Demain, j'entame le chemin du retour, mais je ne suis pas encore arrivé en France, j'ai en gros 12000 petits kilomètres qui m'attendent de pied ferme! Et je ne sais toujours pas si mon visa iranien me sera accordé quand je serai à Islamabad dans quelques jours; les autorités iraniennes sont tellement imprévisibles. Mais je garde le moral.
Je l'ai peut être déjà dit, mais je crois qu'il est bon d'insister: le Pakistan est un magnifique pays et ses habitants sont courtois, gentils, prévenants, généreux, pacifiques, à mille lieux de ce qu'on nous rabâche sur les ondes. Depuis mon entrée dans ce pays, je suis sous le charme et les Pakistanais nous offrent chaque jour des petits moments de bonheur. Merci!
77ième jour de voyage, 18000 kilomètres au compteur et le plaisir est toujours là. Dans ma tête, cela fait un an que j'ai quitté la France. Si ce n'est pas de la rentabilité, ça, je n'y connais rien!
Rawalpindi (13 mai 2002)
J'ai quitté la zone montagneuse et sa douce fraîcheur et je baigne maintenant et pour un moment encore dans la fournaise pakistanaise. Qu'il est loin le début du voyage avec les poignées chauffantes branchées en permanence et les repas, transi, près du poêle des lokantas turques.
Elles sont hautes, très hautes, ces montagnes pakistanaises, douze dépassent les 7500 mètres et six sont au delà des 8000 mètres mais, ce qui m'a frappé, c'est leur longueur. Imaginez que, peu après Islamabad, on commence à grimper pour se retrouver 800 kilomètres plus loin près de la frontière chinoise. Au début, on pourrait se croire sur les hauteurs de Nice avec une végétation très méditerranéenne, puis c'est la verdure qui s'impose avec de magnifiques cultures en terrasse, une douceur de vivre.
La traversée du Kohistan marque la fin de ces paysages bucoliques, le rocher règne en maître avec ses falaises menaçantes et sa route véritablement "cassée"; puis, après Chilas, le paysage devient plus aéré, moins oppressant avec de grandes vallées et c'est à ce moment là que survient le choc à la vue de ces pics vertigineux. Une grande humilité s'installe en soi face à la puissance de cette masse rocheuse. D'ailleurs, lors de mon retour, je suis arrivé sur les lieux d'un éboulement qui venait juste de se produire; quelques dizaines de blocs rocheux avaient dévalé sur la route empêchant le passage des véhicules....à quatre roues. Vive la moto!
Ce matin, je me rends un peu tendu au consulat iranien où, après m'avoir fait poireauter une bonne demi-heure, on me demande de repasser après-demain. Rien n'y fait pour tenter de les faire changer d'avis. Le planton semble sensible à mes arguments mais le décisionnaire au bout du téléphone, bien caché derrière son inaccessible bureau est inflexible. Heureusement que les Iraniens ne ressemblent pas à ceux qui représentent le pays, il y aurait du souci à se faire!
Deux jours à tuer le temps dans une ville où il n'y a pas grand-chose à faire et où la chaleur vous limite dans vos initiatives tant elle vous assomme; même la nuit n'apporte pas de répit.
Justement, parlons d'Islamabad. Une ville étonnante qui ne ressemble à aucune autre. Elle est quadrillée de larges avenues bordées d'arbres, de bois, de verdure; on cherche en vain le centre ville. Il y règne un certain calme mais que cette ville est triste, sans vie, avec ses blocs d'immeubles et ses commerces modernes. Le Pakistan est bien loin ici.
Hier, alors que je me rafraîchissais dans un village à l'ombre d'un arbre, j'ai assisté a un scène surprenante. Une Petite Suzuki pick-up ( très populaire ici) sort à pleine vitesse d'un virage, le conducteur saute sur les freins pour éviter le camion arrivant en face, la voiture part en embardée, est déséquilibrée sur une bosse, se couche sur le flanc et termine sa course folle contre un poteau électrique. Que croyez vous qu'il arriva? En une minute, les personnes présentes sur les lieux redressèrent le véhicule.... et le conducteur et son passager reprirent immédiatement la route sans même se donner la peine de vérifier l'étendue des dégâts sur la voiture! Incroyable! Remarquez, cela aurait pu être bien plus grave car, en général, de nombreux passagers sont transportés; j'en ai compté jusqu'à 18 dans ce type de véhicule de 3,20 mètres de long, ce qui n'a rien d'étonnant quand la plupart des minibus Toyota Hiace en contiennent jusqu'à 25!
Quelques heures après, j'ai aperçu des nomades qui marchaient en famille avec leurs ânes et leurs chevaux transportant tous leurs biens; où allaient-ils, de quoi vivent-ils? C'est ce qui me surprend le plus ici, l'existence de modes de vie qui semblent ne pas avoir changé depuis des siècles et, parallèlement, une vie moderne et trépidante. Peut-être est-ce ça, l'équilibre d'un pays?
Rawalpindi (15 mai 2002)
En vue de diversifier mon carnet de route et surtout d'augmenter le nombre de ses lecteurs et ainsi séduire les annonceurs publicitaires, j'ai décidé de créer une rubrique culinaire.
Premier numéro: la recette du Touristransitvisa à l'Iranienne.
Note de la rédaction: cette recette nécessite une très longue préparation et n'est destinée qu'à un public averti.
Ingrédients:
- Un motard-voyageur ayant bourlingué en liberté pendant 80 jours environ
- Un passeport
- un tampon
- un stylo
- beaucoup de mauvaise volonté
- une savante utilisation du pouvoir de décider
Vous prenez votre motard, tout frais, et vous le faites doucement mijoter 9 jours.
Après ces 9 jours, vous l'examinez pour le principe et vous rajoutez deux jours de plus (c'est ce qui va lui donner son goût et sa consistance).
Le 11ième jour, vous lui demandez 1800 roupies et vous le laissez "lever" en lui demandant de s'asseoir (!) sans l'informer du temps d'attente (très important, ne jamais informer de ce qui va arriver).
Quatre heures après, vous l'appelez au guichet en lui disant qu'il doit revenir dans trois heures.
Ceci va provoquer une réaction de dépit qui va le rendre plus croustillant encore.
Trois heures plus tard, vous le laissez s'asseoir et vous peaufinez la préparation pendant une demi-heure alors que le consulat se vide pour le week-end à venir.
Quand enfin vous quittez votre bureau, vous lui remettez négligemment son passeport muni de son visa en évitant de sourire et en oubliant (c'est la petite touche finale qui magnifiera votre recette) de lui souhaiter un bon séjour dans votre pays.
C'est prêt. Bon appétit!
C’est avec un énorme émotion que je récupère mon passeport muni de son précieux visa car je n’osais imaginer les conséquences d’un refus.
J'ai oublié de vous en parler mais, au Pakistan, on roule à gauche....en théorie.
En fait, la réalité est un peu plus complexe. On roule en quinconce, en vrac, sens dessus-dessous et une grande majorité a choisi la voie du milieu, surtout sur les routes étroites, pour "égayer" la vie de celui qui arrive en face.
Je me suis adapté à cette conduite très particulière (on ne m'a pas vraiment laissé le choix!) mais je dois reconnaître que c'est nerveusement très éprouvant, surtout par 40 degrés à l'ombre et que l'on roule sous le soleil.
Alors que je termine mon étape au milieu de la circulation, c'est à dire un savant mélange de piétons suicidaires, de rickchaws fumant et pétaradant, de deux roues arrivant de tous les côtés, de buffles placides (mais encombrants!), de minibus toujours pressés, de camions à l'allure d'escargot et de charrettes encore moins rapides, un superbe bus flambant neuf (rarissime ici) me rattrape tous klaxons hurlant sur une route étroite. Je me dit: " Toi, mon coco, tu vas attendre que l'on arrive en ville dans 10 kilomètres". Et bien, pas du tout, le coco en question décide de me doubler au moment où je m'apprête à dépasser un rickchaw lui même sur le point d'avaler une charrette. Je plonge "prudemment" dans le bas côté (manoeuvre presque routinière ici), la charrette se serre un peu plus, le rickchaw fait ce qu'il peut et le mastodonte, dans un hurlement de klaxons saccadés s'en va.
A partir de là, à distance respectable je tiens à ma santé!), je suis l'engin qui m'offre un véritable festival de haute voltige. C'est prodigieux de dextérité et effrayant à la fois.
Combien de fois mord-il sur le bas côté pour en sortir en dérapage et contre-braquage (manoeuvre plutôt inusitée sur un bus!), combien de fois fonce-t-il, tête baissée sur les véhicules et les piétons qui, comme par enchantement se poussent in extremis à chaque fois. J'imagine la tête des passagers à l'intérieur avec le repas remontant à la surface. J'ai l'impression d'assister à la scène d'un film d'action américain mais, là, c'est la réalité que j'ai sous les yeux et rien n'a été préparé à l'avance. Seul Allah supervisait cette séquence et, ma foi, il ne s'en sort pas trop mal aujourd’hui car le car fou finit par s’arrêter en ville.
Cet exemple est le pire auquel j'ai assisté mais il faut avoir les nerfs bien accrochés et les réflexes rapides pour conduire dans ce pays. Je ne suis pas trop mécontent d'en avoir fini avec cette caractéristique car ma prochaine étape, c'est le désert du Balouchistan, 650 kilomètres où il faudra surtout éviter les trous sur la route et les dunes de sable. Ensuite, l'Iran.... et son calme.
Je décide de m'octroyer une journée de repos dans cette agréable et tempérée ville de Quetta (cela me change des 45 degrés de Jacobabad hier). Titine ayant été repeinte couleur sable ce matin, elle va avoir droit à une petite vérification avant la suite du voyage.
La tempête de sable qui s'est abattue sur nous a été la plus forte que j'ai jamais connue. Soudain, je me suis retrouvé face à un mur de sable et je n'y voyais pas à un mètre. Obligé de m'arrêter. Terrible! Heureusement, cela n'a duré qu'une dizaine de kilomètres car je me sentais très, très petit à ce moment là.
La présence de la femme est très discrète au Pakistan. Nous sommes dans un pays musulman et cela se voit. Mais, contrairement au pays voisin, l'Iran, je n'ai pas l'impression de principes religieux strictement imposés par les gens à la tête de l'Etat.
Non, je crois plus au poids des traditions, à la pression familiale, au fait aussi que l'on est dans une société très rurale où les mentalités évoluent lentement.
En tout cas, ce ne sont que des impressions fugitives d'un voyageur ne faisant que passer et je n'ai pas vraiment eu le loisir de questionner les intéressées sur ce qu'elles pensaient de leurs conditions de vie de femme!
Mais ce qui m'a frappé, c'est la tristesse que j'ai pu lire sur leur visage, comme une sorte de résignation. Il faut reconnaître que la vie rurale semble difficile et qu'elles travaillent beaucoup dans les champs.
J'ai eu du mal à saisir des moments de rire, de complicité, même entre elles. Peut-être est-ce simplement une façon d'être, plus intérieure, mais je n'ai pas ressenti une grande joie de vivre chez la femme pakistanaise.
J'ai appris que le discours officiel de création du Pakistan en 1947 disait: " Vous êtes libres d'aller dans vos temples ou vos mosquées ou tout autre lieu religieux; vous avez le droit d'appartenir à la religion de votre choix".
Paroles sages mais qu'en est-il dans la réalité? Les discussions que j'ai pu avoir avec certains Pakistanais m'ont montré une grande ouverture d'esprit, la croyance religieuse étant pour eux quelque chose de très personnel qu'il fallait respecter. J’espère qu’ils sont représentatifs dans ce pays.
Le contraste entre ces femmes voilées, qui évitent souvent le regard de l'homme étranger et les programmes des télévisions occidentales regardés et montrés dans les hôtels est étonnant; également, le corps de la femme plus que dénudé par rapport aux critères musulmans apparaît souvent sur des affiches publicitaires, dans les magasins.
Le climat tempéré de Quetta me fait de l'oeil pour que je reste un peu. Il ne faut pas me pousser beaucoup d'autant que je fais la connaissance de deux motardes belges, Truy et Iris, arrivées la veille d'Iran au guidon de deux Suzuki 650. La discussion s'oriente rapidement vers nos impressions de voyage, des échanges d'informations, et plus généralement sur une philosophie de vie assez similaire. J'aime beaucoup ces rencontres qui se créent spontanément car nous marchons dans la même direction, ou tout au moins avec le même état d'esprit. Il y a une compréhension mutuelle immédiate et des échanges d'une grande richesse.