Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Cagiva Elefant 650 (1987). L'Eléphanteau de la famille.

 

 Les années 80 représentent une période importante pour l'industrie moto européenne. Après avoir subi les assauts répétés des constructeurs japonais que rien ne semblait devoir arrêter , l'Italie montrait l'exemple avec des marques récentes pleines de dynamisme. Parmi elles, Cagiva qui s'engagea avec conviction dans le trail avec l'Elefant 650 pour commencer.

 

 

Cagiva était représentative de ce nouvel état d'esprit dénué de tout complexe vis à vis du rouleau compresseur japonais.

Pour les plus jeunes, il est peut-être utile de présenter ce constructeur qui a disparu des radars aujourd'hui. Son arrivée dans le monde de la moto s'est faite sous l'impulsion de Giovanni Castiglioni, le fondateur de la marque initialement spécialisée dans la production de pièces métalliques à partir de 1950. En 1978, il racheta l'usine Aermacchi, propriété du constructeur américain Harley Davidson. Et, quelques années plus tard, c'est Ducati, en grande difficulté financière, qui entra dans le giron de Cagiva. Vous avez bien lu, le constructeur italien à la réputation bien établie aujourd'hui notamment grâce à ses succès en Moto GP et Superbike mondial a été à deux doigts de disparaître il y a une quarantaine d'années.

 

Renaissance italienne

C'est ainsi que les visiteurs du salon de Milan 1983 eurent le loisir d'admirer une Cagiva Elefant 750 encore à l'état de prototype (réservoir en bois, tableau de bord de la Ténéré 600!). L'année suivante, le modèle définitif s'avéra être une 650 mais elle était alors prête à rouler. C'est le début de la carrière de la famille Elefant ; elle va très vite grandir avec une 750 cm³, puis la fameuse 900 cm³ qui bâtira sa légende dans l'épreuve du Paris Dakar. Après y avoir frôlé la victoire en 1987 avec Hubert Auriol au guidon (il abandonna la veille de l'arrivée en se brisant les deux chevilles après un duel homérique avec Cyril Neveu), la marque connaîtra le succès en 1990 et en 1994 avec le pilote italien Edi Orioli.

Mais revenons à nos moutons avec la petite 650 qui, soit dit en passant, n'est pas tout à fait le plus petit modèle de la gamme Elefant puisqu'il a existé une 350 cm³ mais qui n'a jamais été importée sur notre territoire. Pour une marque dont l'emblème est le pachydermique animal d'Afrique, le nom s'imposait tout naturellement !

Derrière la relation entre la Cagiva 650 Elefant et Francis Esquirol, il y a une belle histoire. Celle d'un motard qui, gamin, était transporté de bonheur en entendant son voisin démarrer sa Ducati. Il n'en fallait pas plus pour qu'il tombe amoureux de la marque. Une fois le permis en poche, son budget limité ne lui permit malheureusement pas d'acquérir cette Cagiva trop chère qui le faisait rêver. Par chance, un stock d'invendus fut rapatrié des Etats Unis en 1989 et les motos furent bradées sur notre territoire (34 000 francs au lieu des 45 000 francs du modèle originel). Il put ainsi devenir propriétaire de l'une d'entre elles.

 

Un long fleuve tranquille...

 

Ce fut le début d'une très longue relation vu qu'il continue aujourd'hui à rouler avec sa moto qui totalise environ 240 000 kilomètres ! Comme quoi, la mauvaise réputation des motos italiennes de l'époque n'était peut-être pas tout à fait justifiée… Cela est d'autant plus vrai que sa Cagiva a fréquenté très régulièrement les chemins qui pullulent dans les Pyrénées que ce soit coté français ou espagnol. Elle a également eu droit à plusieurs incursions sur le territoire marocain et ses nombreuses pistes.

 

 

Hormis le pot d'échappement (qui a assez rapidement rendu les armes) et le disque de frein avant, la moto est d'origine. Elle n'est bien sûr pas en « état concours » mais je la trouve justement bien plus belle dans sa tenue de vieille moto poursuivant au quotidien sa vie, plutôt que restaurée et ne quittant que rarement le garage. Une moto, toute ancienne soit-elle, c'est fait pour rouler !

Elle est d'ailleurs en bon état vu son kilométrage conséquent et la surprise se poursuit en apprenant qu'elle a été une monture sans soucis pour son propriétaire. Hormis les révisions régulières (dont celle indispensable des courroies de distribution), elle n'a pas connu d'avarie particulière en dehors des charbons du démarreur.

Sa Cagiva semble être née sous une bonne étoile car elle n'a même pas rencontré les problèmes électriques qui était le lot commun de beaucoup de motos italiennes de l'époque. Il faut dire que le constructeur italien avait eu la volonté de hausser le niveau de finition de ses motos. Commodos japonais, cadre portant la griffe de Massimo Tamburini, le designer de la Ducati 916), belles soudures, nombreuses pièces en aluminium (pédale de frein, béquille, bras oscillant, platines de repose-pieds pilote et passager, jantes) colonne de direction montée sur roulements coniques (jamais changés sur la moto de Francis!).

 

Vive le V-twin !

 

Cette Cagiva joue de son charme avec moi en distillant un bruit rauque et envoûtant dès le premier coup de démarreur. Le moteur, emprunté à la Ducati Pantah, né en 500 cm³ sur cette dernière, passé à 583 cm³ dans une première évolution, possède désormais une cylindrée de 649,57 cm³ (soyons précis!).

 

 

Il possède bien des qualités avec un couple solide qui se manifeste quel que soit le rapport engagé et, plus étonnant sur un V-twin Ducati, une souplesse très agréable pour quitter la ville de Tarbes. La boîte de vitesses (à 5 rapports) complète un beau bilan mécanique avec un sélecteur qui verrouille bien. J'ai tout de suite noté le toucher très « hydraulique » et précis de l'embrayage. Rien d'étonnant, il n'est effectivement pas commandé par câble. Le travail de séduction se poursuit avec l'absence de vibrations (cela a du bon, le V-twin à 90 degrés !).

L'horizon se dégage sur les petites routes pyrénéennes et je suis sous le charme du bicylindre qui répond aussi bien au filet de gaz qu'à des accélérations plus musclées, en montrant dans ce cas, une belle vigueur mais sans aucune violence. Un moteur bien rempli, comme je les aime et avec lequel on a envie d'enquiller les kilomètres. Le petit bémol se situe au niveau de la poignée de gaz qui, au fil des kilomètres, fait ressentir sa dureté d'autant plus qu'elle possède un tirage long. Francis m'indiquera à mon retour qu'elle était beaucoup plus dure au début.

 

 

La position de conduite est très agréable, même si la selle assez fine ne me paraît pas pouvoir garantir un bon confort sur long parcours. Coté protection, on est au niveau des rivales japonaises (DR, XLR, et autres KLR) avec juste une plaque phare n'assurant aucun obstacle aux assauts du vent. Il faudra attendre la 750 Elefant pour avoir une évolution dans ce domaine.

 

 

La route devient fripée et c'est l'occasion de vérifier la qualité des suspensions. Avant de prendre le guidon, l'examen de la moto avait révélé la présence d'un amortisseur Ohlins (réglable hydrauliquement en détente et compression). Avec ses 195 mm de débattement, il seconde très efficacement la fourche Marzocchi (210 mm de débattement pour cette dernière).

 

 

Les premiers virages sont l'occasion de vérifier les dires de son propriétaire sur l'inefficacité du frein arrière, qui lui a souvent posé des problèmes en tout-terrain. En fait, je le trouve excellent dans son rôle de simple ralentisseur ! Heureusement, le frein avant a plus de mordant … pour une moto de 35 ans d'âge.

 

 

La moto est très saine à mener avec une partie cycle à la hauteur. Dans les virages serrés, je sens toutefois une moto moins vive que les gros monocylindres mais, en contrepartie, cet Elefant est vraiment stable à haute vitesse.

 

 

Même si l'exemplaire essayé a longuement écumé les pistes, la Cagiva Elefant n'a pas la prétention de concurrencer à armes égales les trails monocylindres pour une simple raison : un poids plus élevé de quelques dizaines de kilos. Mais elle permet malgré tout de s'aventurer en off road sans trop d'appréhension.

 

 

 

 

 

Au final, cette moto méconnue possède beaucoup de charme. Un signe ne trompe pas. Francis possède également une 750 Elefant mais c'est la 650 qu'il continue à utiliser régulièrement...

 

 

 

 

 

 

 

 

 Cagiva Elefant 650 (1987)   45980 francs soit 7009 euros (prix neuf en 1987)

 

Caractéristiques techniques

 

Moteur : bicylindre en V à 90°.

Distribution : arbre à came en tête commandé par courroie crantée

Puissance : 58,5 CV à 7500 tours/minute

Couple : 5,8 mkg à 6250 tours/minute

Carburateurs : 2 Dell'Orto de 32 mm

Allumage : Lectronic

Boîte de vitesses : 5 rapports

Démarrage : Electrique + kick

Cadre : double berceau

Fourche avant Marzocchi 210 mm de débattement

Amortisseur Ohlins 195 mm de débattement

Frein : disque avant et arrière de 260 mm

Réservoir : 18 litres

Poids à sec : 184,5 kg

 

 

 

Achat d'occasion.  Le plus difficile sera de trouver cette moto si rare sur le territoire français. Car, outre un prix élevé qui freinera sa diffusion, la 650 a fait un passage éclair avant d'être rapidement remplacée par la 750 qui conservera la même partie-cycle mais adoptera un habillage plus moderne. C'est en Italie qu'il sera le plus aisé d'en dénicher une. Coté fiabilité, le moteur emprunté à la Ducati Pantah se révèle robuste à condition de ne pas négliger un entretien régulier (réglage du jeu aux soupapes, changement des courroies de distribution). Même si la moto de Francis n'a pas rencontré de problème au niveau électrique, c'est le point faible que l'on rencontrait à l'époque sur les motos italiennes. Certains affirment même que le câblage électrique provenait de l'électroménager…

 

 

 

Remerciements

 

Un grand merci à Francis Esquirol pour le temps consacré à la réalisation de cet article. C'est un amoureux des Ducati depuis son jeune âge avec une forte attirance pour le tout-terrain; quoi de plus normal avec un nom pareil! (A noter que l'enduriste Cyril Esquirol a participé au Paris-Dakar en 1996 au guidon d'une Cagiva Elefant) Outre une 750 de la gamme, il a, dans son garage, une bien plus rare 350 Elefant en cours de restauration, une des deux préparées par Rory Simpson, le grand spécialiste des Ducati. Ce sera l'occasion de lui rendre visite quand elle sera terminée.

 

 

 

Cet article a été publié dans la revue Trail Adventure n°40 et peut être commandé à l'adresse suivante: 

https://boutiquecppresse.com/anciens-numeros-trail-adventure-magazine.html