La rencontre
Mars 2002. Deuxième jour à tourner le dos au soleil levant. C’est pourtant vers l’est que doit me conduire mon voyage. Katmandou est ma destination. Mais, hier matin, à Téhéran, les autorités iraniennes ont refusé l’extension de mon visa. Il me faut avoir quitté le pays avant demain soir. Alors, je roule sans aucun plaisir pour rejoindre la Turquie avec un goût amer dans la bouche. En plus, il fait très froid en ce moment en Iran. La journée tire à sa fin et je cherche ma route. Je tourne en rond et commence à perdre patience. La fatigue devient pesante après une semaine intensive au guidon de ma moto. Mon corps crie grâce et ma tête n’est guère au mieux. Je sens que mon voyage m’échappe. J’aperçois un café à l’angle de deux rues. Je gare ma moto devant, ouvre la porte et pénètre dans la pièce bondée. Je reste un instant, immobile, cherchant des yeux une place de libre. Je vois un homme arriver à ma hauteur. Il m’attrape par le bras, m’emmène près du poêle à bois et me fait asseoir. Il va vers le comptoir et revient avec un thé pour moi. Je porte le breuvage brulant à mes lèvres ; il se répand en moi comme une douce caresse.
Peu après, je veux me lever, il est temps de reprendre la route. L’homme revient vers moi. Il me montre mes doigts bleuis par le froid, mon visage marqué. Par gestes, il m’intime l’ordre de m’asseoir et va chercher un deuxième thé et un gâteau. Tu es trop fatigué, semble-t-il me dire, reste encore un peu. Je sens mon corps se réchauffer tout en mangeant le gâteau généreusement offert. L’homme reste près de moi, attentif et bienveillant.
J’ai retrouvé quelques forces et je me décide à partir. Mon bon samaritain m’accompagne jusqu’à la moto. Il me donne l’accolade avant que j’enfile mon casque les larmes aux yeux d’émotion. J’étais arrivé désemparé et je repars avec une énergie nouvelle en moi. Je démarre ma moto et lui fais un petit signe de la main avant d’enclencher la première. J’ai l’impression de quitter un ami.
Le voyage n’aurait aucun goût sans les rencontres qui rythment son cours. J’en ai connu des centaines et elles ont parfois joué un rôle clef dans la poursuite de mes virées. J’ai même eu parfois une étrange impression de rencontres « écrites » arrivant à point nommé alors que je traversais un grand moment de doute lors de mes voyages en solitaire.
J’ai oublié bien des lieux et paysages traversés ou gardé d’eux un souvenir diffus. Par contre, j’ai ancré tout au fond de moi les rencontres avec ces femmes et ces hommes qui m’ont offert un moment de leur vie avec générosité.