Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Le bonheur est dans le voyage ou une Transalp autour de la méditerranée - chapitre 3

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Égypte

A la tombée de la nuit, je quitte la Libye et arrive dans les vieux bâtiments de la douane égyptienne. Tout de suite, je remarque une ambiance bon enfant qui contraste agréablement avec celle rencontrée chez les voisins. J'ai droit à une suite invraisemblable de formalités qui s'achèvent dans un bureau assez irréel : un énorme ventilateur au plafond brassant péniblement l'air surchauffé, des armoires en fer mangées par la crasse et fermées par des cadenas gigantesques, d'incroyables piles de papiers usés, jaunis, poussiéreux, rongés par le temps et les souris. Tout le mobilier semble au bord de la rupture et c'est avec prudence que je m'assois sur la chaise que l'on me présente. J'ai un petit pincement au cœur quand le douanier, l'air soupçonneux, m'ordonne d'ouvrir mon sac. Lentement, j'enlève les nombreux morceaux d'adhésif entourant mon précieux chargement. Autour de moi, six douaniers visiblement très intéressés par le contenu de mon étrange petit sac plastique. Un fou rire général vient détendre l'atmosphère lorsqu'ils découvrent mon kilo de sable, souvenir du désert de l'Akakous, à la place de la drogue escomptée. Fin du remake de Midnight Express !

Au moment de franchir la dernière barrière, j'aperçois la pleine lune au-dessus de la petite mosquée et j'y vois comme un bon présage pour la suite de mon voyage. Je démarre lentement, la mer en contrebas est magnifique, étincelante. Sans prévenir, l'émotion me gagne et je pleure à chaudes larmes sous mon casque.

Un quart d'heure plus tard, je pénètre dans la chambre du petit hôtel de Solum. Je ne suis pas très exigeant mais je suis vraiment sous le choc en découvrant une pièce d'une saleté incroyable avec deux lits en ferraille et des matelas....... indescriptibles. Dans le couloir, le lavabo sans tuyau d'évacuation permet de se laver les pieds en même temps que les mains, pratique ! Dès la lumière éteinte, j'ai droit à une course de souris sur le plancher. La fatigue est trop forte, je ne sais pas qui sortira vainqueur de l'épreuve.



Le lendemain, à l'aube, j'achève de charger ma Transalp quand j'aperçois ma première moto égyptienne, une vieille MZ chevauchée par un militaire un rien frimeur qui actionne sa sirène (!) dans le village endormi. Maintenant, j'en suis sur, j'ai vraiment quitté la Libye !



Je revis lors de cette première journée. Terminés les contrôles incessants, ils sont remplacés par des sourires, des petits signes de la main de la part des passagers des voitures surchargées que je dépasse. Une hésitation à un carrefour et quelqu'un vient spontanément à mon secours, un arrêt dans un charmant petit café à la façade jaune ocre, on m'offre le thé.

Café egyptien


J'appréhendais les conditions de route mais c'est plutôt tranquille....... jusqu'à 20 kilomètres avant Alexandrie où, soudain, la ville tentaculaire se referme sur moi. Une circulation anarchique de voitures, minibus, cars noirs de crasse, charrettes, vieilles motos Jawa et une route, que dis-je, un ersatz de route où une bosse est juste là pour cacher un énorme trou derrière, où la poussière rend le revêtement hyper glissant, où les rails de tramway semblent posés là pour jeter à terre le pauvre motard que je suis. Et, au milieu de tout cela, une foule grouillante qui bouge, gesticule, se précipite sous mes roues. Je n'en mène pas large, tendu, aux aguets, pour tenter d'anticiper une manoeuvre suicidaire et Dieu sait s'il y en a ! Quel contraste après les trois semaines du désert libyen !
Assis à la terrasse d'un café, je récupère de ce premier contact mouvementé avec ce nouveau pays. 60 millions d'habitants concentrés sur une toute petite partie du territoire, cela ne peut que donner le résultat que j'ai sous les yeux : une activité débordante, la foule, des centaines de véhicules. Je suis saoul du bruit des klaxons. Ici on klaxonne comme on respire, c'est le prolongement de soi. Il va falloir que je m'y mette pour me frayer un chemin.



Après deux jours à recharger les batteries, je quitte Alexandrie, à 5 heures du matin, avant la grosse circulation. J'ai droit à une petite frayeur qui me réveille complètement. L'ascenseur hors d'âge se bloque entre deux étages. Heureusement, il n'a qu'une porte à double battant pour toute sécurité et je m'empresse de sauter à l'étage inférieur. Vu la gueule de l'engin, je n'ai pas envie de faire le plongeon en cas de rupture mécanique.
L'autoroute m'accueille, très calme, avec juste une ou deux surprises quand survient une camionnette à contre sens ! Il ne faut jamais relâcher son attention ici. Le site des pyramides de Ghizeh est quasiment désert ; l'attentat de Louxor a laissé des traces et les touristes sont rares.

Le Caire me fascine et me fait peur en même temps ; 16 millions d'habitants, ce n'est pas rien. Je capitule sans combattre et prends la direction des oasis de l'ouest du pays. La chaleur écrasante s'installe sur cette route déserte et c'est complètement épuisé que j'arrive à Bahareyya. J'ai l'impression que mon corps a surchauffé de l'intérieur et il me faut deux heures, attablé au café du village pour retrouver un semblant de forme.
Le lendemain, je me traîne dans les rues désertes de Bahareyya. Il fait chaud, beaucoup trop chaud. C'est exceptionnel, me disent les gens du coin qui semblent souffrir aussi. Alors, je m'économise, passe la plupart du temps au café où il y a toujours quelqu'un pour engager la conversation.

Vers 16 heures, je mets cap au sud, avec l'intention de dormir dans le désert blanc, à 150 kilomètres de là. Il n'y a personne sur la route. Ma solitude devient soudain un fardeau et l'arrivée dans cet endroit insolite ne me procure pas de joie particulière. Pourtant, le paysage est étonnant avec d'énormes rochers calcaires blanchâtres, qui contrastent avec le sable environnant. Je monte la tente alors que la nuit s'installe. Je suis aussitôt assailli par des centaines de minuscules insectes volants et je bats en retraite sous la tente, à l'abri de ma moustiquaire. Il n'y a pas un souffle d'air et je suffoque. Le moral est en chute libre, mon voyage m'échappe. Au milieu de la nuit, un semblant de fraîcheur apparaît et je sors marcher. La luminosité est magnifique avec les rayons lunaires qui se reflètent sur les rochers. J'ai l'impression de fouler le sol d'une autre planète.

Bivouac dans le désert blanc

 

Désert blanc

Désert blanc

 

Après cette nuit courte et mouvementée, je pénètre au petit matin dans l'oasis de Farafra . Le pompiste m'indique qu'il est impossible de faire le plein d'essence pour cause de coupure d'électricité. C'est alors que je fais la connaissance de Josiane, une Suissesse qui tient un hôtel dans le village. Elle m'invite à prendre le petit déjeuner en sa compagnie. J'y vois comme un signe et je décide de me poser là quelque temps, afin de retrouver le fil conducteur de mon voyage qui est au point mort. Comme pour mieux me convaincre de la nécessité de rester, la tourista s'empare de moi pendant deux jours. Cela me permet de rencontrer Nicolas, architecte en voyage d'études, Evelyn, ainsi qu'un suédois, grand et mince gaillard qui se dirige vers le Soudan en vélo. Quelle santé !

 

Une nouvelle étape m'attend pour rejoindre l'oasis de Dakhla. Coïncidence, il y a un an, j'étais déjà allé à Dakhla, mais c'était de l'autre côté du continent africain, quasiment au même niveau, juste au-dessus du Tropique du Cancer. La petite route est peu fréquentée, mais variée, avec des dénivelées et des paysages changeants: dunes, falaises rocheuses et traversée de petites oasis verdoyantes.
Je fais une halte dans un petit village, aux rues en terre battue ; je m'assois contre un mur, à l'ombre. Peu à peu, quelques enfants arrivent, discrètement, souriants. Au moment où je termine mon sandwich, un homme au regard doux s'approche de moi et m'invite dans sa modeste demeure en compagnie de ses 6 enfants. Aucune discussion possible, mais il y a bien plus : des regards, des sourires, le thé que l'on partage. Comme je l'ai souvent remarqué au cours de mes voyages, ce sont les gens pauvres qui donnent le plus. Je quitte cette famille complètement ragaillardi par ce moment privilégié.

Famille Egyptienne

A Dakhla, je goûte à mon premier repas de tameyas. A partir de fèves cuisinées en ragoût, les Egyptiens confectionnent une purée qu'ils font frire en boulettes. Accompagnées d'une petite salade et de carottes, cela me coûte 2 francs et c'est délicieux. J'aime le rythme tranquille de ce village : peu de voitures remplacées ici par des vélos au style anglais qui donnent une allure très digne à celui qui pédale, par les Jawa, toujours surchargées (beaucoup possèdent d'ailleurs 4 amortisseurs) et de nombreuses charrettes tirées par des ânes qui ramènent hommes et femmes des champs le soir. Dans le café, les consommateurs jouent au domino ; le jeu débute calmement, puis s'accélère avec les pièces que les joueurs font claquer de plus en plus vite et de plus en plus fort sur la table : impressionnant à regarder et à entendre ! D'autres font une partie d'échecs en fumant la chicha (pipe à eau). Je me sens bien au contact des Egyptiens ; ils sont chaleureux mais restent discrets avec le respect de l'autre. Je retrouve leur personnalité dans leur manière de parler ; les sons sont moins agressifs que dans la région du Maghreb. La vie s'écoule paisiblement, loin de la frénésie des grandes villes du bord du Nil; Justement, demain, je quitte les oasis du désert libyque pour rejoindre Louxor.

Village egyptien au petit matin


La journée est dure à cause de la chaleur toujours aussi forte et d'une route complètement défoncée sur 150 kilomètres. Je n'en reviens d'ailleurs pas de l'extraordinaire résistance de ma monture, toujours vaillante après 10000 kilomètres parcourus depuis le départ. J'ai juste à nettoyer régulièrement le filtre à air et la chaîne toujours remplis de sable si fin qu'il s'introduit partout.

La nuit est tombée et je paresse dans le parc public, avec le temple de Louxor sous les yeux, majestueux, magnifiquement mis en valeur par l'éclairage.Une famille égyptienne pique nique à côté de moi et m'offre un jus d'orange, tout à l'heure ce fut le thé que je pris avec un militaire et plus tôt dans la matinée, un homme a traversé la moitié de la ville avec sa MZ pour m'emmener à la station d'essence. Une gentillesse toute naturelle qui donne des leçons de savoir-vivre.



La visite du temple au petit matin a une saveur particulière..... je suis seul. A croire que l'attentat perpétré il y a quelques mois a réellement eu l'effet désiré. Les touristes se font rares ici. Le site est une pure merveille, les reliefs sont mis en beauté sous la lumière rasante, le silence est juste interrompu par le chant des oiseaux.
Les rencontres se poursuivent ; d'abord avec le propriétaire d'une MZ neuve. Je lui apprends que sa moto est désormais fabriquée en Turquie ; impressionné (?) par mes connaissances en la matière, il me propose d'aller l'essayer. Non merci, sans façon, 10 jours en Egypte m'ont suffisamment démontré que l'expression "un accident est si vite arrivé " est particulièrement adaptée à ce pays où l'on conduit comme on respire c'est à dire sans vraiment réfléchir !
Peu après, le propriétaire du camping engage la conversation. Tout se passe bien, nous échangeons beaucoup d'idées. Cela se gâte quand mon interlocuteur me questionne sur ma religion et que je lui réponds : " Je ne crois pas en Dieu, mais en l'homme ". Sa réaction est immédiate ; pas de colère, plutôt un regard plein de compassion pour ma personne ; il semble me considérer comme un homme perdu. Je retiens la leçon ; je n'aborderai plus ce sujet dans un pays musulman.



Huit heures : Je n'arrive pas à me décider sur la direction à prendre. Pour le moment, je savoure mon thé pendant que le cireur de chaussures redonne un peu d'éclat à mes bottes. Mon chemin, je le choisis au moment d'aborder le carrefour, direction plein sud ; c'est en fait ma Transalp qui prend la décision et je n'ose pas la contrarier.
La circulation est plutôt périlleuse sur cette route étroite qui longe le Nil. J'aime malgré tout l'ambiance qui s'en dégage avec beaucoup de verdure, de cultures. Le fleuve, majestueux donne une grande sérénité au paysage. De temps en temps, j'aperçois des felouques. Justement, je m'arrête près de quatre d'entre elles, accostées. Les hommes à leur bord m'invitent à monter. Ils se moquent gentiment de moi quand je manque faire le plongeon en glissant sur la mince planche d'accès. Nous buvons le traditionnel thé, j'évite de penser que l'eau qui a servi à sa confection provient du fleuve ; j'espère qu'elle a bien bouilli.



Assouan est une impasse. Pour des raisons de sécurité, il n'est plus possible de descendre jusqu'à Abou-Simbel par la route. Je suis sous le charme de cette ville. Les nubiens vivent dans la région ; les femmes sont particulièrement belles, longilignes, portant de superbes vêtements colorés. Dans le quartier du souk, je déguste un plat typiquement égyptien : le kochery fait d'un mélange de lentilles, riz, nouilles, vermicelle, pois chiches, oignons frits, relevé par une sauce légèrement piquante. A la radio du resto, un homme chante un verset du Coran, autour de moi, le souk s'anime : vendeurs d'épices, de tissus, de fruits. Cette douce atmosphère m'envahit doucement ; je me sens loin, si loin de Tarbes.
Peu après, c'est un tout autre rythme que je retrouve dans l'avenue principale. Un flot continuel de véhicules divers klaxonnant à tout bout de champ se frôle, s'évite sans jamais se toucher. Cela tient parfois du miracle. Tiens, une Jawa 350 passe avec 5 personnes dessus : deux gamins sur le réservoir, le père au guidon, le petit dernier coincé entre lui et sa mère installée en amazone !

Le lendemain, très tôt, un bateau m'emmène au temple de Philaé qui a été déplacé au moment de la construction du barrage d'Assouan. Posé sur une petite île, entouré de lauriers roses, il est vraiment magnifique. Je suis seul, juste accompagné par le clapotis de l'eau et le chant des oiseaux. Je m'assois contre une colonne et je me sens transporté plusieurs milliers d'années en arrière.



" Vous ne pouvez aller plus loin tout seul ", me dit le militaire à la sortie de Louxor ; ici, nous sommes dans le fief intégriste et les autorités ont pris des mesures de " protection " pour les étrangers. Je ne pars que quelques heures plus tard, en convoi, encadré par deux 4X4 de l'armée. Rien de tel pour servir de cible, mais je n'ai pas le choix.

Quelques heures plus tard, j'aperçois la mer rouge, si convoitée par les passionnés de plongée sous-marine. Hurghada , où je passe la nuit, semble d'ailleurs avoir été uniquement construite pour tous ces touristes. Cela donne une ville plutôt moche, sans aucun charme où les prix ont tendance à s'envoler un peu trop.



Le lendemain, c'est un nouveau départ. Mon voyage se poursuit ; je n'en ai pas la maîtrise et, pourtant, je ne le subis pas. Je le reçois tel qu'il se présente, je n'en attends rien de précis et il me propose chaque jour quelque chose de nouveau, parfois surprenant, parfois merveilleux, jamais ennuyeux. Aujourd'hui, je ressens un moment de douce euphorie sur cette route déserte. J'ai l'horizon devant moi, les montagnes sur ma gauche et, à droite, derrière la mer rouge et sa superbe panoplie de bleus, les contreforts du Sinaï où je serai peut-être dans quelques jours. Le moteur de ma Transalp ronronne doucement et je me sens nomade, libre de choisir mon chemin au gré de mes envies, avec ma " maison " derrière moi. Rien d'autre n'existe alors que cet instant où tout semble soudain possible à atteindre, où une irrésistible force intérieure se manifeste. Le bonheur est en route.
C'est dans ces moments là que je comprends le choix de vie des touaregs, des gitans, des nomades en général. Ils n'habitent nulle part mais ils sont partout chez eux. Ils sont les enfants de cette terre quel que soit l'endroit où ils se trouvent. Ils sont libres. Je les envie parfois.

Auto-portrait

Ce soir, je dors au monastère ! Après 15 kilomètres sur une petite route sinueuse, je rejoins, au fond d'un cirque, le monastère Saint Paul, habité par des pères coptes. L'un d'eux me propose de passer la nuit chez eux. L'atmosphère monacale me change du rythme plus endiablé d'Hurghada.

Ca y est. Je suis au Caire. Nous sommes vendredi, le dimanche musulman, et la circulation est encore supportable mais, demain, ce sera sûrement une autre affaire. Mon petit hôtel, très sympa, est situé en plein centre ville. Autour, dès que je mets le pied dehors, c'est incroyable le nombre de jeunes Egyptiens qui ont envie de me rendre service. En fait, ce sont des rois de l'arnaque, prêts à jouer toute une comédie pour estamper le touriste.

Fatigué, fourbu, éreinté, vidé ; je ne sais quel terme utiliser pour décrire mon état après la journée du lendemain passée dans cette ville surpeuplée. Je me suis laissé transporter, absorber par cette ambiance indescriptible dans laquelle tous mes repères habituels ont été balayés.
D'abord, il y a la pollution ;elle est palpable avec les yeux qui piquent et la tête qui se fait lourde. La fumée, la poussière et le bruit sont omniprésents.
J'ai assisté à un spectacle permanent : immeubles délabrés, rues surchargées, hommes, pieds nus tirant une charrette, gamins transportant de lourdes charges, cyclistes portant d'énormes sacs de pain en équilibre sur la tête, une multitude de minuscules camionnettes Suzuki et de scooters Vespa se frayant un chemin au milieu des innombrables piétons, des bus délabrés crachant une épaisse fumée noire, bondés, qui gardent la porte de derrière ouverte pour les acrobates qui montent en courant, véhicule en marche, gendarmes dont le rôle semble se limiter à éviter les débordements et qui assistent, impuissants, à une circulation se gérant toute seule au milieu d'une cacophonie de klaxons. Et, dans le souk, cette foule incroyable, étouffante. Les odeurs également parfois agréables, souvent agressives. Ces petits ateliers noirâtres où les hommes, assis par terre, frappent, martèlent, soudent la ferraille dans un vacarme assourdissant. L'impression qu'ici, tout se fait en dehors de notre logique européenne mais que cela marche, s'enchaîne naturellement, sans énervement apparent.
Quelle claque ! J'avais beau m'y être préparé, je suis sous le choc.



27 avril 1998: J'ai, devant moi, la BMW de Daniel et Françoise, un couple franco-canadien qui vit depuis trois ans en Égypte. Nous rentrons d'une superbe virée dans la région du Fayoum, à 150 kilomètres au sud du Caire. Nous avons traversé une multitude de petits villages, reliés entre eux par des routes sinueuses et pas toujours carrossables où nous avons roulé lentement, à l'écoute de cette Égypte profonde avec une population si près physiquement de la capitale et si éloignée dans son mode de vie.

Village du Fayoum

L'impression d'un retour dans le temps. Plus tard, ce fut l'arrivée au lac du Fayoum dans un décor complètement différent : une route et du sable autour. Nous avons diminué la pression des pneus et nous sommes partis dans cette étendue vierge. Plutôt tendu pendant les premiers kilomètres avec la moto qui se dandine de manière inquiétante, j'ai peu à peu pris un énorme plaisir à rouler au milieu de cette immensité, à faire la trace.

 


J'ai encore ces images dans la tête quand, à 70 kilomètres du Caire, la nuit s'installe et l'enfer avec elle. La conduite de nuit s'apparente ici à la roulette russe. Imaginez une route à quatre voies parsemée de trous, bosses, revêtue d'une fine couche de poussière sur laquelle des voitures sans phare doublent à droite ou à gauche, roulent à contre sens ; il y a, en plus, des obstacles divers tels que des vélos sans lumière, des piétons, des ânes. Enfin, il y a le "jeu" à la mode en Égypte : je roule tous phares éteints et, avant de croiser un véhicule, je me mets en plein phare. Terrible ! C'est comme recevoir un flash en pleine figure, complètement ébloui.
Soudain, il me semble apercevoir une masse sombre devant moi ; freinage d'urgence, roue avant bloquée, je m'arrête à moins d'un mètre d'un âne qui traverse la route avec un gamin. C'est passé très, très près !
Arrivés à destination, nous nous sommes regardés tous les trois tels les rescapés d'un cataclysme en disant : " Nous sommes des survivants ! ".
C'est comme si, à la nuit tombée, le peu (très peu même) de prudence s'évanouissait complètement, comme si le cerveau était soudain débranché pour laisser la place à une totale folie collective. C'est vraiment terrible de rouler au milieu de cette circulation avec ce sentiment, qu'à tout moment, un accident peut arriver. Plus jamais je ne veux vivre çà.

Deux jours plus tard, je quitte mes nouveaux amis pour une destination qui me tient à cœur : le Sinaï. Je traverse d'abord le canal de Suez, puis j'emprunte une route côtière de laquelle j'ai une vue superbe sur une mer turquoise ; plus tard, la route s'infiltre à l'intérieur des terres, contournant les montagnes.

Café du Sinaï

 

J'arrive, au fond d'une vallée étroite, au monastère Sainte Catherine, à 1570 mètres d'altitude. J'y passe la nuit avant d'entamer sac au dos, l'ascension du mont Moïse. La montée est très belle, ponctuée par de nombreux arrêts pour admirer le paysage qui s'offre à moi ; les montagnes du Sinaï sont magnifiques avec une couleur ocre se mariant superbement avec le bleu du ciel.

Montagnes du Sinaï

 

Là haut, à 2200 mètres d'altitude, une merveilleuse nuit à la belle étoile m'attend. A plusieurs reprises, je me réveille, les yeux grand ouverts sur le plus beau toit du monde, me pinçant presque pour me persuader que je ne rêve pas.
A l'aube, j'assiste, ému, au lever de soleil dans ce lieu mythique. Un simple et grand moment qui restera à jamais gravé dans ma mémoire.



Quelques heures plus tard, je retrouve avec plaisir ma Transalp qui m'attend sagement au monastère Sainte Catherine. Je rejoins la côte est dans un décor grandiose qui me rappelle, par moment, le Tassili N'Ajer , dans le sud est algérien.

Route du Sinaï



A Dahab, j'ai l'impression d'avoir quitté l'Egypte. Il règne une atmosphère baba cool dans cette station balnéaire ; on trouve de nombreux campements munis de paillotes en bord de mer ; dans les cafés, je peux me prélasser dans des coussins en écoutant de la musique qui me ramène quelques années en arrière ( Bob Marley, Cat Stevens, Bob Dylan) et en humant les senteurs dégagées par les " cigarettes " de fabrication artisanale de mes voisins de table. Ensuite, il y a le choc des yeux : après deux mois d'abstinence visuelle à n'apercevoir les femmes qu'à travers de nombreux tissus, voilà que de multiples corps dénudés s'offrent à mon regard très sollicité. C'est un spectacle surprenant dans un pays musulman. Cette halte est aussi l'occasion pour moi d'hydrater mon corps desséché ; je loue masque, palmes et tuba et je me retrouve, émerveillé, nageant dans la célèbre mer rouge. Des centaines de poissons multicolores me passent sous le nez, l'eau est à 25 degrés.
Je rencontre au campement Mérick, un jeune Anglais en route pour l'Afrique du Sud au guidon d'une XT 660 déjà un peu fatiguée; nous entamons ensemble une petite séance de mécanique sous l'œil narquois de ma Transalp, toute fière de sa fiabilité. Quelle frimeuse, celle là ! Un peu plus tard, je rencontre Jim, un Australien d'une cinquantaine d'années en voyage depuis 18 mois ; ingénieur désigner chez Mitsubishi, il a soudain largué les amarres et quitté cette vie tranquille qu'il avait patiemment construite ; j'ai en face de moi un routard épanoui qui a, semble-t-il, trouvé son chemin.