La route
Sortie de la ville. Devant moi, une ligne droite sans fin. J’aime cet instant. Quitter un endroit où j’ai passé quelques heures ou quelques jours pour m’engouffrer dans un terrain inconnu. Peu à peu disparaissent du champ de vision de mes rétroviseurs les dernières maisons. La roue avant de ma moto semble suivre son cap comme le fait l’étrave du bateau. Autour, c’est un spectacle minéral qui s’offre à mon regard. Du sable, beaucoup de sable et quelques rochers. Mon esprit absorbe cet environnement qui va m’accompagner tout au long de la journée. Je le sais déjà ; la lecture de ma carte la veille m’a montré qu’il n’y aura rien d’autre que ce ruban de bitume et moi. La visibilité totale et le revêtement de rêve me permettraient de rouler très vite sans aucun problème mais la raison l’emporte quand on roule seul, si loin de chez soi. Alors, je me stabilise à 100-110 km/h. J’assiste à la montée progressive du soleil dans le ciel. La chaleur augmente.
Premier arrêt. Rien autour de moi ne provoque cette halte. Aucun arbre à l’abri duquel s’installer, aucune maison. Non, il y juste le corps qui demande un peu de repos. Je bois un peu d’eau, entouré par le silence. Devant et derrière moi, il n’y que cette bande noire presque incongrue dans ce paysage désertique.
J’enfourche de nouveau ma monture, reprend de la vitesse à la manière des trains qui accélèrent avec une progressivité totale. Mon esprit vagabonde. De temps en temps, je crois apercevoir, dans le lointain, une fumée qui s’élève, sûrement un puits de pétrole.
Justement, je croise un énorme gros camion Kenworth aux roues démesurées et au bruit assourdissant, transportant d’imposantes canalisations.
De nouveau la route pour moi seul. J’alterne les moments d’euphorie à vivre cette route solitaire et ceux de doute quand je me mets à imaginer une panne dans un tel endroit.
Peu à peu, je ne fais qu’un avec cette voie rectiligne. Mon compteur égrène les kilomètres, les dizaines, puis les centaines, m’annonçant ainsi que je me rapproche du prochain village.
A la mi-journée, une station d’essence semble surgir du désert. Je m’arrête. Un homme aussi aride que la terre qui l’entoure fait le plein de mon réservoir. Je repars aussitôt. Cette journée est placée sous le signe d’une relation privilégiée entre la route et moi. Elle est devenue mon prolongement et j’éprouve un plaisir intense à y poser les deux bandes de caoutchouc de ma moto.
Le paysage change. Le terrain autour de moi se charge de reliefs accidentés portant en eux les millions d’années d’évolution de notre Terre.
Le soleil décline derrière moi et l’ombre de l’équipage s’étale sur le ruban noir magnifié par les couleurs chaudes de cette fin de journée.
La nuit tombe, brutalement. Le pinceau du phare tente de la repousser. Ma concentration est maximale. Cette route est devenue mienne aujourd’hui et je continue ma progression.
Soudain, la terre prend la place du goudron, la poussière forme un léger rempart devant mon phare sous les effets d’une brise nocturne. Je réduis ma vitesse. La fatigue frappe à la porte mais je lui demande encore un peu de temps avant de rentrer. Les kilomètres défilent de plus en plus lentement.
Enfin, alors que mon corps crie grâce, j’aperçois au loin des lumières. Je rentre quelques minutes plus tard dans ce que je pense être la ville d’In Amenas. La vision de baraquements cernés par des hauts grillages me ramène à la réalité de cette cité pétrolifère. La gendarmerie et l’hospitalité algérienne vont alors m’offrir ma première nuit de camping à l’intérieur d’une caserne. Je m’endors avec le goût magique de cette très longue route entre le lever et le coucher du soleil.
Le voyage, ce sont bien sûr ces rencontres si importantes, ces paysages merveilleux, la découverte de coutumes différentes mais je n’oublie pas cette relation si particulière qui se noue avec cette route qui permet de l’accomplir. Cela commence avec la lecture des cartes où sont tracées des lignes propices à la rêverie quand l’index chemine sur le papier alors que l’esprit se transporte dans le pays convoité. Puis, ce sont des étapes qui se succèdent, certaines plus intenses que d’autres au cours desquels la route devient un élément essentiel. Sans elle, point de voyage. Sinon, il y a la piste mais c’est un autre sujet…..