Un dernier coup de gaz pour entendre le vrombissement du V-twin, et il coupa le contact. Le silence se fit autour de sa moto rouge.
Il était encore sous l’excitation de sa virée sportive sur les routes sinueuses des Pyrénées. Une nouvelle fois, il avait tutoyé ses limites, faisant fi des gravillons, des parois rocheuses, des ravins prêts à l’engloutir.
Il sentait bien, au fond de lui, qu’il était complètement déraisonnable de rouler à un tel rythme sur route ouverte mais c’était plus fort que lui. Il se sentait tellement en confiance, aimait la conduite, le pilotage plutôt, parsemée d’improvisation. Tous les sens en éveil, il vivait avec une rare intensité les kilomètres qui défilaient dans le grondement sourd de son moteur, les raclements des repose-pieds, et parfois, du slider. Il avait appris à contrôler les dérives soudaines lorsque les pneus rencontraient une trace d’humidité une plaque de gravillons ou quelques trous dans le revêtement.
Sa moto venait de rejoindre sa place, dans le garage quand Bruno arriva au guidon de sa KTM.
La discussion s’engagea et son ami lui fit part de ses réserves.
« Tu es complètement fou » finit-il par lui lâcher « tu ferais mieux de venir avec moi sur le circuit de Nogaro dimanche prochain. Là bas, tu peux rouler en toute sécurité pour toi et les autres ».
« Bof, cela ne me dit rien de tourner en rond dans un endroit fermé. Cela doit être d’un ennui mortel ».
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Le jour J, sous un soleil radieux, les deux amis gagnèrent la voie des stands, chacun au guidon de sa moto. Chris s’était laissé convaincre de tenter l’expérience du circuit.
Alors que le groupe de motards attendait son tour, il piaffait d’impatience sous son casque. Il se sentait plongé dans le monde de la compétition, il était Valentino Rossi, à quelques minutes du départ de la course. Son cœur battait plus fort sous le blouson de cuir.
Au signal du commissaire de piste, la vingtaine de machines s’élança. Chris se sentit un peu perdu puis, rapidement, trouva ses marques.
Chaque nouveau tour était l’occasion d’améliorer ses passages en virage ; tout cela lui paraissait presque trop facile.
Toute la journée, il tourna ainsi, par séance de vingt minutes. Il pensait s’ennuyer à force de repasser toujours aux mêmes endroits, mais la recherche permanente d’un freinage plus appuyé, d’une meilleure trajectoire, occupait entièrement son esprit.
Il aimait tout particulièrement le freinage au bout de la longue ligne droite, qui lui permettait de remonter sur les motos devant lui ; il en dépassa beaucoup et ressentit à chaque fois une émotion intense ; ces courts duels le mettaient dans un état second.
La journée se termina et il rentra aux stands où l’attendait Bruno. Son ami examina son pneu arrière dont l’usure témoignait des angles de folie qu’il lui avait fait prendre. Il lui montra le chronomètre qu’il tenait dans sa main en le félicitant pour ses temps au tour.
« Tu es doué, tu devrais faire de la piste plus souvent » conclut-il.
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Il arrêta le moteur devant la concession. Il aimait se plonger dans l’ambiance chaleureuse de ce magasin dans lequel il rencontrait régulièrement quelques motards avec lesquels partager sa passion.
Dans le parc des machines d’occasion, l’une d’entre elles attira son attention. Rouge, compacte, elle donnait l’impression, à l’arrêt, d’être prête à bondir. Comme sa Ducati. Une invitation tourner la poignée de gaz, à titiller le sélecteur de vitesses et à empoigner le levier de frein.
Christophe, le mécano lui dit :
« C’est un client qui nous l’a laissée en dépôt vente. Il avait craqué pour cette Voxan, mais il a préféré revenir chez Ducati. Il craignait un peu que la marque ne disparaisse.
Tu veux l’essayer » ?, conclut-il, un sourire en coin, tant il savait que Chris ne refusait jamais une telle proposition.
Une heure plus tard, Chris revint, enleva son casque, radieux.
« Quelle moto ! » s’exclama-t-il. « Bourrée de caractère mais sachant être douce. Je l’adore! »
« Juste pour info, tu me la reprendrais combien, ma Ducati » ?
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« Tu es inconscient d’avoir acheté une Voxan. La marque a déjà failli disparaître et il y des chances que tu te retrouves un jour avec ta moto et tes yeux pour pleurer quand tu ne trouveras plus de pièces pour l’entretenir et la réparer ».
Cela faisait à peine un mois qu’il roulait avec sa nouvelle monture et il était déjà habitué à entendre ce discours alarmiste. Alors, une nouvelle fois, il s’attacha à expliquer les raisons de son choix, le plaisir qu’il prenait au quotidien sur sa moto, les propos rassurants des membres du Voxan Club de France quant à l’efficacité du service après vente.
Ce jour là, la conversation s’attarda sur le prochain Moto Tour. Bruno, le premier, dégaina : « Toi qui aimes tant rouler vite sur la route, voilà l’occasion de t’éclater ».
Et Jean-Paul de renchérir : « Puisque ta Voxan est si exceptionnelle que ça, c’est l’occasion de le prouver ».
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Le circuit de Pau Arnos avait des airs de route départementale avec ses dénivelées, ses virages serrés et son environnement boisé.
Chris eut un petit pincement au cœur quand il s’élança sur la piste en compagnie d’un groupe de motards venus se défouler en toute sécurité.
Pour la première fois, il allait se battre contre le temps. Son ami Jean-Paul était installé derrière le muret de la ligne droite des stands avec son chronomètre.
Il démarra lentement sur ce circuit qu’il découvrait mais, très vite, il accéléra le rythme. Son Roadster était dans son élément sur ce circuit sinueux où sa maniabilité faisait merveille.
Le reste ne fut que bonheur. Bonheur de tutoyer les limites de sa superbe machine, des longues dérives une fois les pneus chauds, du train avant s’écrasant lors de freinages violents. Bonheur des montées en régime du V-twin. Et fierté de montrer le feu arrière de sa moto aux sceptiques aperçus le matin dans l’enceinte du circuit.
Cette journée de rêve lui parut bien courte et c’est presque à regret qu’il regagna la voie des stands alors que le soleil déclinait à l’horizon.
Jean-Paul l’attendait avec la feuille de ses chronos ; il lui avait demandé de ne lui donner des chiffres qu’au terme de ses essais car il ne voulait avoir trop de pression sur les épaules.
A la mine réjouie de son ami, il comprit qu’il ne s’en était pas trop mal sorti.
« Je crois que tu as bien fait d’envoyer ton bulletin d’inscription au Moto Tour » lui annonça ce dernier avant de lui tendre la feuille de ses temps.
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La discussion avec Richard se prolongea tard dans la soirée. Tout nouveau retraité rempli de dynamisme, mécanicien moto émérite, l’idée de participer à cette belle aventure qu’est le Moto tour l’enthousiasmait.
Chris savait, pour l’avoir vu à l’œuvre, qu’il était capable de réaliser des miracles, jamais à cours d’idées pour résoudre les problèmes les plus délicats.
Il lui donna carte blanche.
Il fallait trouver un fourgon d’occasion, avoir un petit stock de pièces de rechange, des pneus performants, se rendre chez Fournales pour installer un nouvel amortisseur, prendre contact avec l’usine Voxan pour obtenir quelques informations permettant d’optimiser le fonctionnement de sa belle monture, connaître l’itinéraire exact pour pouvoir étudier le parcours et faire quelques reconnaissances.
Il leur restait 7 mois avant le jour du départ mais les deux amis étaient déjà au comble de l’excitation.
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Il le surnommait le magicien, rapport à sa faculté d’inventer et de parvenir à fabriquer les fruits de son imagination.
Alors, il s’en alla voir Emile dans son entreprise de mécanique générale, pour lui faire part de son idée. Elle lui paraissait difficilement réalisable en quelques mois, mais, justement, il savait que son ami aimait tutoyer l’impossible. Plusieurs heures de discussion et d’examen minutieux de sa moto furent nécessaires.
Peu à peu, Chris comprit que son ami accrochait au projet ; loin de le décourager, l’ampleur de la tâche semblait le galvaniser.
En se quittant, ils convinrent que Chris lui laisserait sa moto quelques jours pour qu’il puisse travailler dans les meilleures conditions.
Le compte à rebours avait commencé.
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Il avait quitté son travail hier au soir, pour une semaine de congés payés. Des congés très spéciaux. A sillonner les routes qui seraient empruntées lors du Moto Tour, dans quelques semaines.
Le départ à bord du Renault Trafic se fit très tôt le matin. Les deux amis étaient euphoriques. Ils se sentaient prêts à conquérir le monde. La moto, à l’arrière, semblait attendre son heure, retenue pour l’heure par des sangles.
Richard ne s’était pas étendu sur la liste des ses interventions, mais il lui avait simplement dit que sa moto était fin prête.
Chris avait pu s’en rendre compte lors de la dernière journée passée sur le circuit de Nogaro. Un moteur mieux rempli, une moto plus précise, plus rigide, des suspensions plus rigoureuses ; bref, une somme d’améliorations qui avaient transformé une très bonne machine en moto exceptionnelle.
Jamais de sa vie il n’avait possédé de moto aussi abouti. Il en avait eu les larmes aux yeux de bonheur en enchaînant les tours de circuit.
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Toulon les accueillit avec un soleil radieux, après avoir parcouru la dernière spéciale.
Ils firent le point à la terrasse du restaurant. Chris compléta son cahier sur lequel il avait, tout au long du parcours, pris beaucoup de notes sur les caractéristiques de l’itinéraire.
Quant à Richard, il avait soigneusement enregistré ; à l’aide de son caméscope positionné sur le tableau de bord les spéciales de l’épreuve.
Ils étaient confiants. La moto marchait superbement, Chris avait adoré les conditions de route et l’alternance avec les tours de circuit l’enchantait.
Maintenant, il leur restait à peaufiner la préparation, à visionner les heures de film pour se mettre en mémoire le parcours …. et, dans l’immédiat, à prendre la direction de la petite ville d’Issoire pour y rencontrer le responsable de Voxan.
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Chris n’avait quasiment pas mangé, trop occupé à transmettre sa passion pour cette moto à son interlocuteur, à essayer de le convaincre qu’il était essentiel de relancer la marque en petite forme au niveau des ventes, en évoquant le Moto Tour proche.
C’est le PDG en personne qui les avait accueillis tout à l’heure à l’usine et il n’avait pas l’intention de le quitter sans l’avoir pris d’assaut. Il évoqua la publicité pouvant être réalisée autour de cet événement sportif, la nécessité de renouveler la gamme, tout en gardant la même base, pour relancer l’intérêt autour du constructeur français.
« Vous savez, le nom de Voxan est maintenant connu, vous ne pouvez pas laisser tomber la marque, pas maintenant ; elle mérite un nouvel effort, je suis sûr qu’elle peut redémarrer. Ne nous abandonnez pas, Monsieur Cazeaux, vous avez des centaines de motards fous passionnés par leur moto française qui attendent avec impatience, anxiété, des signes de reprise de leur marque fétiche. Si vous saviez à quel point ils contribuent à faire connaître vos modèles, vous seriez étonné et vous n’avez pas le droit de les décevoir.
Quant à moi, je vous promets une surprise à l’arrivée du Moto Tour, et je peux vous dire que ce sera l’occasion pour vous de faire parler de votre marque. Je vous en prie, soyez présent à ce rendez-vous. Vous ne le regretterez pas »
« Je compte sur vous », conclut Chris en serrant d’une poignée vigoureuse la main de son interlocuteur.
Il était dans un état second, après cette longue discussion, ce monologue plutôt au cours duquel il s’était jeté dans la bataille pour convaincre cet homme de mettre, lui aussi, toute son énergie dans ce combat pour l’existence d’une moto française.
La nuit était douce. Richard s’installa au volant du Trafic et Chris monta à côté de lui. «Je ne t’ai jamais vu aussi convaincant » lui dit son ami.
« Croisons les doigts pour que Monsieur Cazeaux soit aussi enthousiaste que toi ».
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Il aimait introduire la clef dans la porte de la boite à lettres. Souvent, le courrier le laissait indifférent mais, parfois, il y avait une missive qui avait une valeur particulière. Ce fut le cas aujourd’hui.
Il examina la lettre, l’ouvrit avec appréhension. Il lut les quelques lignes sur la feuille de papier et bondit de joie.
Il se souvint de l’effort qu’il lui avait fallu pour oser écrire à ce grand photographe, lui expliquer sa démarche, la défense de cette petite marque française. Lui dire qu’il aimait sa manière de photographier, la sensibilité qui se dégageait de ses photos, et son souhait qu’il participe au Moto tour auquel il le conviait pour témoigner, à travers son appareil photo.
Depuis que son courrier était parti, il se sentait honteux de solliciter ainsi un grand Monsieur du monde de la photo qu’il n’avait jamais rencontré mais dont il aimait les photos.
Il dut lire la conclusion du courrier qu’il avait entre les mains pour être sûr qu’il ne rêvait pas :"j’aimerais vous rencontrer".
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La douceur printanière avait gagné la ville rose. Chris béquilla sa moto sur la place du Capitole où Alain Ceccaroli lui avait donné rendez-vous. Il avait une boule au creux de l’estomac, anxieux à quelques minutes de leur rencontre.
Un poignée de mains franche et un regard chaleureux effacèrent son anxiété et les deux hommes s’attablèrent à la terrasse du café voisin pour discuter du projet.
« Votre projet me plait. Je n’ai jamais photographié des courses de motos car je ne suis pas intéressé. Mais, photographier dans la campagne française, essayer de reproduire l’ambiance particulière qui s’en dégage, m’attarder sur l’aspect humain de cette épreuve, la passion qui anime les motards amateurs, je suis partant ».
En face de lui, Chris rayonnait.
« Mais, je travaille en noir et blanc, cela ne pose pas de problème ? ».
« Non, au contraire, je pense que l’atmosphère particulière de cette épreuve sera mieux captée qu’avec la couleur » lui répondit Chris, qui n’en croyait pas ses oreilles. Non seulement ce grand photographe répondait favorablement à son offre, mais, en plus, il lui demandait son avis.
Plus tard, ils allèrent voir la Voxan de Chris, stationnée sur la place. « J’aime sa simplicité ; elle donne l’impression d’être en mouvement ».
Ils terminèrent la soirée dans un restaurant, comme deux amis, à discuter de photos, très peu, et du monde et de la vie beaucoup.
Avant de se quitter, il lui offrit un ultime cadeau en lui disant : « J’ai des entrées dans certains hebdomadaires et je vais proposer à l’un d’entre eux un reportage sur l’épreuve ».
Encore sous le coup de l’émotion, Chris rejoignit l’autoroute et parcourut les 200 kilomètres jusqu’à la maison dans un état second. Il chanta beaucoup sous son casque, rempli de bonheur. Son puzzle se mettait doucement en place.
Encore quelques semaines d’attente avant le jour J.
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Emile lui téléphona, l’air un peu inquiet. Des problèmes techniques avaient retardé la fabrication des pièces. Le réservoir était la partie la plus délicate.
Mais, avant de raccrocher, il rassura son ami. Ce n’était pas la première fois qu’il était confronté à des difficultés, cela avait même tendance à le galvaniser et il n’était pas à une nuit blanche près, surtout pour réaliser un projet touchant la moto.
Le temps semblait s’accélérer, la date fatidique approchait à grands pas.
Chris se sentait beaucoup moins optimiste. Le doute s’insinuait en lui ; ces nuits étaient peuplées de chutes, de casses mécaniques, de fourgon en panne sur l’autoroute, de refus d’inscription pour moto non conforme.
Il essayait de se convaincre que la tension qui l’habitait allait le quitter le jour du départ de la course mais c’était peine perdue.
Il était assailli par le doute, se sentait dépassé par l’ampleur de son projet.
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Emile l’appela au téléphone : « Tu peux venir me voir avec ta moto, j’ai encore quelques détails à vérifier ».
Il enfourcha son V-twin et parcourut, à allure réduite, les 10 kilomètres le séparant de l’atelier de mécanique générale de son ami. Il craignait l’accident stupide dans la circulation dense d’une fin de journée.
Enfin, il pénétra dans l’atelier.
Emile l’attendait, avec son sourire habituel. Quelle que soit la situation, il avait l’art d’accepter les choses comme elles venaient et Chris enviait sa philosophie de vie.
Après un rapide bonjour, il entreprit de déshabiller la machine sans répondre aux questions de son ami.
« Aide-moi au lieu de parler » se contenta-t-il de dire en poursuivant son travail.
Une fois la moto dénudée, Emile alla dans la pièce voisine et ramena un réservoir, deux garde-boue et deux caches latéraux en inox ainsi qu’une selle plate, à l’ancienne.
Avec une certaine fébrilité, les deux compagnons s’attelèrent au montage de l’ensemble.
Une fois terminé, Chris recula de quelques pas. Emu, il ne sut que dire devant le résultat.
Avec son réservoir plus volumineux et enveloppant qui englobait le cadre, ses caches latéraux classiques, son garde-boue arrière surmonté d’un feu récupéré sur une machine des années 70, sa moto avait changé de personnalité.
Il se souvint de la première discussion qu’il avait eue avec Emile: « Je voudrais que l’on retrouve l’esprit d’une Norton Commando, une moto simplement belle dans le dépouillement ».
Le réservoir rondouillard souligné par les filets dorés, la couleur d’un noir profond, les caches latéraux de la même veine, les garde-boue en inox, l’ensemble était harmonieux. Le moteur noir, rehaussé de quelques touches de gris participait à l’équilibre de l’ensemble.
Pour parfaire le tout, Emile installa les deux pots en inox qui se terminaient en cône ; moins relevés que ceux d’origine. Le Roadster était magnifié.
Chris fut parcouru par un frisson et des larmes de joie s’invitèrent dans le coin des yeux.
Il fit un effort surhumain pour lancer à Emile : « A toi l’honneur ».
Son ami enfila son casque et fit quelques allers-retours dans la rue du village alors que la nuit s’installait.
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« Bom. Bom » Il entendait nettement son cœur battre ; son corps semblait faire caisse de résonance. A quelques minutes du départ, sous son casque, il y avait une tension terrible.
« Vite » supplia-t-il. « Que l’on commence enfin ! ».
Il avait besoin vital de rentrer dans l’action, de ne plus se préoccuper que de son pilotage, des moyennes à tenir, de sa moto.
Oublier tout le reste, toute cette énergie à préparer au mieux l’épreuve, les obstacles de dernière minute, l’angoisse qui l’étreignait depuis plusieurs heures.
Enfin, il put passer la première, relâcher l’embrayage. C’était parti !
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Très ému, Chris embraya et grimpa avec sa moto sur le podium.
La course était terminée.
Il avait en tête, dans le moindre recoin de son cerveau, le souvenir de cette semaine folle au cours de laquelle il avait côtoyé le bonheur.
Plus qu’une course, c’est un voyage qu’il avait vécu. La traversée d’une partie de la France en compagnie de passionnés, comme lui.
Des circuits, des routes sinueuses et, imperceptiblement, le changement de régions à travers les paysages, la végétation, l’architecture des maisons.
Le sentiment d’appartenir à un groupe dont le seul but était de vivre un événement exceptionnel ensemble, la solidarité entre concurrents, cette entraide qui avait rendu la compétition encore plus belle.
Il n’avait pas regretté ces mois de préparation, d’entraînement, de visionnage des parcours qui lui avaient permis de piloter en y mettant toute son énergie.
Il voulait remercier Richard qu’il apercevait, souriant, au pied du podium pour lui avoir concocté une moto aux petits oignons.
Il avait en tête chaque kilomètre des spéciales qu’il avait parcourues, les freinages tardifs, les parapets frôlés, les incursions sur les bas-côtés, les enchaînements de virages à la limite qui le faisaient frissonner de plaisir, les spectateurs au bord des routes qui lui rappelaient les tours de France cyclistes auxquels il avait assistés dans les cols des Pyrénées avec ses parents.
Au pied du podium, il y avait les membres du Voxan Club de France qui avaient suivi l’épreuve, avec leur bonne humeur et leur sens de la débrouillardise, Richard, l’ami fidèle et le mécano de talent qui avait veillé sur leur Voxan tout au long de la semaine ; et Alain, « leur » photographe attitré qu’il avait rencontré, de temps en temps et, enfin Emile, qui avait tenu à être présent à l’arrivée.
Il ferma les yeux quand le speaker annonça son classement « 1er du classement promotion ».
Autour de la tente du Voxan club de France, les discussions allaient bon train. A l’intérieur, Richard et Emile s’affairaient sur la machine, à l’abri des regards indiscrets.
Chris s’impatientait. Il lui tardait, maintenant, de dévoiler la surprise qu’il avait promise aux personnes présentes.
« La cerise sur le gâteau » leur avait-il promis « une très belle cerise ».
Enfin, elle apparut, splendide, dans sa livrée noire, soulignée par de très fins filets dorés, son réservoir rondouillard, ses pots à l’ancienne, ses pièces en inox qui contrastaient avec le noir ambiant.
« Je vous présente une autre vision de la Voxan, notre vision, un peu rétro » se contenta-t-il de dire en laissant les regards se tourner vers cette machine superbe.
Il se sentait infiniment heureux à cet instant. Son projet un peu fou qui s’était peu à peu construit dans sa tête était allé jusqu’à son terme.
Sa participation à une course fabuleuse, la réalisation, grâce au travail extraordinaire de son ami Emile, d’une nouvelle version de la Voxan, le reportage photographique qui allait de la course qui allait être publié très prochainement dans un hebdomadaire de grande diffusion.
Il était heureux que cette marque si attachante soit sous les feux des projecteurs.
Pour que son bonheur soit total, il manquait juste quelque chose, quelqu’un, plutôt, qu’il avait invité à l’arrivée de cette épreuve.
Une rumeur courait que cette personne ne devrait pas tarder et, alors que la fête battait son plein autour de la tente du Voxan Club de France, Monsieur Cazeaux apparut.
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La route longeait les gorges de l’Hérault ; Chris roulait sur un filet de gaz, suivi par Richard et Emile dans le Trafic.
La lumière automnale était superbe. Il était au guidon de SA moto.
Après concertation avec Richard et Emile, ils avaient convenu qu’ils n’étaient pas à deux jours près et qu’ils pouvaient rejoindre Pau par les petites routes. Ils avaient tellement envie de la voir rouler, cette moto, qu’ils auraient trouvé toutes les bonnes raisons du monde pour ce faire.
Alors, tranquillement, à tour de rôle, chacun des deux amis roulait quelques heures. Quand ils s’arrêtaient dans les villages, ils guettaient la réaction des habitants, des motards surtout.
Chris chantait sous son casque.
Il avait en tête la réaction du patron de Voxan, venu le féliciter, quand ce dernier avait aperçu sa moto transformée. « Voilà la surprise promise, le deuxième, c’est mon classement et la dernière, c’est un reportage photo en cours de publication » lui avait-il dit, non sans fierté.
Il lui avait présenté Emile et ce dernier avait longuement parlé de la réalisation de pièces, des possibilités de les reproduire en petite série. « Cela ferait un modèle sympa, une fois revu la puissance du moteur à la baisse, le pendant de la Bonneville chez Triumph » avait-il conclu.
Et, là, la tête remplie de soleil, à l’écoute du V-twin dont le bruit résonnait dans les gorges, Chris se mit à rêver d’un monde nouveau pour la marque française.