Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

France-Pakistan - Pakistan

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Quetta (28 avril 2002)

La douche a un goût divin. La traversée du désert du Balouchistan vient de s’achever. 650 kilomètres dont je me souviendrai. Chaleur, poussière, sable, vent, route défoncée, camions pakistanais beaux, certes, mais qui ont la fâcheuse manie de foncer droit devant en ne laissant pas d’autre alternative au motard arrivant en face que de se précipiter sur le bas côté. Une journée pendant laquelle les moteurs ont eu chaud, les pilotes aussi, avec quelques montées d’adrénaline lors de certains passages dans le sable qui s’était parfois installé sur la route. Images furtives de nomades, avec leurs tentes, leurs troupeaux de chameaux, de villages perdus, de montagnes au loin, avec l’Afghanistan derrière.

Enfin, l’arrivée à la tombée de la nuit dans la ville de Quetta, au milieu de centaines de rickchaws, ces petits tricycles servant de taxis, pétaradant et fumant. Beaucoup d’émotion aujourd’hui.

 

Il règne une douce pagaille à Quetta et la pauvreté semble bien présente; les boulangeries sont d'une rusticité rare, la saleté est bien là, la pollution aussi mais il y a comme une étincelle de vie que je n'ai pas rencontrée en Iran et qui me séduit. J'ai vraiment envie de m'attarder dans ce pays.

Je suis maintenant bien encadré par mes deux compagnons Suisses, Stéphane et Vincent. L'un a tout de suite pris en charge mon argent que j'ai déposé dans le coffre fort installé à l'intérieur de la sacoche de sa moto et le deuxième veille à ce que je nettoie correctement ma moto le matin avant de prendre la route ( humour français !). Plus sérieusement, je suis très heureux de faire ce petit bout de route avec eux; j'ai l'impression de faire un autre voyage et ils ont beaucoup de chaleur humaine en eux; j'ai de la chance de les avoir rencontrés.

Quetta (28 avril 2002)

Kafka n'est pas mort. Il habite à Quetta. Hier, le premier cabinet d'assurances a établi un contrat pour nos motos qui n'avait d'autre utilité que de nous mettre en règle avec les forces de police. Quand nous abordions le sujet des réparations du tiers en cas d'accident, la réponse "no problem" nous laissaient dubitatifs.

Au final, notre interlocuteur a reconnu que le document qu'il nous préparait ne servirait à rien dans un tel cas, mais il nous demandait malgré tout de lui donner ses roupies! Un assureur qui n'assure pas, il en existe (au moins) un au Pakistan! En fait, trois heures, deux rafraîchissements et un thé auront suffit pour enfin trouver un contrat (à priori) convenable....

cabinet d'assurances pakistanais


Pour fêter ça, soirée cinéma hier. Tom Raider en Urdu (langue du pays) dans une salle de Quetta, c'est quelque chose à vivre! Un souvenir inoubliable pour la modique somme d'un demi-euro.
Le taux de pollution est impressionnant ici. Pas besoin d'appareil de mesure pour s'en rendre compte, on inspire un grand coup et ça suffit!


Marcher dans les rues de Quetta, c'est faire un saut dans le temps. Si on fait abstraction des véhicules à moteur, on pourrait se croire revenus quelques siècles en arrière quand on passe devant les multiples boutiques de la ville et que l'on regarde la vie s'écouler autour de soi. Je n'ai pas encore digéré mon arrivée au Pakistan, mais je commence à mieux comprendre ce qu'ont voulu exprimer Christoph et Jens, les deux motards allemands rencontrés à Ispahan, lorsqu'ils m'ont dit avoir eu l'impression de retrouver l'Europe en rentrant en Iran.


Dans les rues poussiéreuses de la ville, à chaque instant, le regard se pose sur un mendiant. Souvent, l'homme est par terre, dans la saleté, infirme, et je me sens mal à l'aise. Je détourne souvent la tête et je pense à cette guerre pas si lointaine en Afghanistan qui a détruit le corps et l'esprit de milliers de personnes. On rencontre aussi de jeunes garçons, Afghans eux aussi, qui vendent quelques bonbons pour survivre. C'est aussi ça la réalité de ce pays.

A Ispahan, un de ces jeunes m'avait accompagné alors que je flânais dans les rues de la ville; il m'avait raconté son exil en Iran. Il faisait son maximum pour apprendre l'anglais car il avait la certitude que ça l'aiderait à s'en sortir plus tard; il avait évoqué avec moi son prochain retour en terre Afghane. Que de vies détruites dans cette région du monde.

 

https://maps.google.fr/

 

Rawalpindi (2 mai 2002)

Sept jours se sont écoulés depuis notre entrée au Pakistan et je crois que je n'ai pas encore digéré ce pays. Il est difficile d'établir des comparaisons, mais jamais au cours de mes vingt années de voyage je n'avais connu un tel dépaysement.
Après nous être reposés à Quetta, nous finissons la traversée du Balouchistan. La route est déserte ....et défoncée. Elle fait son maximum pour nous épuiser, mais le trio franco-suisse résiste brillamment. Seul le porte-bagages de Vincent a soudain un petit coup de fatigue. Cela nous vaut une belle leçon de soudure "rustico-pakistanaise" sous le regard intéressé d'une bonne trentaine de personnes.

Atelier de soudure pakistanais

Car, ici, il est impossible de passer incognito avec nos motos. Dans la petite ville de Loralaï, alors que nous buvons devant un "café", cinquante personnes nous observent, sans mot dire; il n'est pas toujours facile de rester zen dans de telles circonstances car le moindre de nos gestes est minutieusement étudié.

Foule pakistanaise


Après les plateaux désertiques du Balouchistan, c'est la verdure qui nous accueille lorsque nous nous rapprochons de la plaine de l'Indus. J'ai l'impression que nous rentrons en Inde, ce qui est somme toute normal car les deux pays n'ont été séparés qu'en 1947. Sur la route, nous avons droit à un spectacle permanent. Imaginez une route étroite sur laquelle se mélangent dans une pagaille indescriptible animaux, oiseaux, piétons, cyclistes, charrettes (beaucoup de charrettes!), petites motos, rickchaws, bus et camions. La règle première est de faire n'importe quoi à tout moment.

Vous mettez trois motards européens au milieu, ça vaut largement le grand huit de la foire du trône à Paris au niveau des sensations! Le premier jour, on se demande ce qui nous arrive, et, ensuite, on fait comme tout le monde, on s'adapte ... et on klaxonne beaucoup. Alors, bien sûr, on fatigue pas mal d'autant que la chaleur s'est bien installée depuis quelques jours; les arrêts Sprite, Coca Cola, Fanta, eau minérale se multiplient; on va finir par plus consommer que nos motos!

Motos devant café pakistanais

 

Pendant que la moto taille la route, j'ouvre grand les yeux devant ce spectacle; tiens, un cycliste qui porte sa chèvre sur le porte-bagages, plus loin, c'est un Toyota pick-up avec deux vaches (!) à l'arrière et huit personnes sur le toit ( pour rééquilibrer le poids je suppose!); tiens un camion en panne qui a perdu toute sa transmission arrière sur la route; un homme qui se promène avec son singe en laisse; intéressant, un homme roule sur sa petite 125 avec 5 enfants ( record battu); les oreilles aussi sont sollicitées car le silence semble une denrée extrêmement rare ici; chaque véhicule, quel qu'il soit, se doit de posséder un ou plutôt plusieurs klaxons et il semble rigoureusement interdit de ne pas l'utiliser. Résultat, l'entrée dans les villages se fait dans une cacophonie impressionnante et je ne suis pas mécontent de mon klaxon installé en Turquie pour me faire entendre.

Restaurant pakistanais

 

https://maps.google.fr/
Aujourd'hui, nous nous reposons dans la banlieue d'Islamabad et nous avons entamé les formalités d'extension de visa pour mes deux amis suisses et de demande de visa iranien de transit pour moi; match nul, nous sommes rentrés bredouilles mais il y a bon espoir que samedi tout sera réglé. Patience, patience!


Dans ce cas, nous entamerons la montée de la Karakoram Highway qui devrait nous amener jusqu'à la frontière chinoise. Puis nos routes se sépareront, Stéphane et Vincent rentreront en Inde et j'amorcerai mon chemin de retour.

Rawalpindi (3 mai 2002)

Le trio Franco-suisse "Les Diarrhéetiques Boys" fait depuis 24 heures une superbe représentation avec, dans le rôle principal, Vincent, champion toutes catégories du nombre d'aller-retours chambre-wc. En définitive, ces contretemps administratifs tombent à pic pour que les voyageurs reprennent quelques forces avant les prochaines étapes.


Vincent et Stéphane ont obtenu aujourd'hui leur extension de visa et ont ensuite donné une leçon d'économie à la banquière d'American Express en lui expliquant que la Suisse n'était pas dans la zone euro et qu'ils pouvaient aisément changer leurs travellers chèques en francs suisses. Comme souvent au Pakistan, le problème a été résolu lentement, très lentement, mais dans la plus grande courtoisie; le thé offert nous a aidés à patienter.

Camion pakistanais

Camion pakistanais

camions pakistanais

camion pakistanais

camion pakistanais

J'ignore si l'on trouve beaucoup de salles d'exposition de peinture au Pakistan, mais l'art populaire s'exprime au quotidien dans la rue. Les camions sont superbement décorés et donnent une touche de gaieté à la route.


Ce goût de la décoration se retrouve dans les taxis, les tracteurs (!), les bus et même les plus jeunes commencent à s'entraîner sur leurs vélos. Le gros avantage est qu'on les voit venir de loin, et comme ils conduisent très mal, ce n'est pas superflu! Vu le nombre de véhicules arrêtés sur le bord de la route, je les soupçonne même de donner la priorité à la décoration plutôt qu'à l'entretien mécanique. Ah, si, un accessoire indispensable fait l'objet de toutes les attentions: le klaxon. On en entend de toutes sortes; certains sifflent, d'autres rappellent étrangement les cornes de brume des bateaux; c'est une véritable cacophonie qui envahit les routes au point que je finis par trouver les Egyptiens très calmes dans ce domaine!


Demain, je croise les doigts, je devrais obtenir mon visa de transit. Je suis devenu très méfiant lorsque je pénètre dans un consulat....
Dimanche devrait alors marquer notre départ pour les hauteurs du nord du Pakistan.

Rawalpindi (4 mai 2002)

Je déteste les consulats, surtout iraniens, qui prennent un malin plaisir à me contrarier régulièrement depuis le début de mon voyage. Ici, à Islamabad, après avoir rempli en deux exemplaires quatre pages d'informations essentielles pour la sécurité du pays, on m'a annoncé que je devais attendre la réponse qui arrivera dans une semaine après un petit crochet de mon dossier à Téhéran. Tout ça pour un simple visa de transit de 7 jours. Grrr! J’ai envie de mordre!


Peut-être vais je me décider à faire le tour de l'Europe lors de mon prochain voyage....
En attendant qu'un fonctionnaire décide ou non d'apposer un beau tampon sur mon passeport, nous allons quitter cette ville surchauffée vers un climat à priori plus agréable sur la Karakoram Highway demain.

Pour me calmer, je marche dans les rues autour de notre hôtel. Sales, poussiéreuse, avec des odeurs pas toujours agréables, mais je me sens bien dans cette joyeuse cohue.

Rawalpindi

Je retrouve le boulanger du quartier. Il me reconnaît et vient me serrer la main avec un franc sourire. Ici, les boulangeries sont ouvertes sur la rue et le pain est cuit au moment où le client le demande. Le four est circulaire avec une ouverture par le haut et le boulanger colle la pâte (en forme de crêpe) sur les parois. En 2 à 3 minutes, c’est cuit.