Le bonheur est dans le V4 ou le tour des Pyrénées en Honda 1200 VFR
Samedi 13 février 2010, 17 heures. Concession Honda de Pau. Le temps est bas et gris, avec quelques petits flocons de neige qui virevoltent depuis ce matin. Eric me donne les clefs de la moto et, alors que je m’installe dessus, me glisse, avec une pointe d’inquiétude : « Soyez prudents tous les deux ».
Je le rassure sur mon degré d’inconscience limité et pose mes deux mains sur le guidon. « Mince, je suis quand même bien incliné sur l’avant. Je me demande ce que cela va donner sur près de 1400 kilomètres ». Voilà la réflexion un brin pessimiste que je me fais alors que je m’élance lentement. Mais, comment en suis-je arrivé là ? un petit retour en arrière s’impose.
« Bonjour Christian », m’avait lancé Philippe, mon concessionnaire, alors que je pénétrais dans son magasin « Regarde la Honda que tu vas nous roder dans quelques mois » avait-il ajouté-il en me présentant les premières photos de la Honda VFR 1200. Il est vrai que, deux ans auparavant, il avait inauguré le genre en ma prêtant un week-end durant, la nouvelle Transalp 700 afin que je puisse la comparer à mes trois Transalp successives. L’année suivante, c’est moi qui avait été demandeur car je voulais essayer la nouvelle transmission hydraulique de la DN 01 et enfin, avec un brin de nostalgie, je m’étais remis aux commandes de la petite 125 CBF, digne héritière de ma première moto, la mythique Honda 125 CG. Mais, là ; il s’agissait d’un modèle qui, à priori, était à mille lieux de ce que je recherche sur une moto. Difficile, pourtant, de résister à une telle proposition ; la perspective de deux jours de route était plutôt enthousiasmante, même en plein hiver.
Donc, par un rigoureux samedi de février, je me retrouve aux commandes d’une magnifique Honda blanche qui totalise à peine 100 kilomètres. Je n’ai eu qu’à me rendre à pied dans la concession, Philippe ayant eu la bonne idée d’installer une seconde concession après celle de Tarbes, à Pau, à cinq cents mètres de chez moi ; pour m’éviter de trop longs déplacements sur Tarbes ; ça, c’est du service client !
Et comme le bonhomme est amoureux du V4 Honda, ayant couru quelques Bol d’Or à son guidon, il a décidé de ne pas me laisser partir seul. Sa moto sera rouge, cela fera contraste avec la mienne, et je me dis que l’on va mieux la repérer dans la neige, si le temps continue à se dégrader !
Une courte nuit avec un peu d’excitation rendant inutile la sonnerie du réveil, un copieux petit déjeuner et le coup de téléphone de Philippe qui m’annonce : « Il fait –7 degrés, je finis d’enfiler mon équipement et je te retrouve dans une demi-heure à l’entrée de l’autoroute ».
L’autoroute, ce n’est pas ma tasse de thé, mais il paraît urgent de nous diriger vers le soleil espéré de l’autre côté des Pyrénées, chez nos voisins espagnols.
La VFR m’attend dehors ; elle en impose avec ce blanc nacré qui éclaire l’arrivée prochaine du jour.
C’est là que je découvre la moto, car je me suis contenté de quelques kilomètres hier, juste assez pour apprécier le douceur de la boîte, le freinage à la fois puissant et doux au dosage et avoir le sentiment de chevaucher une moto de cylindrée inférieure.
Nous nous stabilisons à une vitesse de 143 km/h, à 5000 tr/mn. Je me sens bien calé derrière le carénage plus protecteur qu’il n’y paraît. En outre, je bénis Philippe qui a eu la bonne idée de les faire équiper de poignées chauffantes ; avec mes manchons rajoutés la veille, mes mains se régalent de cette douce chaleur alors que le thermomètre indique 0 degré au tableau de bord.
Je me fais peu à peu à cette position si différente de celle que je connais depuis plus de 20 ans au guidon de mes trails. Quant au moteur, il commence à m’enchanter par son bruit. Le bruit d’une moto, c’est sa signature, le signe de son tempérament, de son caractère. J’aime celui des V-twin, je déteste celui des quatre cylindres en ligne, si « lisse » qu’il m’enlève tout plaisir. Là, il y a un son rauque, mais discret, le sentiment que, sous le réservoir, ça vit. Le bruit du vent est un peu trop fort à cette allure pour vraiment l’entendre, mais cela promet pour la suite du voyage.
Régulièrement, Philippe arrive à ma hauteur sur l’autoroute déserte ; je trouve cette VFR belle dans le mouvement, et je me dis que c’est un signe ; voilà une moto destinée à rouler, ce qui n’est pas pour me déplaire !
La sortie de l’autoroute se fait de manière un peu acrobatique pour Philippe dont la carte d’abonnement magnétique n’est pas reconnue par la liaison radio ; qu’à cela ne tienne, le skieur qu’il est se croit sur les pistes et prend la barrière abaissée pour le piquet d’un slalom en la contournant allègrement et en déclenchant l’alarme ! C’est l’occasion de discuter un peu avec une dame du péage qui nous fait part de son sentiment sur ces machines censées les remplacer. Derrière son sourire, il y a le désarroi que peuvent ressentir beaucoup de travailleurs dont les gros groupes, peu à peu, se séparent, pour enrichir un peu plus ceux qui détiennent le capital, tout là haut. C’était ma minute sociale, je reprends le cours de notre virée….
L’arrivée au Pays Basque ne nous offre pas, malgré ce que nous avait annoncé la météo, l’amélioration souhaitée. Au contraire, la nature environnante est de plus en plus blanche et le froid nous saisit alors que nous prenons la nationale, direction Pampelune. En outre, le route est mouillée, et, avec un thermomètre figé à 0 degré, toute velléité d’attaque est enfouie bien profond dans la poche.
Premier plein des motos : 11,32 litres pour 190 kilomètres parcourus, soit 5,95 litres aux 100, sur un parcours essentiellement autoroutier.
Dans ces conditions de route très hivernales, j’apprécie la douceur du moteur et également la facilité du châssis qui permet d’inscrire naturellement la moto dans les virages.
Un café nous tend les bras alors que les prés sont maintenant intégralement revêtus de blanc ; je sens poindre une vague inquiétude chez Philippe. Je lui montre alors la dame météo dans la télévision allumée qui détaille la carte de l’Espagne avec du soleil le long des Pyrénées.
Effectivement, alors que nous nous dirigeons vers Jaca, le temps s’éclaircit et le premier rayon de soleil frappe le tableau de bord alors que l’horloge indique 12H11. Le froid est toujours là , mais la route, copieusement salée, est sèche. Nous augmentons le rythme, et je me régale avec ce moteur qui tracte avec vigueur et douceur. Dès 3500 tours/minute, il prend de l’ampleur, donne de la voix et, en même temps, ne surprend pas par une arrivée de la puissance trop brutale. C’est le pilote qui décide et la moto lui obéit au doigt et à l’œil. J’adore ce comportement.
Après Jaca, nous bifurquons sur la gauche, sur une petite route que j’ai empruntée, le week-end précédent au guidon d’une BMW 800 GS. Cinquante quatre kilomètres d’une route défoncée, étroite, avec des trous, des gravillons, des dénivelées, bref, une route pas vraiment faite pour une 1200 à cardan.
Justement, j’aime emmener mes motos dans des endroits pas prévus pour elles. Là, je dois reconnaître qu’elle m’a étonné. Elle passe partout, ça n’importe quelle moto le fait, mais surtout elle passe à un bon rythme. Je me sens en confiance et, devant les multiples virages en aveugle, gravillonneux de surcroît, je décide d’oublier le frein avant très puissant pour n’utiliser que la pédale qui commande l’arrière et l’avant.
J’avais déjà goûté ce freinage couplé sur la dernière Transalp et j’avais apprécié. Aujourd’hui, il me donne un réel sentiment de sécurité, aidant la moto à s’inscrire dans le virage, sans transfert de masse ; il faut juste retrouver une sensibilité au pied, moins évidente que celle de la main. Pour moi, ce freinage couplé est un véritable progrès. Sur ce parcours accidenté, l’onctuosité du moteur fait merveille ; il reprend très bas dans les tours, le cardan se faisant oublier.
Quant à la boîte, spécialité Honda, elle est douce, précise, et je remarque que la montée des rapports est encore plus précise et silencieuse sans débrayer. A cette allure où le 90 est la vitesse maximum et encore, pas longtemps, le bruit du moteur m’enivre. C’est un concerto en V majeur auquel j’assiste dans un décor grandiose, un pur bonheur.
Après ces 50 kilomètres, je suis époustouflé. Jamais je n’aurais pensé pouvoir rouler avec un tel sentiment de sérénité au guidon d’une moto de plus de 250 kilos sur un parcours aussi accidenté. A aucun moment, je ne me suis crispé face aux multiples trous et bosses, même les chevaux, ânes et chèvres circulant sur la route n’ont pas fait monter ma tension artérielle !
Philippe est également aux anges.
Un deuxième plein est fait ; je trouve que l’autonomie est un peu faible, le réservoir ne faisant que 18,5 litres. En outre, le voyant réserve se met à clignoter, mais on ne sait pas combien de kilomètres il est possible de parcourir, alors qu’un compte à rebours aurait pu être affiché sur le tableau de bord. 13,85 litres pour 245 kilomètres, soit une consommation de 5,65 litres aux 100.
Après Aïnsa, nous retrouvons une route faite de courbes où j’apprécie la stabilité de la VFR. Quant au moteur, si besoin est, il répond présent et permet d’atteindre des vitesses inavouables en quelques secondes. D’ailleurs, j’en viens à me poser des question sur les remarques critiques concernant le bridage à 106 chevaux. Car, même privée d’une grande partie de sa puissance, cette Honda pousse fort, permettant des dépassements express. Il faut dire que 106 chevaux pour 250 kilos, c’est l’équivalent d’une Peugeot 308 qui possèderait 530 chevaux ! Depuis le départ, je n’ai pas eu à dépasser les 5000 tours /minute sans jamais avoir eu le sentiment de manquer de puissance, bien au contraire. Je me demande à quoi peuvent servir 172 chevaux sur une moto et où ? Sur circuit ? Dans une ligne droite d’autoroute ? Et au prix de quel décalage avec l’environnement.
Nous arrivons à Lérida après 9 heures de route et je suis étonné de ne ressentir aucune ni courbature, ni mal aux fesses ; compte tenu de la position de conduite, je ne m’attendais pas à un tel confort.
Par contre, dans les manœuvres à l’arrêt, le poids se rappelle à votre bon souvenir et il convient d’être vigilant, d’autant que le rayon de braquage est moyen, avec le guidon qui coince les mains contre le réservoir. Un nouveau plein confirme la consommation moyenne : 14 litres pour 249 kms, soit 5,62 litres aux 100.
La nuit est douce et profonde pour les deux compagnons de route. Nous décollons à 8H30 par -2 degrés ! Les poignées chauffantes ne vont pas chômer, encore aujourd’hui !
Premier arrêt au feu rouge, une voiture de police arrive à notre hauteur. Aïe, qu’avons nous donc fait ? En fait, les deux policiers sont très intéressés par la VFR et nous questionnent sur le confort, l’un d’entre eux possédant l’ancien modèle.
La route que nous empruntons est faite de grandes courbes et de dénivelées où je me régale. La stabilité de la moto est royale, le sentiment de sécurité total. En outre, le freinage avant est d’une puissance impressionnante, mais toujours dosable, avec en plus l’ABS d’origine qui rassure .
La difficulté, avec cette moto, consiste, non pas à respecter les limitations de vitesse, mais à ne pas les dépasser de trop. Moi qui suis plutôt calme, je me surprends à me laisser emporter par l’enthousiasme au guidon du V4. Heureusement, du côté espagnol, on est loin des contrôles radars permanents en vigueur sur notre territoire national.
La mer est proche . La route de la corniche avant Cadaques nous tend les bras. Un revêtement de rêve, des virages en veux tu, en voilà, il n’en faut pas plus pour que Philippe, le pistard, se lâche. Quant à moi, j’assiste, derrière, au spectacle de cette belle moto rouge qui virevolte, entre parapet et falaise rocheuse.
Une halte au pied de la statue de Salvador Dali s’impose. Deux tortillas plus tard, je me sens d’attaque pour refaire le parcours à l’envers. Le ventre plein, je me sens plus d’attaque, d’autant que la moto est toujours aussi évidente à mener, sécurisante.
L’après-midi est déjà bien entamé et, à regret, nous ne pouvons emprunter la magnifique route qui longe la côte Vermeille. Pour le retour, le menu, ce sera l’autoroute. Un nouvel arrêt à la station d’essence : 13,9 litres pour 230 kilomètres, soit 6,04 litres aux 100.
5000 tours/minute, 143 km/h. Cette vitesse raisonnable ne tiendra pas longtemps. Philippe sent l’écurie proche et le compte-tours se stabilise plutôt à 5500 tours/minute, soit 160 km/h. Nous dépassons de nombreux camions et l’intérêt du carénage double peau saute aux yeux. Je l’avais déjà remarqué ce matin, mais, là, c’est évident. Alors que je sens mon corps balloté par les remous d’air, la moto suit son cap sans l’ombre d’un tressaillement. Bien calé derrière le carénage protecteur, j’en arrive à prendre du plaisir, ce qui est rare sur autoroute. Et puis, il y a cette réserve de puissance disponible à tout moment pour se dégager d’un automobiliste trop collant. A ce rythme, les kilomètres défilent vite et nous arrivons à Toulouse. Au péage, je remarque un homme en bleu qui nous attend discrètement dans notre file. Mince, ce n’était peut-être pas une bonne idée d’essayer de rattraper Philippe juste avant le péage, l’endroit préféré des contrôles radars. En fait, il s’agit d’un douanier visiblement intéressé par la nouvelle VFR et qui m’interpelle ainsi : « Rassurez moi, elle est full ? ».Je tente de le convaincre qu’elle est bien bridée, mais que, au cours de ces deux jours, à aucun moment je ne me suis senti bridé, moi, et je lui conseille d’en essayer une….
La nuit s’installe, la circulation se raréfie et le rythme s’intensifie. Je trouve le plein phare puissant, un peu moins le code, mais il est vrai que notre allure n’a rien de réglementaire…
Les deux derniers pleins confirment une consommation raisonnable de 6,09 litres et 5,92 litres aux 100 malgré le rythme plutôt soutenu. Les lumières de Tarbes annoncent la fin du voyage pour Philippe. Pour moi, petit veinard, il y a encore 40 kilomètres à parcourir.
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1365 bornes en deux jours, avec des températures proches de zéro, de la départementale défoncée au ruban autoroutier, la VFR a révélé au cours de ce beau week-end des prédispositions certaines à « prendre la route ». Confortable, bien plus que ce à quoi je m’attendais, avec un carénage protecteur, dotée d’un freinage impressionnant , avec une stabilité sans faille qui n’empêche pas une grande facilité de conduite, j’ai été sous le charme de cette moto. Et j’ai beaucoup aimé ce moteur, vivant, mais pas caractériel. C’est la première fois que je pilote une moto aussi aboutie. Elle donne envie de tailler la route, loin et longtemps. Avec un atout maître: le cardan. Equipée des sacoches optionnelles, c'est une véritable GT sportive qui arrive sur le marché.
Mardi matin, alors que je lavais la moto avant de la rendre, à regret, j'ai pu noter avec quel soin elle a été fabriquée dans les moindres détails. La magnifique peinture est représentative de cette qualité de fabrication. Je me suis dit que l'équipe ayant donné naissance à cette VFR avait du être très fière à la fin de la gestation. J'ai le sentiment que cette équipe a eu le feu vert pour mettre toute son énergie dans l'élaboration de ce modèle, sans contrainte particulière. Le résultat est une moto dont la technologie n'a pas eu pour effet d'enlever le plaisir à celui qui est au guidon. Elle vit, cette moto, et c'est du bonheur à la conduite!
Ce qui m'a vraiment surpris, c'est l'accueil plus que frileux de la presse moto, notamment de Moto Journal. D'ailleurs, dans le numéro suivant, L'hebdo a cru nécessaire de se justifier face à certaines critiques des lecteurs, en mettant en avant son honnêteté de journaliste. Je n'en doute pas, mais je trouve qu'il y a, et ce n'est pas la première fois que je le constate, un réel décalage entre l'utilisation qui est faite des motos essayées et celle du motard moyen. Et je ne me retrouve plus dans leurs essais. Aussi, je conseillle à chacun de se faire sa propre opinion en prenant le guidon.
La mienne est que cette moto va plaire, durablement, vu son homogénéité et ses qualités de grande routière. Pendant que je roulais, je me suis pris à rêver d'un gros trail routier sur la même base mécanique, et mon petit doigt m'a dit que c'était pour bientôt.
Encore un peu de patience....