Le bivouac
Tassili N’Ajjer. La piste alterne les passages sablonneux et la tôle ondulée usante pour la moto et son pilote. Justement, alors que la journée s’étire, debout sur les repose-pieds, j’essaie de « lire » l’état du terrain ; droite ou gauche, j’hésite un instant et ma moto traduit mon incertitude en plantant la roue avant dans le tas de sable séparant les deux pistes. Je me retrouve à terre, me relève dans le foulée, et constate avec effroi que l’essence fuit par le bouchon de réservoir de ma Honda. Instant de panique suivi par une vaine tentative de relever ma moto surchargée.
Mon cœur s’affole, j’enlève les bagages, mes deux jerricans et parvient au prix d’un énorme effort à relever ma moto. Je reste un instant à balayer l’endroit du regard. Il n’y a pas âme qui vive dans ce décor constitué de sable et de pierres. Au loin vers le nord, j’aperçois le plateau du Fadnoun que j’emprunterai demain. Je ressens soudain l’envie de me poser ici. Cette chute était un signe ; mon corps commençait à fatiguer. Je monte rapidement ma petite tente en toile d’aluminium.
Puis, je pars à la recherche d’un peu de bois. Hamid, le Touareg avec lequel j’ai passé trois jours, m’a indiqué comment en trouver dans son désert, en creusant dans le sable, là où ce dernier a laissé la trace d’un arbre disparu depuis longtemps. Ma joie est immense en trouvant ainsi quelques racines desséchées que je ramène à la surface avec mes mains. Une heure plus tard, mon maigre fagot de bois est prêt à recevoir la flamme de mon briquet. La nuit vient de tomber brutalement. Je fais chauffer ma soupe déshydratée dans laquelle je plonge quelques morceaux de pain sec. Je la déguste lentement, appréciant chaque bouchée.
Puis, je me couche près du feu qui se consume doucement, les yeux tournés vers le ciel. Je plonge mon regard dans la galaxie et me laisse absorber par les milliers d’étoiles qui encerclent une demi-lune rayonnante. Mon esprit s’envole vers la France au milieu des ceux que j’aime. Autour de moi, le silence est total. Je ressens un bien-être extrême dans ce désert qui est devenu mon ami. Le froid s’installe et je me glisse dans mon sac de couchage pour entamer une nuit de sommeil paisible après la plus belle soirée de Noël de ma vie, ce 24 décembre inoubliable.
Le confort d’une chambre d’hôtel ou de la maison de celui qui accueille le voyageur est parfois indispensable pour recharger les accus. Cependant, ce sont ces bivouacs souvent improvisés, dans d’improbables endroits qui ont déclenché chez moi les émotions les plus intenses. Ceux que j’ai vécus entre deux dunes de sable ou sur un plateau rocailleux loin de toute présence humaine m’ont marqué à tout jamais. Les deux sentiments de fragilité extrême et de profonde existence se mélangeaient en moi pour donner au final une dimension extra-ordinaire. Je souhaite à chacun de vivre des moments d’une telle intensité.