Avec KTM, je peux parler d'une relation difficile. Mon premier contact avec une moto de la marque autrichienne eut lieu en haut d'un col pyrénéen quand mon ami Bruno me proposa d'échanger ma Transalp pour sa KTM 950 Adventure. Ce fut une expérience que je qualifierai de particulière avec ces incessants à coups à la remise des gaz d'autant plus perturbants que la virée dominicale se faisait comme très souvent sur des routes très sinueuses. Ma passagère avait beaucoup souffert ce jour-là et moi aussi, malgré mes efforts pour tenter d'atténuer cette brutalité par un pilotage adapté.
L'essai de sa sœur la KTM 990 Adventure il y a un an et demi ne m'avait pas réconcilié avec ce constructeur. J'avais retrouvé ce fonctionnement erratique au niveau de l'injection de la moto. L'abandon des carburateurs n'avait pas été suffisant pour donner une régularité qui m'aurait pourtant bien convenu.
J'avais heureusement eu l'occasion d'essayer des KTM plus modernes et avait pu constater que ces à coups avaient définitivement rejoint les oubliettes même si les motos de la marque conservaient un caractère entier illustré par le slogan Ready to race.
L'exception est la KTM 1050 Adventure qui avait réussi à séduire l'adepte des motos "bien élevées" que je suis. Paradoxalement, elle n'a pas rencontré le succès, démontrant que la clientèle de KTM est en demande de motos de caractère.
La KTM 990 Adventure qui m'avait tant rebuté il y a 18 mois était passée depuis entre les mains expertes d'un ami. Une bonne paire de pneus Pirelli, des plaquettes de freins de qualité, la pose d'un pignon de sortie de boîte avec une dent de moins et une petite intervention sur les réglages de l'injection, l'ensemble devait donner une moto plus homogène. Aline m'avait proposé de venir l'essayer pour vérifier le résultat.
Ce dimanche 25 avril 2021 me semble idéal pour remettre le couvert avec cette moto. La douceur printanière s'est installée pour tenter de faire oublier le confinement allégé que nous subissons depuis trois semaines.
Une pression sur le démarreur et le V-twin se réveille dans un bruit sourd qui annonce la couleur. On sent déjà dans son martèlement une mécanique de caractère et la moindre impulsion sur la poignée de gaz déclenche un vrombissement rageur.
J'ai le souvenir d'avoir calé la dernière fois au démarrage et je m'applique .... sans succès. La deuxième tentative est la bonne et la moto s'engage dans l'allée alors que j'essaye de doser le poignée de gaz sans plus de de résultat. Mon départ est laborieux! Et mes premiers tours de roues pour sortir de Pau me laissent perplexes. On est encore loin de la douceur de fonctionnement d'une Africa Twin ou d'une V-Strom!
Un bon point cependant; exit les pneus en bout de course qui n'avaient pas arrangé les choses la dernière fois. Aujourd'hui, je peux mettre la moto sur l'angle sans me poser de questions. La moto s'inscrit dans les virages naturellement.
Sur la rocade, je me dirige vers la route de Lacommande. Le raccourcissement de la démultiplication a du bon. Je peux rouler en sixième à 2500 tours/minute (65 km/h) sans que le moteur ne renâcle.
Je quitte la rocade pour une route à motos. Virages variés, revêtement parfois bosselé, dénivelés, tout ce que j'aime! La partie cycle y révèle ses qualités. Le train avant est précis et les suspensions bien amorties jouent leur rôle dans ce sentiment de sécurité qui m'envahit. Malheureusement, j'ai toujours un peu de mal, avec les phases décélération-accélération ponctuées par un à coup désagréable. Le freinage est bon, pas violent mais efficace et la moto ne plonge pas trop au freinage malgré les débattements importants. Je regrette juste une course trop longue de la pédale de frein; je suis devenu au fil des ans un adepte de l'utilisation du frein arrière pour aider la moto à s'inscrire dans les virages serrés et j'apprécie une bonne ergonomie à ce niveau là avec une pédale réagissant instantanément aux ordres de mon pied.
Coté moteur, je retrouve ce bicylindre joyeux qui en demande qu'à prendre des tours. Il y a une sorte de rage dans ce V-twin qui part à l'assaut du compte-tours avec une détermination totale. Il pousse à adopter un rythme enlevé et, progressivement, je me laisse embarquer dans cette incitation à hausser le rythme d'autant plus forte que les rugissements du moteur et la sonorité qui se dégage de la boîte à air sont eux aussi fortement inspirants. La boîte de vitesses réagit superbement, précise et rapide et participe au plaisir qui monte en moi alors que, après le village de Lasseube, la route plus large m'incite elle aussi à en remettre une couche au niveau du rythme.
Je suis alors en train de comprendre l'amour que portent certains motards à cette moto. Personnellement, je la trouve quand même trop pousse au crime et je m'applique à modifier ma gestuelle au niveau de mon poignée droit et ma main gauche pour contrecarrer les réactions parfois trop abruptes à la remise des gaz. En fait, j'ai compris qu'il fallait éviter la réaccélération une fois les gaz complètement coupés. Alors, je m'adapte en tentant de garder un soupçon de traction sur la poignée de gaz avant de réaccélérer. Peu à peu, je constate avec plaisir que je parviens ainsi à atténuer, voire à supprimer la brutalité qui me chagrinait au départ. Cela nécessite de la concentration mais le résultat est encourageant.
Je continue mon exploration dans les méandres de la mécanique de la moto. Je teste le passage des rapports à la volée que j'ai appris à maîtriser et la boîte de vitesses répond très bien à cette pratique. Je me dirige maintenant vers Aubertin sur une route de nouveau étroite et plus piégeuse. C'est l'occasion de parfaire ma sensibilité à un rythme plus apaisé. J'apprends à accompagner le levier d'embrayage pour adoucir le fonctionnement de l'ensemble et ça marche! Je retrouve la route de Lacommande et je m'engage pour un nouveau tour de manège en refaisant la même boucle que précédemment. Je sens que je rentre en phase avec cette moto et j'ai envie de peaufiner mon pilotage avec elle.
Je continue à me régaler avec ce train avant qui concilie agilité et une certaine retenue très rassurante à la mise sur l'angle; j'adore ce ressenti provoqué par la fine roue de 21 pouces qui permet d'éviter une trop grande vivacité. La fourche absorbe en outre efficacement les inégalités de la route et ajoute sa touche personnelle à ce climat de confiance qui s'installe. La sonorité enjouée du bicylindre me conduit, de temps en temps, à laisser le moteur monter en régime. Il ne présente aucune inertie et l'aiguille part à l'assaut des chiffres les plus élevés du compte-tours avec une allégresse certaine. Je me suis fait à la course trop longue de la pédale de frein et j'utilise fréquemment le frein arrière pour mieux tenir la corde en entrée de virage. La moto est vraiment saine dans cet exercice d'enchaînement des virages.
Elle obéit à mes impulsions sur la guidon pour l’inscrire sur l’angle et je sens mon plaisir qui va crescendo. Je ne peux m’empêcher de penser à ce qui se passerait si j’étais au guidon d’une Africa Twin sur ce même parcours. Même si cette KTM délivre de fortes sensations avec cette mécanique rageuse aussi bien accoustiquement parlant que dans sa manière de délivrer sa puissance, je pense que la Honda n’aurait aucun mal à suivre le rythme. On est vraiment dans le domaine du ressenti avec une KTM sans aucun filtre et une Honda plus feutrée dans son comportement.
En tout cas, les difficultés de connexion avec la machine que j’ai rencontrées au début de mon essai ont disparu et ça, c’est une excellente surprise!
Malgré cela, je me pose la question d’une utilisation au quotidien ; car, pour arriver à un tel résultat, il a fallu un effort de ma part, que j’adapte ma façon de piloter et je me demande si, dans la durée, je ne me lasserais pas rapidement de cette contrainte, à moins que cela devienne une autre façon naturelle qui s’imposerait à moi.
Preuve que notre histoire prend une bonne tournure, je n'éprouve pas le besoin, comme la dernière fois, de rentrer à la maison. Au contraire, j'ai envie de parfaire cette relation que je sens de plus en plus complice. Il y a un commencement de compréhension très agréable que j'aimerais prolonger. Je rejoins donc Gan et attaque la montée à la sortie du village direction Notre Dame de Piétat. La position de conduite me convient, les jambes bien dépliées, le guidon naturellement accessible et avec une position haute permettant une vue dégagée sur la route et ses obstacles divers. Cela a une contrepartie, des jambes tendues à l'arrêt pour arriver à poser le bout des pieds mais cela ne me gêne pas trop car je suis habitué depuis bien longtemps à la conduite des trails.
L'heure tourne et il est temps de rentrer. L'arrêt à la station d'essence est l'occasion de faire la connaissance des deux réservoirs (latéraux et descendant bas) et donc des deux bouchons, ceci dans un but de bonne répartition du poids.
Je repars et réalise que je m'insinue naturellement dans la circulation urbaine de Pau. Quel changement par rapport à mes débuts! Maintenant, je parviens à rouler tranquillement, en douceur, à bas régime. C'est d'autant plus agréable que je ne m'attendais pas à assimiler en deux heures le fonctionnement de la machine. Ni une, ni deux, au lieu de tourner à droite au feu rouge, je sors de la ville pour rejoindre les coteaux nord. Cette envie de rouler qui me gagne est un signe très positif. Je poursuis donc cette belle balade avant de me décider à la ramener à sa propriétaire légitime qui, à mon sourire alors que je retire mon casque, comprend que je viens de vivre une belle histoire avec sa KTM chérie!