Le garage familial est bien rempli, ce dimanche matin, alors que je m’apprête à enfiler mon blouson. Entre les quatre vélos et la 125 Varadero de Marie, il y a cette moto rouge, étincelante, qui s’est invitée, la veille au soir et à qui il a bien fallu faire une petite place.
Lorsque je sors la nouvelle venue dans la cour, la nuit est encore là ; la fraîcheur automnale est bien présente, mais le ciel bleu foncé semble promettre un temps dégagé.
Le moteur s’ébroue au premier coup de démarreur dans un bruit rauque mais discret.
J’aime ces départs, au petit matin, alors que le quartier est encore silencieux et désert.
Une pression sur le sélecteur et la moto démarre sur un filet de gaz ; je sais, que, dans quarante kilomètres, elle cédera sa place à une de ses sœurs dépourvue de ce qui a toujours était lié à la pratique de la moto, un levier d’embrayage et un sélecteur de vitesses.
Justement, j’ai très envie de rouler avec cette nouvelle génération de moto. Après l’essai de la version « mécanique » qui m’avait enthousiasmé, je suis impatient de m’installer au guidon de la DCT.
Cela faisait plusieurs fois que Philippe, mon concessionnaire, m’avait proposé d’ essayer le modèle qu’ils avaient reçu, mais je n’avais jamais trouvé le temps et, au fond de moi, je crois que j’étais réticent à l'idée de ne faire que quelques tours de roues avec . Je savais que cette machine à manger du kilomètre ne pourrait s’exprimer dans de telles conditions et je craignais une profonde frustration .
Son invitation d’essayer en compagnie de quelques autres motards, ce nouveau modèle, une journée durant, fut donc la bienvenue, au point que je laissai tomber, sans remords, une séance musicale prévue de longue date.
Je quitte Pau alors que, au loin, le plateau de Ger s’illumine d’une magnifique couleur orangée, annonciatrice du jour naissant. Les montagnes, sur ma droite, baignent déjà dans une douce clarté.
Elle est belle, notre région, qui permet de profiter, dès les faubourgs de la ville franchis, de ce paysage superbe.
Je retrouve la moto que j’avais quittée, il y a plus de six mois. Facile à conduire, avec un moteur volontaire, mais surtout pas violent, un freinage rassurant. Quarante kilomètres, plus tard, je retrouve ma concession et Philippe fait les présentations au fur et à mesure des arrivées. Il y a de tout, des possesseurs de Ducati Monster, de Yamaha V-Max, de BMW, de Honda bien sûr, et même un qui possède un modèle rare, une Voxan Charade. Certains sont venus en couple.
Cette journée s’inscrit dans une opération de Honda France qui souhaite, semble-t-il, faire découvrir cette VFR 1200 aux clients potentiels.
Sept motos à double embrayage contre six à boîte traditionnelle : la dernière née a pris un léger avantage mathématique. Va-t-elle confirmer sur le terrain?
Pour ma part, je n’en doute pas au point d’annoncer tout de suite la couleur à mes futurs compagnons de route : « Le premier qui emprunte « ma » VFR est un homme mort ! ». Après avoir goûté avec délice aux qualités de cette VFR en février dernier, je suis persuadé du bien fondé d’une telle transmission qui doit, d’après moi, parfaitement s’accorder à l’esprit de cette moto. Mais, comme toute certitude est prête à tomber sous les coups de la réalité, j’ai hâte, alors que le soleil fait briller les treize motos alignées devant la concession, de vérifier le bien fondé (ou non) de ma conviction profonde.
Alors en route ! Au programme, 450 kilomètres de routes entre France et Espagne.
Juste avant, Philippe explique brièvement ( trente secondes maxi, chrono en main !), le fonctionnement de cette boîte, en concluant simplement : "Faites vous plaisir!". Voilà du briefing comme je les aime !
J’ai l’insigne honneur d’ouvrir la route, en ma qualité de gros rouleur , mais je me dis que, peut-être, mon rythme de conduite raisonnable en est la meilleure raison, afin de canaliser les ardeurs de certains participants !
Je décolle en mode automatique « calme » (position D) pour sortir de Tarbes et, au bout de quelques kilomètres, j’opte pour le mode manuel avec la commande à gauche au guidon ; c’est très simple, un bouton accessible avec l’index pour monter les rapports, un avec le pouce pour les descendre. Le tout automatique ne me convient pas trop, à priori, comme j’avais pu le constater , si je peux me permettre la comparaison, avec la DN 01, la moto OVNI, comme je l’avais surnommée. Sauf, qu’avec cette dernière, il m’avait fallu quelques heures pour m’en rendre compte. Je préfère décider plutôt que subir.
Nous empruntons l’ancienne nationale qui va à Toulouse, celle qui était si fréquentée avant la construction de l’autoroute voisine. Maintenant, c’est devenu un parcours très plaisant, désert, avec des variations de virages, des dénivelées …. et pas de radars ! Cela tombe bien, la vitesse de croisière de cette moto est en 6ième, à 4000 tr/mn, entre 115 et 120 km/h. La moto semble glisser sur l’asphalte à cette allure, s’inscrit avec douceur dans les courbes avec ce moteur qui tracte gentiment.
Je me sens bien, d’autant que j’aime ouvrir la route ( peut-être l’habitude de nombreux kilomètres en solo) et je constate que le « troupeau », derrière, ne manifeste pas de signe d’impatience. Je me dis que cela ne tardera pas à l’approche des deux cols espagnols que nous allons prochainement franchir. Pour l’instant, tout le monde est sage, en phase d’apprentissage de la moto.
Je commence à me régaler avec cette commande à la main, et à aucun moment, je n’ai le réflexe de chercher l’embrayage ou le sélecteur. Le passage des vitesses se fait en douceur sans qu’il soit besoin, à la montée des rapports de couper les gaz. En plus, la rapidité d’exécution est remarquable et je me fais vraiment plaisir.
Et j’apprécie toujours autant le bruit du V4.
Je vois beaucoup de sourires au premier arrêt, à quelques kilomètres de la frontière espagnole. La prise en main évidente de la moto est mise en avant, ainsi que la rigueur de son châssis.
Cela tombe bien, les premiers kilomètres sinueux et parfois « secouants » arrivent alors que nous entamons la route de Castejon de Sos, via les cols d’Espina et de Fadas, situés entre 1400 et 1500 mètres d’altitude. Le rythme devient plus sérieux, avec une attention redoublée sur cette route sinueuse et étroite. Je dois reconnaître que cette position de conduite n’est pas ma tasse de thé et je rêve d’un guidon plus haut, plus large, mais je n’ai pas voulu abuser de la gentillesse de Philippe en lui demandant de m’en adapter un de Transalp avant le départ !
Je sens que ça pousse derrière, alors, pour éviter de perdre la face, je fais signe que je m’arrête pour prendre une photo en les laissant passer. Je sais, ce n'est pas très glorieux!
Je repars seul et je poursuis mon rythme que je qualifierais de rapide-coulé, alors que certains de mes amis motards parleraient plutôt de rythme de sénateur ( !) et, sur cette route qui demande un changement de rapport à chaque instant, je commence à saisir pleinement l’intérêt de cette transmission. La main gauche reste bien serrée sur la poignée, et la droite aussi, vu que je mets de nouveau en œuvre le freinage couplé à la pédale qui permet d’inscrire la moto dans les virages qui se referment. C’est une aide précieuse que j’avais déjà eu le loisir de goûter au guidon de la Transalp 700, sur cette même route. Ce système de freinage, dont Honda s’est fait le spécialiste, est pour moi un progrès plus grand que l’ABS car on l’utilise au quotidien.
Les sorties de virages sont jouissives, avec ce moteur qui tracte avec vigueur et cette commande qui permet de monter les rapports avec rapidité et sans effort. Ce que j’apprécie le plus, c’est de rester dans les moyens régimes et de sentir le moteur, reprendre, dans la zone de couple, bien remplie, une fois la vitesse supérieure enclenchée.
Je n’ai plus qu’à me concentrer sur le pilotage et je constate que l’extrême facilité à changer de rapport me pousse à rétrograder beaucoup plus que de coutume, utilisant le frein moteur en entrée de virage en sachant que, dès la sortie entrevue, je pourrai monter les rapports d’une légère impulsion de l’index. Oui, vraiment, sur des parcours sinueux et accidentés, cette transmission est une merveille qui apporte beaucoup de plaisir.
Une réserve toutefois, en passant la première et la deuxième, à basse vitesse, la boîte claque, je le constate dans les traversées au pas des villages espagnols. Bref, ce n’est pas la moto idéale pour un coursier, mais je m’en doutais un peu avant de partir…
D’ailleurs, à ce sujet, Monsieur Honda, pourquoi n’installez vous pas la non moins excellente transmission hydraulique de la DN 01 sur la Deauville ?
J’en oublie totalement le poids respectable de la dame qui avoue ses 280 kilos en ordre de marche, preuve de l’excellent équilibre de la machine.
Après la traversée de très belles gorges, nous arrivons à Ainsa. 229 kilomètres parcourus, il est temps de faire le plein … et de comparer les consommations ; je regrette de ne pas avoir convenu au départ que les plus gourmands devraient payer la tournée générale, car je suis dans la catégorie des sobres. A ma pompe, sur les quatre motos, cela va de 12,8 litres pour moi à 15,3 litres pour celui que je ne dénoncerai pas, d’autant qu’il roule en duo, soit une consommation moyenne située entre 5,58 litres aux 100 et 6,68 litres aux 100.( 5,85 litres et 6,28 litres pour les deux consommations intermédiaires). Je trouve que ce n’est pas excessif pour une 1200 avec laquelle on a eu tendance à jouer un peu sur les routes de montagne, mais par contre, l’autonomie est insuffisante avec ce réservoir de 18 litres et ce voyant de réserve qui clignote, mais sans que l’on sache exactement combien il reste dans le réservoir. Un décompte des kilomètres à parcourir serait le bienvenu, ainsi que cinq litres de contenance supplémentaires.
Après avoir rempli les réservoirs, il semble urgent de garnir la panse des motards et motardes. Encore 40 kilomètres superbes en longeant le Parc National d’Ordessa.
Les copains ne m'ayant pas attendu à la sortie de la station d'essence, je me retrouve derrière, suivi comme mon ombre par un petit jeune de 62 ans qui "en veut" et que je finis par laisser passer d'un signe de la main, car je ne veux pas qu'il apprenne mon sens inné des trajectoires!
S'ensuit une belle tablée dans le village de Broto, à la terrasse d'un restaurant et, manifestement, tout le monde semble sous le charme. Facile, cadre rigide et sécurisant, freinage puissant, moteur plaisant, mes voisins de table apprécient la moto. Seul Michel indique que le freinage de la VFR est plus faible que celui de sa moto, la Voxan Charade, tout en reconnaissant que celui de cette dernière est tout simplement trop brutal et doit être utilisé avec circonspection.Sur cette VFR, ce qui frappe, c'est qu'elle se pilote instinctivement, sans effort particulier, obéissant au doigt et à l'oeil, mais elle n'est pas fade pour autant, bien au contraire.
L'après-midi est déjà bien entamé quand nous reprenons la route et je retrouve avec délice "ma" moto que j'apprécie de plus en plus. Comme je l'avais constaté, il y a six mois, c'est une moto qui se déguste dans la durée, avec laquelle il faut aligner les kilomètres pour sentir ses possibilités. Le guidon bas me gêne moins qu'au départ, je ne ressens pas de douleur aux fesses, même si, parfois, l'amortisseur réagit assez fermement sur les fortes inégalités. Rien d'inquiétant, mais je suis tellement habitué aux trails que je suis devenu accro aux grands débattements.
Les paysages sont superbes lors de la montée du col du Pourtalet au sommet duquel nous faisons une dernière halte.
Enfin, il y a la descente du col, au milieu des nombreuses voitures, ce qui nous change après des heures de routes désertes. On va donc jouer à saute-mouton, exercice nécessitant beaucoup d'attention, mais très plaisant. Je me sens de mieux en mieux sur cette moto et ma confiance est totale. Je sais que je peux compter sur son freinage, sur sa vivacité et la puissance du moteur pour me dégager du flot de véhicules.
Je dois reconnaitre que je n'ai pas vu grand chose du paysage, mais quel plaisir de sentir la moto obéir, sans coup férir, aux ordres de son pilote.
Dans cet exercice, la commande manuelle des vitesses est là encore un plus car son maniement est instinctif, très rapide.
La virée se termine doucement, mais, jusqu'au bout, nous poursuivons notre recherche des petites routes qui, si elles ne sentent pas vraiment la noisette, sont une source de plaisir motocycliste.
Je réalise la chance que j'ai de vivre dans cette région où la nature est si belle, les montagnes si proches .... et notre concessionnaire si prévenant!
Les yeux de tous les participants brillent à notre arrivée à Tarbes. je suis sûr que tous garderont un excellent souvenir de cette journée.
Quant à moi, j'ai la chance de devoir rentrer à Pau au guidon de cette VFR. Il est tard et je m'autorise une incursion sur le ruban autoroutier où je sais cette moto à son aise. Un petit 150 de croisière, bien protégé derrière le carénage.
J'en profite également pour vérifier si le bridage de cette moto, régulièrement dénoncé dans la presse, est si castrateur. Je m'offre une accélération 1ière, 2ième, 3ième et et puis .... non, pas 4ième cela va vraiment trop vite! Bref, je persiste à dire qu'une version libre est inutilisable sur route, sauf à faire une totale abstraction de l'environnement ( voitures, piétons, animaux, virages, obstacles divers). D'ailleurs, à aucun moment, je n'ai entendu un des motards du groupe se plaindre d'un manque de puissance. C'est la disponibilité du moteur à bas et moyen régimes qui était mise en avant.
J'en viens à me demander si les essayeurs de la presse moto vivent sur la même planète que le motard lambda.
J'arrive à la maison, sans fatigue excessive, après plus de 500 kilomètres dans la journée, sur des routes plutôt destinées à des trails. Pas de mal aux fesses, pas de courbatures, la moto se révèle confortable, mais je l'avais déjà constaté, il y a six mois, avec nos vingt heures de route sur deux jours.
Au final, comme vous avez pu le constater, j'ai beaucoup aimé cette "Dual Clutch Transmission", mais seul le mode manuel m'a inspiré. j'ai tenté, à trois reprises, le tout automatique, en mode sport ou tranquille, et je l'ai vite abandonné.
Peut-être me faudrait-il plus de kilomètres, voire un véritable grand voyage pour apprécier le mode automatique. Philippe, si tu me lis, tu peux transmettre ce message à Honda France!
Je laisse le mot de la conclusion à Pascal, qui a bien voulu m'écrire ses impressions:
"Mise à part le côté dépaysant de l' environnement naturel, cette balade nous a surtout permis de tester (avec un grand plaisir) une moto sur un terrain plutôt réservé aux roadsters ou trails (je pense particulièrement aux routes de montagne), d' autant qu' au départ (comme tout motard), j' ai lu une multitude d' articles sur cette fameuse 1200VFR, qui cela dit en passant ne lui ont fait aucun cadeau.
Je le rejoins assez dans ces (rares) critiques. Pour ma part, je souhaiterais un plus gros réservoir, des débattements de suspension à la hausse, un guidon plus large et relevé, bref une Varadéro 1200 qui se révélerait alors être une fabuleuse routière.