Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'envol (tome 2) - chapitre 17

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Chapitre 17

 

Broaaaam, Broaaam ! ! Le V-twin fit entendre son bruit puissant à la décélération. Une fois de plus, un barrage obligeait Chris à s’arrêter. Depuis le matin, tous les cinquante kilomètres environ, il avait droit au rituel libyen : je coupe le moteur, je descends de moto, je donne mon passeport, j’enlève mon casque…. et je garde mon calme.

Heureusement, on ne lui demandait jamais de montrer l’intérieur de ses sacoches, ceci n’étant pas vrai pour les pauvres Libyens qui, régulièrement, ouvraient leur coffre à la demande des militaires. Les pistolets mitrailleurs en bandoulière n’incitaient guère à se plaindre de ces nombreux barrages qui faisaient grandement chuter la moyenne ! Chris ressentait comme une lassitude.

Depuis qu’il avait quitté le sud du pays, il avait retrouvé sans aucun plaisir cette atmosphère si particulière d’un pays sous la domination d’un homme et de ses militaires et policiers. Il ne parvenait pas à entretenir de véritables relations avec la population et tous ces contrôles l’insupportaient.

Une prison en plein air, une immense prison, voilà le sentiment qu’il éprouvait alors que pour la n ième fois, un militaire rejoignait son chef pour lui montrer les papiers de Chris. Ce pays était vraiment sous contrôle permanent. Justement, il était impatient d’en finir avec cette impression d’enfermement et c’est pour cette raison qu’il se dirigeait vers l’Egypte.

Il arriva à Benghazi le soir et dénicha, non sans mal, un hôtel. A la réception, un Marocain, Mustapha. Décidément, beaucoup de Nord Africains travaillaient en Lybie, mais ils étaient souvent cantonnés à des petits boulots, peu qualifiés. Cela n’empêchait pas son interlocuteur d’être particulièrement affable. Il l’invita à boire le thé avec lui et ils discutèrent longuement du Maroc que Mustapha avait quitté depuis de nombreuses années.

Opposant politique, il avait eu des démêlés avec les services de police de son pays ; il était alors très mal vu de ne pas être d’accord avec Hassan 2 et Mustapha avait fini, par se résoudre à venir s’installer en Lybie.

« Tu sais, chez nous, les prisons sont pleines de personnes qui, comme moi, ont voulu simplement exprimer des idées, des opinions différentes de celles du pouvoir en place. C’était devenu trop dangereux pour moi et, maintenant, je vis ici. Je rêve de retourner bientôt chez moi", bientôt, ajouta-t-il avec une lueur dans les yeux, "j’ai espoir dans l’action de notre nouveau roi ».

 

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« D’où viens-tu? Cela fait une heure que je te cherche ».

« J’étais avec de jeunes Libyens qui m’avaient invité à une soirée ».

« Oui, je sais, des policiers sont venus à l’hôtel en fin d’après-midi. Ils ont discuté avec le patron. Ces jeunes sont sous leur surveillance, tu n’as pas choisi les bons interlocuteurs ; ils te soupçonnent de faire partie de leur groupe ».

A l’air grave de son ami, Chris comprit que la situation était sérieuse.

« Le mieux est que j’aille m’expliquer au poste de police, ils comprendront vite qu’ils font fausse route » suggéra-t-il.

« Tu n’es pas en France ici, je crois que tu ne réalises pas ce que tu risques. En plus, le chef de police déteste les occidentaux » lui répliqua Mustapha tout en l’entraînant dans un passage couvert à l’abri des regards.

Les pensées s’entrechoquèrent dans la tête de Chris: la rencontre avec ces jeunes, artistes pour la plupart ; un peintre, un musicien et un écrivain notamment ; leurs réunions au cours desquelles ils refaisaient le monde.

Il avait été séduit par leur liberté de parole, dans ce pays où, jusqu’à présent, il n’arrivait pas à échanger véritablement des idées avec les habitants. Il avait bien remarqué, dans une des pièces de l’habitation où ils le recevaient, quelques piles de journaux, et avaient supposé que, peut-être, ils exprimaient leurs idées par ce canal dans un pays où la liberté d’expression était bannie. Une peur panique s’empara de Chris.

Mustapha ne lui laissa pas le temps de se poser plus de questions.

« Tiens, j’ai pu récupérer ton passeport dans le coffre de l’hôtel. J’ai entendu les policiers dire à mon patron qu’ils viendraient te chercher demain matin. J’ai descendu tes affaires qui étaient dans ta chambre ; elles sont dans le garage, à côté de ta moto. Il faut que tu ailles au port ; là bas, j’ai un plan pour quitter le pays ».

« Mais » balbutia Chris « et toi ? On va te soupçonner ».

« Sois sans crainte, moi aussi, je file d’ici ; je ne fais qu’avancer mon départ de quelques jours. Demain, je serai loin, en route pour mon pays ».

Le temps pressait et Mustapha le prit par le bras ; ils empruntèrent des ruelles sombres, évitant les grandes artères et arrivèrent au local où se trouvait le Scrambler, à quelques centaines de mètres de l’hôtel. Mustapha avait la clef et ils s’empressèrent de rentrer et de charger la moto.

Puis, précautionneusement, ils la poussèrent, moteur éteint jusqu’à ce qu’ils soient assez éloignés de l’hôtel. Ils prirent place tous deux sur la selle et se dirigèrent vers le port, la peur au ventre. Par chance, ils ne croisèrent aucune patrouille de police. Mustapha lui fit signe de se garer dans un grand hangar délabré, derrière un pilier. Le cœur de Chris battait à tout rompre. Soudain, quatre hommes surgirent de nulle part mais son compagnon le rassura ; c’étaient des amis.

Les présentations furent brèves, le temps pressait. Mustapha indiqua à Chris qu'un cargo était à quai, tout près, et pouvait l’embarquer, ainsi que sa moto. Il lui souhaita bon courage et l’un des hommes l’emmena aussitôt vers le bateau pendant que ses compères s’affairaient autour de Voxane.

Discrètement, ils montèrent à bord du navire et rencontrèrent un membre d’équipage. Quelques paroles en arabe et ce dernier accompagna Chris jusqu’à une cabine exiguë. Il le laissa aussitôt en lui faisant signe de ne pas bouger.

Chris resta prostré de longues minutes ; tous ces évènements avaient été si rapides, il n’arrivait pas à vraiment réaliser ce qui se passait. Et qui étaient ces gens qui l’avaient emmené jusqu’à ce cargo, pouvaient-ils leur faire confiance ?

D’un autre côté, au cours de la semaine passée à Benghazi, il avait appris à connaître et apprécier Mustapha, personnage attachant, révolté contre l’injustice régnant dans son pays et ici, en Lybie. Il n’hésitait pas, quand ils étaient seuls, à se lancer dans de grandes critiques contre ces régimes politiques qui étouffaient le peuple.

Oui, il fallait qu’il lui accorde sa confiance ; s’il lui avait dit qu’il était en danger, c’est qu’il avait de bonnes raisons de le croire. Tout en essayent de ne pas céder à la panique qui couvait en lui, il resta, assis sur une couchette, attentif au moindre bruit provenant de l’extérieur. N’avaient-ils pas été vus ? Est ce que la police allait venir le chercher ici ? Seul, enfermé, son imagination s’emballait et il ne parvenait pas à se raisonner.

Enfin, la porte s’ouvrit. Un marin galonné, s’adressa à lui dans un anglais impeccable. Il lui annonça que sa moto avait été mise en caisse et que, à priori, il devait pouvoir l’embarquer sur le cargo, que ce dernier prenait la mer demain matin et qu’il ne devait surtout pas se montrer jusque là. Il lui conseilla de dormir.

Sa stature imposante accentuée par sa barbe fournie, sa sérénité apparente, rassurèrent quelque peu Chris. De nouveau seul, il s’allongea, ferma les yeux. Son sort ne dépendait plus de lui, il ne pouvait qu'attendre.... et espérer.