Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'envol (tome 2) - chapitre 10

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Chapitre 10

 

Dehors, le mistral mettait toute son énergie à faire claquer les volets en bois, craquer le plancher de la vieille maison.

Assis sur le canapé, Chris laissait son regard se perdre dans les flammes du feu qui crépitait dans la cheminée. Maud, c´était son nom, finissait de préparer le thé.

Tout à l´heure, alors qu´ils arrivaient à une bifurcation de sentiers, elle l´avait invité chez elle, dans sa maison. Il avait failli prétexter un rendez-vous, une affaire importante, mais s´était ravisé. Fatigué, voire effrayé par sa fuite en avant, sa réclusion, il avait accepté de la suivre.

Les tasses fumaient sur la table basse; elle le questionna sur sa présence dans cet endroit perdu. Elle avait remarqué sa moto et son chargement quand elle passait devant la grange et paraissait étonnée qu´il n´ait pas repris la route après deux semaines de séjour. Son regard franc, sa voix douce lui firent l´effet d´un électrochoc, il se laissa aller et parla, de sa vie de couple brisée il y a un an quand son amour avait décidé de poursuivre son chemin sans lui, de sa lente descente dans un monde sans joie jusqu´au jour où il s´était décidé à réagir.

La vente de son appartement, sa démission, la préparation de sa moto en vue d´un long, très long voyage, avec le souvenir de celui qu'il avait réalisé sept années auparavant. Et cette impuissance qui l´avait envahie il y a deux semaines alors qu´il faisait halte dans ce gîte du Lubéron.
Il ne se sentait pas malheureux depuis qu´il était arrivé ici mais c´était comme si sa vie était suspendue, dans l´attente d´un événement à venir. Il raconta ses journées près de la borie, à lire, jouer de l´accordéon, ne rien faire que laisser vagabonder son esprit.

Elle lui dit qu´elle avait entendu à plusieurs reprises le son de son instrument porté par le vent. Au fur et à mesure qu´il parlait, il faisait fi de sa pudeur, se dévoilait devant cette inconnue. Elle avait replié ses jambes contre elle, les recouvrant de son pull de laine trop grand et elle l´écoutait, attentive.

Quand il eut fini, elle parla d´elle, de son accident de voiture dans lequel son mari avait trouvé la mort et au cours duquel elle avait perdu l´enfant qu´elle portait dans son ventre, il y a dix ans de cela , de son retour sur la terre de ses grands parents, dans leur maison, de son boulot de traductrice qu´elle effectuait ici, loin de la grande ville de Marseille où elle vivait auparavant, de cette tristesse avec laquelle elle composait depuis la perte de celui qu´elle aimait, de l´extrême beauté de cette région, des contacts qu´elle avait réussi à nouer, patiemment, avec les gens du cru, de cette maison dans laquelle elle se sentait si bien.

La nuit s´était installée, elle sortit quelques victuailles du frigo et ils continuèrent leur longue discussion en mangeant. De temps en temps, Maud rajoutait une bûche dans la cheminée, le feu reprenait vie.

Le vent avait fait une pause et le calme avait repris sa place autour de la maison isolée. Progressivement, avec la douceur qui semblait la caractériser, Maud l´interrogea sur son projet. Alors, il énuméra les différentes régions du monde qu´il souhaitait visiter et décela dans son regard une étincelle, mélange d´émerveillement et d´envie.

Elle lui insufflait une énergie nouvelle, il ne pouvait plus s´arrêter de parler, se projetant dans son voyage. Ses doutes s´étaient envolés et avait laissé la place à un désir profond de découvrir le monde et ses habitants.

Après s´être nourris des paroles de l´autre, ils laissèrent le silence s´installer entre eux ; tous deux semblaient apprécier ce moment où, simplement, ils étaient là, ensemble, dans cette petite maison.

L´aube les surprit, assoupis sur le canapé ; le sommeil s´était installé, chez Maud d´abord. Chris était resté un long moment à la regarder ; il la trouvait très belle ainsi ; puis, la fatigue avait été la plus forte et il s´était endormi lui aussi. Les premiers chants des oiseaux le sortirent de son sommeil.

Maud était pelotonnée dans un coin du canapé, gagnée par le froid ; il se leva précautionneusement, déposa délicatement une veste sur son corps et alla ranimer le feu.

Son corps endolori lui reprochait cette nuit inconfortable, mais cette journée qui commençait avait une saveur incomparable. Il se glissa à l´extérieur de la maison, respira à pleins poumons l´air vif du matin. Il s´installa sur le muret qui entourait la maison.

Derrière la montagne qui lui faisait face, il y avait cette lueur annonciatrice du jour naissant ; il attendit l´arrivée du soleil.

Plus tard, Maud vint le rejoindre.

« Jusqu´à votre départ, cela me ferait infiniment plaisir de vous héberger chez moi » lui dit-elle en guise de bonjour. Chris la regarda, sans mot dire, mais son visage, son corps entier, souriaient à cette proposition.