Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Voyage dans le temps: le petit mono au Maroc - La panne

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Plus tard, nous rentrons sur l'autovia, le rythme est soutenu. Mais, insidieusement, je sens que le moteur devient moins fringant. Les faux plats mettent à mal l'endurance de la cinquième. C'est comme si les ordres de la poignée de gaz n'arrivaient pas tous au moteur. Une pente à affronter, je suis obligé de rétrograder en troisième! Mauvais signe. Puis, dans la descente qui suit, le moteur retrouve comme par enchantement sa vigueur, je le laisse s'exprimer, je vois la Yamaha de Jean-Roland disparaître dans mes rétroviseurs. En l'absence de compteur, j'estime ma vitesse à 100-110 kilomètres/heure. Ma période d'euphorie est hélas de courte durée, la puissance chute brutalement et je me retrouve au pas avec un bruit étrange, comme si le moteur ne tournait que sur un cylindre. Oui, je sais l'expression n'est pas très heureuse pour un monocylindre! Je parcours un kilomètre au ralenti et sors de l'autovia. Nous garons les motos. 

 

 

Pendant quelques minutes, je suis gagné par un profond désarroi. Le voyage semble vouloir prématurément prendre fin. Nous discutons pour essayer de comprendre l'origine du mal. Nous sommes à 40 kilomètres de Barcelone, le bateau quitte le port demain pour Tanger. Après quelques hésitations, j'opte pour le coup de téléphone à l'assistance. Très rapidement pris en charge, la dame au bout du fil me parle d'hôtel, taxi, voiture de location. J'essaie de la convaincre. Je veux juste qu'un dépanneur vienne et emmène le moto jusqu'au port. Je lui explique que j'espère trouver un mécano compétent au Maroc. J'ai le souvenir de toutes ces 125 chinoises qui sont arrivées au Maroc depuis plusieurs années et je suis certain que l'on pourra trouver de la pièce là-bas ainsi qu'un mécano débrouillard. C'est OK. Une heure après, le camion arrive, on charge la Honda sur le plateau. La nuit va bientôt arriver quand nous pénétrons dans le port. Première victoire, je sais que mon petit mono pourra poser ses roues au Maroc. S'il doit mourir, autant que ce soit là-bas.

 

Jean-Roland part à la recherche d'un hôtel. Tous complets à part un, qui a encore une chambre. Par chance c'est le plus près et le moins cher. Je le rejoins en poussant la Honda pendant un kilomètre et demi (ça a du bon, une moto légère....).

 

Lundi 12 novembre. Inutile de dire que je n'ai pas besoin de réveil pour sortir du lit ce matin. J'arrive devant le bateau partagé entre le doute et l'espoir qu'une solution pourra être trouvée. Nous retrouvons Choukrani, sympathique marocain rencontré la veille qui me confirme que nous devrions trouver un mécanicien compétent chez lui.

La traversée est paisible sur une mer calme. Marc, qui s'en va visiter le Maroc au guidon de son scooter 110, laisse un message sur le répondeur d'une amie chauffeuse de taxi à Tanger pour obtenir l'adresse d'un réparateur moto, Choukrani me propose de faire un peu de place dans sa camionnette pour transporter ma moto. Ces réactions font chaud au cœur et le moral reste au beau fixe. 

Mardi 13 novembre, 16 heures. C'est l'heure de quitter le bateau. Dans l'espace où sont stationnées les quelques motos, on est loin des BMW 1200 GS à l'équipement haut de gamme. Il y a une Harley Davidson toute neuve dont le propriétaire s'en va en fait à Marbella pour rejoindre son épouse. Cette dernière n'a pas voulu qu'il fasse toute la route de Toulon de peur de l'accident et l'on sait qu'il ne faut surtout pas contrarier une femme enceinte! On trouve également une BMW de 15 ans d'âge accompagnée par une Mash 500 (400 en fait). Enfin, il y a ce jeune qui roule sur un drôle d'engin à mi chemin entre la moto et le VTT, une Bultaco électrique et Marc le scootériste.

Je rejoins la douane à pied . Quelques gouttes tombent, le vent se lève, le ciel est chargé. Des coups de klaxons fusent pour protester contre la lenteur des formalités. Il règne une douce pagaille avec un positionnement des véhicules dans les files qui change au gré des instructions des Marocains, officiels ou pas. Bref, c'est une joyeuse désorganisation qui, comme d'habitude, finit, au moment où l'on s'y attend le moins, par un coup de tampon salvateur et quelques mots de bienvenue.

La nuit est tombée et je rejoins l'hôtel déniché par Jean-Roland en poussant la moto sur le bord de la route. La marche, ça maintient la forme, me dis-je pour rester dans une note positive, après ces deux kilomètres parcourus. On partage une chambre avec Marc et l'on se régale de quelques sardines grillées et du thé marocain si goûteux dans le petit resto proche. La soirée s'écoule dans la joie. Les projets de voyage naissent comme par magie: Gérone, Dubaï, Dakar, iles Féroé. A la fin du repas, à 23 heures, j'aborde un jeune. Derrière lui, il y a un panneau "garage". "C'est moi le garage" me répond-il "et mon père". Il appelle ce dernier qui sort de la maison. Je lui explique le problème et me donne rendez-vous demain à 9 heures. Je pense que je ne serai pas en retard....

Après un rapide petit déjeuner, j'arrive dans le local qui fait office de garage. C'est, comment dire .... dépouillé. Pas de lumière, juste quelques outils et il me faut garer la moto juste à l'entrée pour profiter de la lumière du jour. L'homme commence à triturer le carburateur qui dégueule d'essence tout en fumant sa clope. Je sens l'affaire mal engagée.... Puis, peu à peu, je réalise que, malgré ses moyens très limités, il balaye toutes les possibilités de panne. Le carbu est démonté, nettoyé et mis hors de cause. La bougie changée aussi. Il a un doute sur les soupapes et démonte le cache-culbuteurs pour vérifier si tout fonctionne à ce niveau-là et c'est le cas. Régulièrement, il me demande de kicker. Le moteur laisse alors entendre un grognement peu ragoutant et refuse toute montée en régime; ça renâcle sous le cylindre et il y a des renvois pétaradants peu engageants. Mon mécano s'attaque ensuite au volant magnétique. Je lui donne mes vis platinées de rechange et, après les avoir installées, le moteur se fait entendre avec une voix bien plus sympathique. C'est lisse, plein et il monte en régime comme jamais. Durant environ deux minutes, le monocylindre  chante à tue-tête et, brusquement, après quelques ratés, cela s'arrête. Déjà! Mes espoirs d'une issue heureuse s'amenuisent. Je demande au mécano s'il connait quelqu'un qui pourrait emmener ma moto à Larache où Jean-Roland a quelques attaches. En attendant, il vérifie l'état de la bobine d'allumage qui est elle aussi déclarée bonne pour le service. Il m'indique que le problème vient du volant magnétique mais sans pouvoir me l'expliquer.Il ne parle pas français et je ne comprends pas mieux l'arabe; difficile d'échanger dans de telles conditions. Entretemps, le câble de gaz se rompt. Décidément! 

Enfin, une camionnette Mercedes hors d'âge arrive. Nous installons la moto dedans et je prends place à côté du chauffeur. Jean-Roland suit derrière. Les 120 kilomètres sont parcourus d'une manière que je qualifierais d'approximative. L'homme téléphone à tout va et les trajectoires deviennent très imprécises quand il tient le volant d'une main. Je sens qu'il y a un sacré jeu dans la direction. Je suis impressionné par la vitesse à laquelle monte l'aiguille du compteur pour se bloquer à 155 km/h! Quand je vois Jean-Roland nous suivre sans peine et même nous doubler, j'ai la confirmation que le compteur exagère au bas mot d'une cinquantaine de kilomètres/heure.

 

Nous pénétrons dans la ville de Larache et faisons escale à l'hôtel España.

L'ami de Jean-Roland n'est pas là mais il lui a conseillé via sa messagerie un garage tout proche. Je m'y rends rapidement, impatient de trouver une solution à ce contretemps. Le père et le fils m'accueillent en me disant qu'ils pourront s'occuper de ma moto demain. Je vais donc la chercher. Elle provoque une réaction amusée d'étonnement. Même ici, mon CG est regardé comme un ancêtre. Ibrahimi, le père, s'attelle immédiatement à la tâche. Manifestement, le challenge lui plait. Peut-être que cela lui rappelle les Honda qu'il réparait dans sa jeunesse. Entre le père et le fils, ça réfléchit, ça discute, ça cogite. Avant la fermeture du rideau métallique, on m'annonce que le problème vient du volant magnétique. La suite au prochain numéro à paraître demain jeudi 14 novembre.

En attendant, nous partons faire une marche dans les rues de la ville. Il y règne un doux mélange, entre Espagne et Maroc. Il y a pire endroit pour patienter et espérer une prochaine réparation. En cas d'impossibilité de remettre en état ma moto, j'envisage de trouver une 125 en location. J'ai la bougeotte et j'ai très envie de parcourir les routes marocaines.

Jeudi matin, nous déambulons dans les ruelles étroites et biscornues de la très belle médina aux tons bleutés. Puis, nous faisons une halte sur le petit port de pêche. L'atmosphère est paisible.

A onze heures, je viens aux nouvelles. Le volant magnétique et le plateau des vis platinées sont démontés. Ibrahimi me montre d'où vient le problème. La clavette sur l'axe a disparu. Il m'indique être à la recherche d'une clavette de rechange. L'origine de la panne a été identifiée et  je repars le cœur un peu plus léger.

Nous revenons vers 16H30. La moto est dehors, c'est bon signe. Ibrahimi attrape la clef de contact et me dit "Va faire un tour avec". Coup de kick, le mono répond avec une vivacité retrouvée. J'en ai les larmes aux yeux. Je fais un aller-retour dans la rue en écoutant le moteur respirer à pleins poumons.   J'ai envie de serrer Ibrahimi dans mes bras. Il a l'air manifestement heureux. Je le remercie chaleureusement d'avoir sauvé mon voyage. Photo souvenir devant son garage. En cadeau, il me donne une deuxième clavette. Tout ces soucis pour ce minuscule bout de ferraille .... 

Ibrahimi me raconte alors l'histoire de ce journaliste venu de France, il y a une bonne dizaine d'années, au guidon d'une Vespa 250, modèle qui venait d'arriver sur le marché. Il était tombé en panne et s'était arrêté chez lui. C'était un problème avec l'embrayage. L'homme lui demanda de le remplacer par une pièce neuve du fabricant. Ibrahimi lui expliqua qu'elle allait recasser car il avait constaté un problème de conception. Sur les insistances du Français, il obtempéra. Le lendemain, la pièce cassa de nouveau après quelques dizaines de kilomètres. L'homme le laissa alors réparer à sa manière, effectua son voyage au Maroc sans problème. Il lui téléphona après son retour à Paris et il eut également au téléphone l'importateur (ou le concessionnaire je ne suis pas sûr) qui lui proposa de l'embaucher dans ses services....