Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Brèves de voyage - Passage à vide

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Passage à vide

 

Au cours des mois précédant mon départ, j’avais rêvé de cet endroit en consultant la carte Michelin n°745 qui avait pris place sur le parquet de mon salon. A genoux sur le papier déplié, je me délectais à l’avance de ce désert blanc égyptien.

La route des oasis surchauffé que je parcours depuis deux jours a mis à mal mon organisme. Je m’arrête sur le bas-côté. Sur ma gauche, j’aperçois les énormes champignons de pierre calcaire dont la blancheur éclate sous les rayons du soleil déclinant. Je ressens une boule au creux de l’estomac en quittant l’axe routier pour pénétrer dans ce désert blanc. Après quelques kilomètres, je m’arrête près d’un rocher ; l’endroit me parait idéal pour y poser ma petite tente. Je suffoque sous les agressions de l’astre solaire. Il n’y a pas un souffle d’air. Je sens que je perds pied et tente de résister en m’occupant de mon campement. Mais le ver est dans le fruit, je ne parviens pas à arrêter le flot d’idées noires qui envahissent mon esprit. Je reste hermétique à la beauté naturelle qui m’entoure. Le coucher de soleil, loin de de m’apaiser, accentue au contraire cette sourde angoisse qui m’étreint. Soudain, des centaines d’insectes volants fondent sur mon visage et me contraignent à m’abriter derrière la moustiquaire de ma tente. J’ai du mal à respirer mais je sais que ce n’est pas seulement cette lourde chaleur qui en est à l’origine. La nuit tombe et je m’enfonce un peu plus dans le désespoir. Je voudrais crier pour l’évacuer mais j’en suis incapable.

Les heures s’écoulent avec une lenteur insupportable. Mon voyage est en train de m’échapper. Je sombre dans un trou sans fond. J’ai peur. Impossible de trouver le sommeil.

Au milieu de la nuit, un semblant de fraîcheur semble vouloir se manifester. Je sors, hébété. La lune et les étoiles diffusent une luminosité exceptionnelle. Mes premiers pas sont hésitants. J’entame une marche nocturne au milieu de ces sculptures taillées par mère nature. Peu à peu, j’émerge de cet océan de détresse qui m’a englouti sans prévenir après quatre semaines de voyage.

Le lever de soleil a le goût unique de la fin d’un cauchemar. Je replie ma tente et regarde une dernière fois ce lieu extraordinaire en m’excusant presque auprès de lui de n’avoir pas été capable de l’apprécier à sa juste valeur.

 

 

Un voyage en solitaire exacerbe les sentiments humains. L’espace de liberté totale offert à celui qui chemine, au gré des pays, lui ouvre l’accès à des moments de félicité d’une rare intensité. J’en ai plusieurs gravés dans ma mémoire. Mais, nul n’est à l’abri de passages à vide d’autant plus violents qu’il n’y a personne à côté de soi pour écouter et rassurer dans ces instants de doute profonds. On reste seul avec ses problèmes existentiels. Mais la nature humaine est bien faite, elle sait vous faire réagir pour sortir de ces situations car il n’y a pas d’autre alternative. Et, cela participe grandement à la connaissance de soi. Je suis toujours revenu de mes voyages au long cours avec le sentiment d’avoir « grandi ».