Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

24 heures à Illizi

Il sortait de son sommeil. Il n’ouvrit pas les yeux, juste les oreilles. Le village se réveillait et les bruits du petit matin lui parvenaient, étouffés par le mur d’enceinte.

Il prolongea le moment ; son corps semblait le remercier de cette longue nuit de repos, après ces étapes interminables dans les immensités algériennes.

Tout près, un chien aboya. Il le prit comme un signal et souleva doucement les paupières.

Il remarqua d’abord les deux lits métalliques qui lui faisaient face ; s’attarda sur la table en bois qui avait du être bleue du temps de sa splendeur. Un rayon de soleil se faufilait par l’interstice de la porte ; la poussière ambiante en scintillait de plaisir. Contre le mur fatigué, ses bottes semblaient regretter le temps où elles étaient régulièrement cirées ; leur noirceur était un lointain souvenir. Ses bagages étaient empilés dans un coin de la pièce ; ils les avaient posés là , la veille, trop fatigué pour y mettre de l’ordre. Il ne désirait alors qu'une bonne douche et une nuit réparatrice, dans cette auberge de jeunesse déserte.

Il resta un long moment, couché ; il pressentait une journée chargée, et il n’était pas pressé de se lever.

Enfin, il se décida et alla ouvrir la porte de sa chambre. Aussitôt, une vive clarté l’éblouit ; le soleil était déjà haut et la cour intérieure renvoyait un air surchauffé et sec.

Il attrapa sa petite casserole et entreprit de faire chauffer un peu d’eau sur son réchaud à essence.

Pendant que son thé infusait, il s’assit sur une marche ; sa moto lui faisait face. Il la trouvait superbe, dans sa livrée rouge.

« Demain, c’est le grand jour » lui lâcha-t-il doucement.

Il s’approcha de sa monture et s’accroupit devant elle ; il entreprit de l’examiner, lentement, en s’attardant sur ses moindres recoins. Par petites rasades, il but son thé tout en continuant son inspection matinale. Elle paraissait en pleine forme, mais il avait en tête l’étape précédente au cours de laquelle, brutalement, son moteur avait eu des coupures ; sur cette interminable ligne droite de 350 kms, l’angoisse l’avait saisi.

Après ce rapide petit déjeuner, il partit rejoindre l’unique station d’essence et entreprit de faire le plein de son réservoir et de ses deux jerricans. La petite ville d’Illizi semblait gagnée par une douce torpeur ; les passants rasaient les murs, à la recherche d’un peu d’ombre.

Il rejoignit son auberge de jeunesse, sortit tous ses bagages dans la cour et entreprit d’y mettre un peu d’ordre. Ce n’était pas indispensable, mais il avait un besoin impérieux d’occuper son corps et son esprit pour s’empêcher de penser à la journée du lendemain.

L’homme qui avait en charge ce bâtiment vint lui rendre visite. Hier au soir, ils n’avaient pas eu le temps de parler. Son interlocuteur lui fit part de ses craintes; prendre la piste seul lui paraissait déraisonnable, dangereux. Il lui conseillait vivement d’attendre le passage hypothétique d’un véhicule pour se joindre à lui.

Son angoisse monta d’un cran. Le temps lui manquait et son envie de visiter la région du Tassili N’Ajjer était si forte.

Quand le moindre de ses bagages fut examiné, nettoyé et rangé, il partit marcher dans les rues de ce village si calme ; les nombreuses maisons de pierre lui annonçaient le type de terrain qui l’attendait lors des étapes à venir. Il s’installa à la terrasse d’un café désert. Il s’arrêta au septième thé ; sept, son chiffre fétiche. Une façon de se rassurer.

Il examina sa carte routière, une fois de plus . Il suivit son itinéraire avec le bout de l’index, s’arrêtant parfois, essayant d’imaginer l’état de la piste à travers les changements de couleur.

La journée tirait à sa fin. Jusqu’au bout, il avait espéré un miracle, une rencontre inespérée. Mais, son voyage semblait placé sous le signe de la solitude.


Il sortit de la ville ; il voulait voir les dunes de l’Erg oriental qui l’avaient tant impressionné lors des étapes précédentes. Il grimpa au sommet de l’une d’entre elles et s’assit. Le soleil n’allait pas tarder à disparaître, à l’horizon. Il resta un long moment et noya son regard dans cette immensité sablonneuse ocre. Il savait que, demain, il en aurait terminé avec la douceur du paysage qui s’offrait à lui, à cet instant. Les rares témoignages qu’il avait pu lire parlaient de paysage lunaire, de blocs rocheux, d’absence de végétation.

Il s’imagina au guidon de sa lourde moto, progressant sur la piste accidentée, seul. La peur était là, tenace, qui le poussait à faire demi-tour.
Mais, tout au fond de lui, il y avait cette envie d’aller plus en avant dans ce voyage, à la découverte de ce désert tout à la fois fascinant et effrayant.
La nuit le surprit perdu dans ses pensées ; il se leva et rejoignit sa chambre.

Il s’allongea, ferma les yeux et eut une pensée très forte pour les personnes qu’il aimait ; il passa en revue dans sa tête chacune d’entre elles, en les imaginant dans leur quotidien du moment. Le sommeil arriva en douceur.

Il acheva le chargement de sa monture à l’aube. Il enfourcha sa moto, replia la béquille latérale. Un coup de démarreur ; le souffle, puissant des deux pots d’échappement rebondit sur le mur d’enceinte proche et résonna dans la cour intérieure silencieuse; il laissa le moteur monter en température puis se décida, enfin, la gorge serrée, à enclencher la première.


Il traversa, sur un filet de gaz, le village endormi.

Les maisons se firent plus rares, la route disparut, soudainement .

Devant lui, il n’y avait plus que la piste. Il parcourut quelques kilomètres et s’arrêta sous un acacia.
Au loin, il distinguait des rochers à perte de vue ; c’était le plateau du Fadnoun. Il caressa le tronc encore rempli de la fraîcheur nocturne de ce mois de décembre. Le contact avec le bois lisse lui réchauffa le cœur. Il le ressentit comme une sorte d’encouragement.

Il respira profondément, enfila son casque. Il était prêt à affronter ces trois jours de piste