Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'imagination en voyage (tome 1) - chapitre 8

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Chapitre 8

L'archet effleura le cordage de l'imzad. La main ridée le fit glisser lentement. Les sons s'éveillèrent,
presque timidement d'abord comme pour ne pas interrompre brutalement le silence environnant,
puis ils devinrent plus présents, s'installèrent pleinement et la vieille femme se mit à chanter.
Chris frissonna de plaisir ;la musique prenait possession du lieu.
Il ne comprenait pas les paroles, mais peu lui importait. Il imaginait des histoires d'amour, des
scènes de vie nomade. Plus tard, ce fut Siakou qui prit le relais avec son oud rythmé par les claquements
des mains des personnes présentes et accompagné par le choeur des femmes.
Longtemps, Chris resta immobile, fermant parfois les yeux pour s'imprégner ce cette musique et, enfin,
sortit son harmonica de sa poche. Comme par magie, les sons se marièrent naturellement. La
complainte de l'harmonica accompagna le rythme lancinant de la musique touareg.
Un véritable enchantement.

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Chris regarda machinalement sa montre .Il suivit pendant un instant l'avancée de l'aiguille des
secondes qui, sans relâche, retournait inexorablement à son point de départ, sur le chiffre 12. La
présence de cet objet autour de son poignée lui parut soudainement incongrue. Il fit signe à Khamo,
un adolescent du campement, qui partait avec son troupeau de chèvres à la recherche de pâturages.
Un large sourire éclaira le visage de ce dernier quand il lui offrit sa montre. La date du 29 janvier y
était indiquée.
La mesure du temps n'avait plus de raison d'être.

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Il s'était éloigné pour rejoindre le sommet d'une dune où était posé un énorme rocher, comme porté
jusqu'ici par la main d'un géant. Il aimait cet endroit d'où il gardait une vue sur ce campement qu'il
avait adopté. Ses amis touaregs respectaient ses moments de solitude.
Il s'assit, laissa son regard se perdre vers l'horizon. Il avait abandonné depuis longtemps ses habits
occidentaux et revêtu la gandora bleue et le chèche noir que lui avait offerts Siakou.


Ses pensées s'entrechoquaient. Hier, Siakou était revenu au campement après s'être absenté pour encadrer
un groupe de touristes. Il n'était pas seul. Mabrouka, sa cousine l'accompagnait.
Durant le repas, Chris qui mangeait avec les hommes n'avait eu de cesse de jeter des coups d'oeil furtifs
en direction de cette jeune femme. Il se sentait hypnotisé par ses yeux noirs d'une profondeur
sans fin. Il n'avait quasiment pas dormi cette nuit là, il n'arrivait pas à détacher son esprit de ce visage.
Il resta immobile sur ce rocher, insensible au soleil aveuglant.


Cet élan amoureux qu'il ressentait le désarmait. Le mur de deux cultures, deux modes de vie si
différents, si éloignés, semblait se dresser soudain devant lui.
Etait-il concevable qu'un petit motard français aille faire une déclaration d'amour à une Targuia ?
Lorsque Chris revint au campement alors que le soleil déclinait lentement, son tourment ne l'avait
pas quitté.
Au petit matin, Siakou partit à la recherche de quelques chameaux disséminés dans le désert. Chris
insista pour l'accompagner. Il avait le sentiment qu'un éloignement provisoire l'aiderait à réfléchir
plus sereinement. Il était désemparé et Siakou lui demanda à plusieurs reprises s'il se sentait bien.
Cette longue marche lui fit du bien. Il forçait l'allure, puisait dans ses réserves physiques comme
pour s'empêcher de trop penser.


En fin de journée, son coeur se mit à battre de plus belle lorsqu'ils arrivèrent en vue du campement.
Au loin, au milieu d'un groupe de femmes, il aperçut Mabrouka. Elle rayonnait dans sa tenue noire,
elle se déplaçait avec une grâce naturelle qui éclipsait toutes celles qui l'entouraient.

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*Il était à Tarbes et arrivait dans la maison parentale. Dans le jardin, toute la famille l'attendait, les
parents, frères et soeur, oncles et tantes, cousins, et même ses amis les plus proches. L'atmosphère
était pesante. Chris alla vers chacun d'eux pour leur dire adieu puis, doucement, s'éloigna en levant
la main aussi haut qu'il pouvait. Ses jambes étaient de plomb.
Au bout de la rue, il y avait une énorme porte en bois usée par le temps ; derrière, le bois disjoint
laissait apparaître un paysage de désert et, assise près d'une tente, une jeune femme au regard profond
. Chris poussa de tout son poids cette porte mais elle ne s'ouvrit que de quelques centimètres.
Plus il s'escrimait dessus et plus celle-ci résistait. Derrière, le campement s'éloignait ; bientôt, il devint
une simple tâche au milieu des dunes et, au final, disparut totalement dans le sable. La porte céda
enfin mais il n'y avait plus qu'un terrain vague jonché de détritus. Désemparé, Chris se retourna. La
rue s'animait, quelques gamins faisaient une partie de billes contre un mur, deux chiens se disputaient
un os, un air d'accordéon s'échappait de la fenêtre d'une vieille bâtisse. Il leva les yeux, écouta
le chant d'un moineau installé sur la branche d'un platane.
Il respira profondément et se dirigea vers la maison de ses parents...... *


Chris se réveilla en sursaut. Le silence de la nuit l'accueillit au sortir de son rêve. Il se leva silencieusement
et alla rejoindre " son " rocher.


Quand l'aube apparut, il rejoignit le campement. Sa décision était prise : il devait partir.