Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

France-Pakistan - Hospitalité iranienne

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Hamadan (6 avril 2002)

« C’est l’histoire d’un Iranien qui décide de visiter l’Europe. Alors qu’il se trouve dans le sud de la France, il s’arrête dans une petite ville, trouve un hôtel et sort, à la recherche d’un restaurant. Alors qu’il hésite devant une brasserie, se demandant ce qui peut bien être servi à l’intérieur, un jeune Français l’aborde et le questionne sur ce qu’il cherche. Il ajoute qu’il connaît ce restaurant, pénètre avec lui à l’intérieur, lui commande son plat et discute avec lui pendant qu’il mange.

Son repas terminé, il propose de lui faire visiter la ville. Au moment où l’Iranien s’apprête à régler la note, son compagnon lui dit qu’il est invité dans cette brasserie. Des amis à lui se joignent à eux et le groupe déambule dans les rues, hèle un taxi, qui les emmène sur les hauteurs de la ville, près d’une rafraîchissante cascade.

Plus tard, le français l’emmène dans la maison familiale pour boire le thé. La maman, dans la conversation, lui demande quelle nourriture il a apprécié lors de son séjour en France. Il se souvient alors de cet excellent lapin à la moutarde accompagné de pommes de terres sautées qu’il a mangé à son arrivée.


On lui indique peu après que la famille serait honorée de sa présence au dîner.
Il y passe une merveilleuse soirée au cours de laquelle il découvre, au fil des conversations, la vie quotidienne des Français. Quant au lapin à la moutarde, ce sera le meilleur qu’il ait jamais mangé. »
Fiction ?
Pas si l’on inverse les rôles.

 

 

Voilà la version Iranienne, vécue, celle-là..

Je pénètre à l’intérieur du taxi ; c’est la première fois que je vois quatre personnes sur la banquette avant, deux à droite du chauffeur (jusque là, rien d’anormal) et une à sa gauche serrée contre la portière !


Il y deux heures, un jeune Iranien, du nom de Sharam, m’abordait dans la rue alors que je cherchais un resto .Après avoir avalé une pizza chez un copain à lui, qu’il me fut impossible de payer, il me propose de m’emmener avec un groupe d’amis sur les hauteurs de la ville. Nous voilà donc entassés dans une Paykan hors d’âge qui, à tombeau ouvert, parcourt une dizaine de kilomètres .C’est un concentré de frayeurs qui s’offre à moi en quelques minutes ; ils sont vraiment fous dans ce pays. Le contraste entre leur comportement très calme et leur conduite plus que débridée est étonnant.


Petite balade autour d’une cascade et retour par un petit sentier désert où mes compagnons se partagent un joint et une bouteille d’alcool. Produits officiellement interdits par le pouvoir religieux en place.


Plus tard, J’emmène Sharam faire un tour sur ma moto. Un grand moment pour ce jeune désoeuvré, qui m’avoue que la vie en Iran ressemble à un parcours dans un énorme tunnel dont on ne voit pas la sortie. Plusieurs fois, il me répète : « no freedom here ». Je le sens au bord de la déprime, sans une once d’espoir pour le porter dans sa jeune vie.

Il me rappelle le Libyen que j’avais rencontré en 1998 et qui m’avait dit : "Rien à faire ici ; juste manger, dormir et mourir". J’essaye de lui remonter le moral en lui indiquant que les choses vont changer mais c’est peine perdue. Il se sent étouffé sous la chape de plomb d’un pouvoir religieux omniprésent et d’une rigidité terrible.


Soudain, nous apercevons deux jeunes filles raser les murs puis sonner discrètement à une porte qui s’ouvre immédiatement et dans laquelle elles s’engouffrent rapidement. « Elles vont voir des amis » me dit Sharam « mais elles risquent gros si elles sont vues ».

Famille de Sharam


Plus tard, je passe la soirée dans la maison familiale. La maman me cuisine un abkousht délicieux après avoir compris que j’ai un faible pour ce plat national.Je rencontre son frère plus âgé, qui a passé 8 ans sur le front au moment de la guerre entre l’Iran et l’Irak. Il y a perdu deux doigts, mais c’est surtout un homme profondément brisé intérieurement qui participe furtivement au repas. Cette guerre que j’avais déjà oubliée m’éclate à la figure. Je prends encore plus conscience de ma chance de vivre en France, libre, et de pouvoir rouler, pendant quatre mois, au gré de mes envies. Je crois que je verrai d’un autre œil les attroupements autour de ma moto dorénavant.

Le lendemain, au petit matin, je vais prendre mon petit déjeuner dans un minuscule café. L’homme me sert un thé, puis deux, accompagné de lavash (pain-crêpe) ; et comme il vient de terminer la préparation de son repas, il trouve tout à fait naturel de me m’apporter une assiette de riz. Impossible de payer quoi que ce soit. Encore un de ces petits gestes qui émaillent mon voyage depuis mon arrivée en Turquie et qui ont quasiment disparu de notre monde occidental.

Ces gestes désintéressés me touchent beaucoup et ils sont le témoignage vivant de que savent donner ces populations si éloignées de l’image que nous en donnent régulièrement les médias occidentaux. Ce sont ces personnes, par leur comportement, qui rendent leur pays si beau, et mon voyage si doux à vivre au quotidien.

 

Kashan (7 avril 2002)

Grande nouvelle : il fait chaud. Enfin !


Tout à l’heure, j’ai fait la connaissance de Rahim, étudiant en médecine qui m’a invité à boire un thé dans un magnifique jardin public. Là, il m’a donné le fond de sa pensée sur son pays et surtout sur son « mauvais » gouvernement.

« Regarde, voilà un pays avec une civilisation merveilleuse qui, en quelques dizaines d’années, a régressé parce que la religion l’a gouverné. Nous nous sommes fermés au monde extérieur. Le peuple Iranien est bon mais ceux qui sont au pouvoir sont mauvais. Le pays est riche mais ceux qui sont au pouvoir mettent l’argent dans les banques, en Suisse. Pendant que le monde évolue, nous faisons marche arrière. Tu sais, j’ai travaillé très dur pendant deux années pour réussir au concours d’entrée à l’école de médecine parce que je sais qu’être médecin sera le seul moyen pour moi de quitter ce pays ».

Route de Kashan


Après Sharam, c’est le deuxième témoignage que je reçois sur la réalité du pays Le fait que mon compagnon ait attendu que nous soyons isolés pour parler me laisse dubitatif sur la liberté d’expression.


En effet, devant l’arrêt de bus, alors que je lui faisais part de ma surprise devant l’habillement des femmes, il m’avait répondu : « C’est notre culture. Personne ne nous l’impose ».

Devant notre thé, loin des oreilles indiscrètes, le discours était tout autre : « De quel droit des hommes, parce qu’ils portent une barbe, imposent-ils ce que doivent porter les femmes ? ».


Dans le bus, il m’a montré un « barbu » en tenue traditionnelle en me disant : »Ce sont souvent des gens sans culture, sans connaissance et ce sont eux qui nous fixent arbitrairement comment nous devons vivre ».


Je ne sais pas si mes rencontres sont très représentatives de la jeunesse iranienne, mais je me dis que quand le rêve le plus profond d'un jeune est d'abandonner son pays, le mal est profond.