Ce samedi a un goût différent. Je le sais quand j’arrive chez mon concessionnaire Honda, à Tarbes, au guidon de la 125 Varadéro de Marie. Quarante petits kilomètres pour me mettre en jambes. C’est une belle journée ensoleillée de novembre et je viens pour faire plus ample connaissance.
Je l’ai entrevue, une semaine plus tôt, quand je suis venu avec ma Titine, le cœur un peu lourd à l’idée de la laisser à un autre pour une petite poignée de billets de banque.
J’avais beau me répéter qu’elle partirait en Afrique dans deux mois, cela ne suffisait pas à me consoler.
Marc, le nouveau propriétaire étant parti, voilà que Philippe me lance : « Cela me ferait très plaisir de te prêter la nouvelle Transalp 700 que nous venons de recevoir, tout un week-end ».
J’enfouis bien profond cette phrase dans la poche de mon jean, la recouvrant d’un mouchoir pour qu’elle ne puisse pas s’échapper.
Et, trois jours plus tard, je reviens voir Philippe en lui disant que cela me ferait très plaisir de lui faire plaisir le week-end prochain !
« OK », me répondit-il « il faut juste demander à Sophie de l’immatriculer ».
Et, ce 10 novembre, elle est là, à m’attendre dans la cour de la concession. Je la trouve superbe dans sa livrée jaune.
Bon, c’est pas tout, mais j’ai un week-end à rouler, moi, et il est déjà 12H30.
Un coup de démarreur. Le moteur se réveille dans un bruit plein, saccadé au niveau de l’échappement. On est loin du bruit feutré de la 600. Surprenant pour une moto moderne qui doit répondre à des normes de plus en plus dures.
Je m’installe. Tiens, le guidon est plus étroit et plus avancé, et la position est assez différente de celle de ma Transalp. Je suis moins posé dessus, plus encastré. Le tableau de bord, très esthétique, est lui aussi moins large.
Allez, je passe la première et relâche l’embrayage, très doux. Le moteur se réveille dans un « martèlement » sympathique. En fait, il est très vivant, ce moteur, accoustiquement parlant. Mais, il est au moins aussi doux que le 600 dans son comportement. Plus même, car il permet, malgré la cylindrée supérieure, de reprendre à des régimes plus bas. Je me surprends, dans la circulation tarbaise à monter les régimes à 3000 tr/mn.
Premier rond-point. Bigre ! Ils ont mis un moteur de Transalp dans une partie cycle de 125 Varadéro !Quelle vivacité dans le train avant !
La moto a 21 kms et je la conduis avec grand ménagement jusqu’à Pau. Je me limite à 4000 tr/mn, ce qui correspond à 92 km/h au compteur digital. Dans le compte-tours, il y a une petite fenêtre avec la température de l’eau ; elle oscille entre 76 et 78 degrés. Il y a une montre aussi, et deux totalisateurs journaliers ; et même un warning. Mais , c’est Byzance !
Même si j’accélère très progressivement, je sens que le moteur « en veut ». Il semble plus expressif (il n’y a pas de mal …) que celui du 600 et, surtout, il y a ce martèlement venant directement du bloc moteur et qui passe par le vide laissé entre le réservoir et l’avant du cadre. J’avais remarqué cette caractéristique sur la 700 Deauville, mais en plus étouffé. Là, c’est franc et, ma foi, pas déplaisant du tout. Cela lui donne une touche « gros V-twin » que j’aime beaucoup, et cela contraste avec la douceur dont il fait preuve.
Le repas de midi est vite avalé et j’installe mon sac de voyage sur le porte-bagages. Ouais, pas terrible, cela ne vaut pas celui de ma Titine. D’accord, il est esthétique, mais trop étroit et avec des crochets peu utilisables.
Allez, direction le Tarn et Garonne, chez la frangine. Je remarque très vite que les suspensions réagissent sèchement sur les raccords. La souplesse, voire la mollesse, de la vieille Transalp, a été jetée aux oubliettes de l’usine Honda, semble-t-il.
Bref, durant cette première demi-journée, le sentiment est que la Transalp s’est « roadstérisée » ; la position, la protection plus faible, les suspensions plus fermes, l’impression de chevaucher une moto plus compacte, la vivacité de cette dernière.
Dans le Gers, je rencontre mes première routes fripées, et je m’en rends compte aussitôt car ça bouge au niveau de l’équipage. Les suspensions ne filtrent pas trop, elles renvoient assez sèchement les chocs au pilote, mais cela reste très convenable.
Je poursuis ma route calé à 4000 tr/mn, pour parfaire le rodage du V-twin. Les virages sont une incitation à angler, tant la moto semble prendre du plaisir à pencher. Et moi aussi par l’occasion.
La jauge à essence possède 6 barettes. A 247 kms, il ne m’en reste qu’une. Je m’arrête dans une station d’essence. Tiens , le réservoir est sur charnière, ah, l’orifice est large et l’essence s’écoule rapidement. Faire le plein sera plus aisé avec cette moto. Je mets 12,93 litres soit une consommation de 5,23 litres aux 100. Bof, je pense, qu’à cette allure, j’aurais fait aisément un demi litre de moins avec ma vieille Transalp. On dit qu’un moteur neuf a tendance à consommer plus. Attendons demain pour voir….
La nuit s’installe. Le tableau de bord prend une très agréable teinte orange et le phare éclaire, ma foi, très bien. Le faisceau est très large, et la partie gauche de la route et les bas-côtés sont, de ce fait, très visibles. C’est ma première moto a me donner une telle satisfaction dans ce domaine. Cette optique n’est pas seulement belle ( à mon goût), mais aussi efficace.
J’arrive à Castelsarrasin, après 260 kms parcourus. Je suis sous le charme de cette moto.
Vivement demain. Aujourd’hui, ce n’était que l’apéritif….
Dimanche 11 novembre. Un coup de démarreur et le moteur se réveille. La température d’eau s’affiche, environ, au bout d’une minute à 35 degrés.
Hier, la météo a annoncé du beau temps le long des Pyrénées, donc je décide d’aller vers le sud … après quelques détours.
Montauban d’abord, puis je me laisse guider par mon instinct et par la topographie du terrain. Tiens une petite route avec une colline à gauche. Bien vu ! La route serpente dans un bois. Le moteur tracte avec une vigueur fabuleuse. Je réalise que je reste toujours sur le rapport supérieur, comparé à ma 600 Transalp. Dès 2500 tr/mn en quatrième, la moto se relance avec vigueur pour se précipiter dans le virage suivant. Jouissif ! D’autant que le train avant confirme tout le bien que je pensais de lui ; très vif, il permet de modifier ses trajectoires, si le virage se resserre par exemple. Moi qui adore anticiper et lire le terrain, il me donne presque envie d’improviser plus. C’est très confortable, très sécurisant … et amusant au possible. Finie l’inertie de ma Transalp ; là, on se rapproche du train avant d’un roadster de moyenne cylindrée.
J’en vois un qui lève le doigt depuis un moment au fond de la salle : « Et le freinage ? ».
J’y viens.
Pour résumer, c’est la première fois que je conduis une Transalp qui freine, je veux dire qui freine vraiment ! Entre un frein avant puissant, mais toujours doux, et un frein arrière couplé qui assoit la machine tout en faisant preuve, lui aussi, de puissance, c’est , avec ce fameux train avant, ce qui a le plus changé sur cette machine. J’ai tenté le freinage en virage pour voir : la moto ne se redresse pas d’un iota. Très sécurisant, d’autant que l’ABS peut aider dans des situations difficiles sur sol mouillé et glissant.
Tiens, le compteur a passé la barre des 400 kms ; je m’autorise 500 tr/mn de plus, soit une vitesse de 105 km/h. Suffisant pour se faire photographier par un radar, mais mon itinéraire est loin des rond-points, feux rouges, lignes droites, et je ne risque rien.
Le temps reste gris, mais j’ai un énorme soleil dans la tête. Je l’apprécie de plus en plus, cette moto. Deuxième plein. 9,23 litres pour 202 kms. 4,57 aux 100. Pourtant, j’ai roulé un peu plus vite et sur des parcours plus accidentés. Le rodage en cours sûrement.
Le tête de fourche protège moyennement et je craignais pour mes cervicales, qui me rappellent parfois les 700 000 kms que je leur ai ingligés. Mais, non, tout va bien.
Sortie d’un virage serrée derrière une voiture. Je reste en cinquième, à un peu moins de 60, le moteur reprend avec vigueur et le véhicule est rapidement dépassé. Je suis sûr que les chiffres de reprise 60-90 km/h qui vont être mesurés par la presse seront excellents. En outre, il y a toujours ce côté force toute en douceur qui caractérise tant les Transalp.
Sortie de Mazamet. Le panneau indique « Virages sur 10 kms ». Le revêtement est superbe et le rythme s’accélère sur cette route sinueuse qui s’enfonce dans la montagne noire.
Plus loin, un deuxième panneau annonce un rab de virages de 15 kms. Miam, miam !
Mais la route est plus défoncée et la moto gigote pas mal en secouant son pilote qui n’en demande pas tant. La fatigue commençant à se faire sentir, cela devient moins supportable.
Je regrette le côté pullman de ma Transalp. Serait-ce le point faible de cette moto ?
De même, en rentrant à Carcassonne, le « pilonnement » du moteur me paraît plus fort ; je pose mon bras sur le devant du réservoir et le bruit devient plus étouffé.
Il est peut être temps de casser la croûte, cela fait cinq heures que je roule.
Un sandwich et un thé plus tard, je me dirige vers Quillan alors que le soleil daigne enfin se montrer. Les couleurs automnales sont magnifiées et le jaune de ma Transalp se marie très bien avec elles .
Sortie de Quillan, direction Foix. Encore une belle brochettes de virages que j’ai parcourus à de nombreuses reprises. La montée se fait à un rythme rapide-coulé jusqu’au sommet, et la descente a des airs de samba sur les nombreuses inégalités du goudron. Toujours ces suspensions un peu fermes. Quant à la selle, elle assure un confort de très bon niveau ; en comparaison, celle de ma vieille Transalp provoque un mal aux fesses après un long parcours.
Foix m’accueille alors que la nuit est proche. Un troisième plein : 11,65 litres pour 277 kms, soit 4,20 litres aux 100 ! Elle a l’air d’aimer ça, un rodage soigneux, la Titine !
Il me reste 200 kms, mine de rien. J’étais tellement bien que n’ai pas vu le temps passer. C’est bon signe une moto qui te fait oublier l'avancement de la journée.
Arrivé à Saint Gaudens, je commence à être frigorifié ; les pare-mains montrent là leurs limites. Ils m’ont bien protégé tout au long de la journée mais cela ne vaut pas une bonne paire de poignées chauffantes. Pour les 120 kms restants, je me résous à emprunter l’autoroute. Le compteur affiche alors plus de 800 kms et je me stabilise à 5000 tr/mn, soit 116 kms/h. Le peu de protection contre le vent ressort bien dans ces conditions ; je sens nettement la pression contre les épaules, le buste et la tête.
20H15 ; j’arrive à la maison transi et m’installe contre le poêle à bois. J’ai parcouru 626 kms aujourd’hui, et je ne suis pas encore lassé….
Lundi 12 novembre.
« Qu’est ce que tu dirais d’aller voir la montagne ? ».
La Transalp ne répond pas, mais, vu son démarrage au quart de tour, j’en déduis qu’elle est d’accord.
Aujourd’hui, ce sera donc petites routes et …. petites routes. Après Oloron Sainte Marie, je me dirige vers le col de Larrau, désert à cette époque de l’année. Sur cette route sinueuse et piégeuse, le V-twin fait preuve d’une sacrée vigueur. Quel couple à la sortie des virages serrées !
Dès 2500 tr/mn, le moteur tracte l’ensemble avec force ; je tente même 2000 tr/mn, pour voir, et ça reprend bien. Impressionnant.
Quant à la moto, elle me donne l’impression, dans ces conditions, de peser 25 kgs de moins que la mienne. Les virages s’enchaînent avec une facilité déconcertante.
J’arrive au sommet du col sous un vent glacial et un brouillard inhospitalier. Deux photos et demi-tour.
Un peu plus bas, un autre col me tend les bras, en allant vers la forêt d’Iraty. L’endroit est toujours aussi peu fréquenté, hormis les moutons qui déambulent sur la route. Je roule sur un filet de gaz, sous le charme des couleurs automnales des forêts et des montagnes environnantes.
Descente sur Saint Jean Pied de Port. Je décide de tester le frein arrière. Etonnante impression. C’est l’arrière qui semble agir d’abord et, en insistant, on sent l’avant qui l’assiste. Je fais toute la descente en ne touchant plus au levier de frein avant. C’est une autre façon de piloter, mais c’est diablement efficace ! Le freinage couplé : l’essayer, c’est l’adopter.
Passage au pas dans les ruelles pavées de saint Jean Pied de Port. La moto se révèle très équilibrée à très basse vitesse, et les demi-tours se font facilement, bien plus qu’avec ma Titine, que je vais finir par trouver camionesque ! La plus faible hauteur de selle contribue également à se sentir plus à l’aise dans ces manœuvres.
Bon, il est peut-être temps de rentrer à la maison. Allez, un petit dernier, le col d’Osquich, avant de ranger la Transalp au garage. Toujours ce même plaisir de balancer la moto d’un simple regard vers la sortire du virage, de sentir le V-twin « rugir » à la remise des gaz. Ce moteur est une réussite. Toutes proportions gardées, il me rappelle celui de ma XLV 750 que j’avais il y a …. 18 ans déjà. Du caractère mais pas caractériel. Il est en plus épaulé par une boîte de vitesses digne d’une Transalp, douce et précise, et un embrayage onctueux. Que du bon !
Au fait, le dernier plein, ce matin, a donné 12,5 litres après 268 kms parcourus, dont 130 bornes d’autoroute ;soit 4,66 litres aux 100. A priori, l’injection est bien maîtrisée. Un petit bémol toutefois. Parfois, à vitesse stabilisée, style entrée en ville à 2500 tr/mn, j’ai l’impression d’une certaine imprécision de l’injection, comme si l’essence hésitait à alimenter le moteur. A la remise, des gaz, cependant, le moteur répond instantanément.
Après ces 1185 kms parcourus, je dois reconnaître que cette nouvelle Transalp m’a séduit.
Moteur ( souple, coupleux, vif, consommant peu) boîte de vitesses, freinage, partie cycle, maniabilité, stabilité, tableau de bord.
Cet essai « longue durée » m’a quand même révélé que Honda avait décidé, sûrement en connaissance de cause, d’abandonner ce qui faisait le charme des anciennes générations de Transalp, à savoir la protection contre le vent et la souplesse des suspensions. Je viens de regarder la fourche et j’ai constaté qu’elle avait travaillé sur un débattement plutôt faible pour un trail. De même je pense que les pistes et chemins seront moins bien tolérés par cette nouvelle Transalp, avec sa roue avant de plus petit diamètre. Pour ma part, j’aurais opté pour des suspensions moins fermes, car j’ai trouvé cela remuait pas mal sur mauvaises routes, et j’en ai fréquenté pas mal tout au long de ces trois jours.
Je vais quand même aller vérifier si la suspension n’était pas réglée au plus dur, car je viens de réaliser qu’il y avait un réglage de l’hydraulique possible avec un tournevis.
Le bilan est quand même plus que positif. !
Demain, après le boulot, je vais devoir rendre la moto à mon concessionnaire de Tarbes. Il ne me reste plus que 24 heures pour trouver une BONNE raison de ne pas lui rapporter.
1/ « Tu sais, Philippe, en jaune, tu n’arriveras jamais à la vendre »
2/ « Sans poignées chauffantes à l’entrée de l’hiver, personne n’en voudra »
3 / « Pour me remercier de l’avoir si bien rodée, elle ne veut plus me quitter »
4/ « Elle trouve Pau plus animée que Tarbes »
5/ « Tu as plein de motos dans ton magasin une de plus ou une de moins…. »