde journée un peu folle où nous avions opté pour un itinéraire sinueux à souhait. Pendant de longues heures, nous avions vécu au rythme des virages à n'en plus finir, avec la chaîne des Pyrénées, sur notre gauche, qui semblait veiller sur nous. Tremp, coll de Nargo, Berga, Solsona. Droite, gauche, les motos virevoltaient avec leurs deux pilotes, au dessus, concentrés et pleinement heureux.
Le lendemain aurait pu être un peu plus calme à l'image de sa première partie avec une halte bienfaisante dans la très belle ville d'Alcaniz où les cigognes avaient élu domicile mais le choix d'une route secondaire un peu plus loin nous avait fait changer de dimension. Le vert dominant s'était éclipsé laissant la place à la couleur terre avec de nombreux monticules rocheux. De temps en temps, les vergers en floraison nous offraient leur couleur rose intense, les oliviers étaient de plus en plus présents et les maisons blanches avaient fait leur apparition. Il y avait comme un goût de nord du Maroc dans cette région. Nous apercevions quelques bâtiments agricoles esseulés et nous étions seuls sur ce tronçon de route qui semblait nous avoir été réservé. Peu après, le soleil matinal s'en était allé, la route avait pris de l’altitude, et, juste après avoir longé l'impressionnant village de Cantavieja perché sur son promontoire rocheux, la neige avait déjà manifesté sa présence à 1700 mètres d'altitude juste avant notre descente sur Teruel.
Ce sont ces quelques journées qui me reviennent en mémoire alors que je consulte la carte routière . Car, notre voyage se fait à l'ancienne. Mon compagnon de route a accepté de laisser son GPS au fond de la sacoche et nous décidons de l'itinéraire au jour le jour. Je réalise que nous n'avons pas pris le bon chemin ce matin en quittant Albarracin; le GPS nous aurait certainement évité cette erreur mais nous n'aurions pas vécu cette montée magique...
Nous continuons à faire confiance aux informations de Monsieur Michelin, ces routes surlignées de vert qui annoncent des "parcours pittoresques". Je n'ai jamais été déçu et cela se confirme aujourd'hui. C'est ainsi que nous rejoignons la région de la Mancha, où se situe l'histoire de Don Quichotte combattant le mal et protégeant les opprimés. L'horizon s'élargit, le regard porte plus loin avec, ça et là, des moulins dressés sur les hauteurs. Plus loin, c'est une énorme ferme solaire que nous longeons durant quelques kilomètres. Elle nous rappelle les changements que le monde doit mettre en oeuvre pour faire face aux défis climatiques. Des barrages asséchés dans le nord du pays avaient auparavant alerté nos consciences. La terre ocre, presque rouge, contraste avec le vert des prairies. Nous pénétrons dans une autre Espagne. L'Afrique est proche. Avant de rejoindre la mer, un tronçon sinueux nous offre du plaisir à la pelle pendant 70 kilomètres et 900 mètres de dénivelé! La présence de mes manchons parait soudain incongrue avec un thermomètre (enfin!) en hausse.
Orangers et avocatiers pullulent, l'air devient sec. Un passage dans le très beau village de Figliana, tout de blanc vêtu, puis une erreur dans le choix de la route nous conduit à Antequera, superbe ville entourée par une chaîne montagneuse. De là, c'est un itinéraire sinueux à souhait et un dernier col à 1200 mètres d'altitude avant de faire une halte dans l'accueillante Ronda.
C’est ensuite Cadix qui nous ouvre les bras. La vieille ville mérite le détour. Nous déambulons dans les ruelles, à l’ombre des bâtiments qui respirent la longue histoire de cette cité où il fait bon se poser. Pas de crainte pour nos montures; comme très souvent en Espagne, elles ont trouvé un espace qui leur est dédié. On aime la moto dans ce pays !
Jerez de los caballeros. Le nom me plaît et j'annonce à mon compagnon de route que cela sera notre prochaine destination. Par chance, il n'est pas très contrariant et accepte ma manière très personnelle de choisir nos étapes... Les chênes liège et les châtaigniers s'invitent, les moutons et les vaches peu présents depuis notre départ aussi lors de cette étape qui nous rapproche du Portugal. La ville de Jerez de los caballeros se révèle aussi belle que son nom le promettait alors que le soleil fait son apparition après une journée très arrosée.
L'Espagne nous montre une fois de plus qu'elle n'est pas avare de coins superbes lors de notre étape jusqu'à Guadalupe où, comme d’habitude, nous évitons les axes principaux pour notre plus grand bonheur.
Le lendemain, c’est de nouveau une belle étape qui nous attend, sur une route déserte (aucune voiture croisée pendant la première heure!). La montée du Puerto de Mijares est un régal et ma petite Honda me demande d'augmenter le rythme ce que je m’empresse de faire. Je la sais susceptible et évite de la contrarier !
Nous trouvons une chambre dans le centre historique de Ségovia. Son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO est parfaitement justifié. Le majestueux aqueduc romain dans un état de conservation remarquable justifie à lui seul une halte.
Puis conclure en beauté notre virée espagnole, nous nous arrêtons dans le désert des Bardenas. Malheureusement, les fortes pluies des jours précédents ont rendu peu praticables les pistes et nous devons rebrousser chemin à regret en nous promettant d'y revenir bientôt.
La cerise sur le gâteau de ce beau voyage se révèle sous la forme des monolithes impressionnants qui surplombent le village de Riglos. La vision de ces grandes formations géologiques (mallos), avec des murs verticaux de pierre rougeâtre, au détour d’un virage, est saisissante.
Cette virée de 4000 kilomètres fut l’occasion de mieux connaître ce pays voisin que j’ai souvent eu tendance à traverser trop rapidement pour rejoindre le Maroc. Et l’Espagne nous a séduit. Le réseau routier est la plupart de temps excellent, même sur les axes les plus reculés, et les villages ont beaucoup de charme. Le patrimoine national est superbement préservé. Et, pour un motard haut pyrénéen, ce fut une réelle bonne surprise de traverser autant de régions montagneuses ; le plaisir était au rendez-vous, même lorsque la neige s’est invitée… Car, seul petit hiatus, le mois de mars souvent arrosé ne fut pas le meilleur choix que nous ayons fait. Mais la pluie n’a pas réussi à nous gâcher le plaisir que nous a procuré la rapide traversée de ce pays attachant, d’autant que l’accueil de ses habitants s’est révélé simple et chaleureux.
Au final, un très beau voyage. Rien d’étonnant, nous étions sous la protection des cigognes. La présence quotidienne de cet oiseau migrateur au dessus de nos têtes était un signe favorable au bon déroulement de cette virée espagnole.
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