Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'imagination en voyage (tome 1) - chapitre 9

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Chapitre 9

Lorsqu'ils arrivèrent dans la palmeraie de Djanet, Chris eut un temps d'arrêt. Après ce long séjour
dans un campement touareg en plein désert, cette petite ville avait des airs de grande métropole et il
se sentait mal à l'aise au milieu de la foule qui se pressait autour du marché local au milieu des
étalages. Toute cette agitation l'agressait et il regrettait déjà l'atmosphère si paisible qu'il avait connue
des semaines durant.


Quand ils pénétrèrent dans la maison, la phrase de Siakou prononcé quelque temps auparavant " La
maison est le tombeau des vivants " prit toute sa signification. Après avoir vécu auprès de ses amis
touaregs, il comprenait leur attachement à perpétuer ce nomadisme, cette liberté qui en découlait
même si c'était au prix de conditions de vie parfois difficiles.


Dans un coin de la cour intérieure, la vision de sa moto recouverte d'une couche de sable lui redonna
un léger sourire. Depuis son départ du campement en compagnie de Siakou, il avait emmené avec
lui une grande tristesse. Son corps l'éloignait de Mabrouka mais son coeur était avec elle en permanence.
Il récupéra sa monture qui répondit au premier coup de démarreur ; il y vit comme un signe. Il était
temps pour lui de poursuivre cette longue route.


Avant de quitter Siakou, il s'épancha, avouant les sentiments qui l'animaient, la souffrance qui en
découlait, cette certitude qu'un tel amour était impossible. Siakou l'écouta sans l'interrompre. Quand
Chris eut terminé de parler, il lui dit simplement : " Ta décision est bonne car tu as fait le choix de
ton coeur. Bonne route et, à bientôt, Inch Allah ".
Siakou repartait dans son désert en compagnie d'un groupe de touristes. Une grand émotion planait
au dessus des deux hommes quand ils se séparèrent.
Chris rejoignit le camping de Djanet, l'esprit mélancolique. Un grand vide s'était emparé de lui.
Plus d'énergie, plus d'envie.

Il resta sous sa tente toute la journée, étendu sur son duvet. Perdu dans ses pensées, hermétique à
l'animation du camping. Amorphe.
Il y avait comme un refus de retrouver cette vie occidentale qu'il avait oubliée en partageant celle de
ses amis touaregs. Peu à peu, il s'était intégré au groupe, passant du statut d'invité à celui de membre
à part entière de la communauté. Ses amis lui avaient rapidement manifesté leur confiance en le laissant
accomplir certaines tâches quotidiennes.


Il eut une pensée très forte pour ses parents, frères et soeur ; le dernière fois qu'il avait donné de ses
nouvelles, c'était de Tamanrasset, il y avait .. .. il ne savait plus. Une éternité.
Il leur avait dit de ne pas s'inquiéter, qu'il était heureux d'avoir laissé pour quelque temps sa vie
morne et sans saveur, qu'il se nourrissait de rencontres extraordinaires et que cela suffisait à son
bonheur.


Pour l'instant, il se sentait écartelé ; il avait touché du doigt un mode de vie si différent du sien mais
auquel il avait adhéré naturellement. Il s'était rapidement senti comme chez lui, avait peu à peu appris
quelques mots de tamacheq. Depuis, il n'était " ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre " ,
partagé entre ces deux cultures.
Il y avait comme une force intérieure qui le poussait à abandonner sa moto, rejoindre le campement
et y vivre, simplement. En même temps, cette perspective l'effrayait. N'était ce pas l'espoir de retrouver
cette jeune femme, qu'elle s'intéresse à lui, qui l'amenait à envisager cela. Son cerveau bouillonnait,
il était incapable de réfléchir sereinement. A l'aube d'une décision qui pouvait changer sa
vie, une peur immense le tenaillait.


Il suffoquait et sortit précipitamment de la tente.
Il balaya du regard l'enceinte du camping. Trois petites tentes tentaient vainement de remplir
l'espace et, derrière l'une d'entre elles, deux motos étaient stationnées. Sa passion du deux roues fut
la plus forte, il s'en approcha et commença à les détailler. Il s'agissait d'une Honda Transalp et de sa
petite soeur la Dominator avec cette couche de poussière qui caractérise les véhicules circulant dans
ces contrées . Françaises, immatriculées dans le 29.


Des paysages bretons traversèrent l'esprit de Chris ; il aimait cette région qu'il avait visitée à deux
reprises. Elle avait un côté sauvage qui lui rappelait son département, les montagnes en moins.
Il eut soudain très envie de rencontrer les propriétaires de ces deux montures. Il n'eut pas à attendre
longtemps ; alors qu'il préparait le thé, deux personnes entrèrent dans le camping et, l'apercevant, se
dirigèrent vers lui.
Il attrapa deux verres de plus et les invita à boire en sa compagnie. Ils se présentèrent, Colette et
Loïc, arrivés il y a quelques jours et qui se préparaient à remonter vers le nord de l'Algérie après
avoir visité la région.


A leur tour ; ils questionnèrent Chris sur ce qu'il comptait faire.
" Je n'en sais rien " avoua-t-il, sentant soudain le besoin de parler, de mettre des mots sur le désarroi
qui le rongeait. Il raconta longuement son départ brutal de France, ses rencontres, la tempête de
sable, la période de bonheur qu'il avait connue chez ses amis touaregs et, enfin, son incertitude du
moment. Le jeune couple l'écoutait les yeux écarquillés, stupéfait qu'il puisse envisager de s'installer
en plein désert, à mille lieux de la civilisation européenne moderne.


" Je suis heureux de vous avoir rencontrés, j'étais perdu dans ma tête " leur dit Chris.
Quand ils se quittèrent, très tard dans la nuit, Chris s'engouffra dans son duvet, le coeur plus léger. Il
ne savait toujours pas de quoi serait fait son avenir mais il avait la conviction que sa décision devait
arriver naturellement sans avoir besoin de se torturer l'esprit. Ses doutes s'envolèrent dans la nuit
étoilé, il s'endormit en rêvant qu'il chevauchait un magnifique chameau blanc dans un paysages de
dunes à l'infini.