Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'envol (tome 2) - chapitre 13

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Chapitre 13

 

"Houps" ! s´écria-t-il sous son casque. La moto venait de faire une embardée dans un des innombrables virages de cette route sinueuse. Comme pour le rappeler à l'ordre devant son enthousiasme.

L´avertissement lui suffit; il rendit la main et adopta un rythme de sénateur. Parfois, il croisait une 504 Break, la même que celle dans laquelle il avait usé ses culottes sur la route des vacances il y a ....longtemps; il dépassait des mobylettes fatiguées, souvent une Peugeot 103 ou 102, comme celles que son frère et lui avaient utilisées sur les routes des Pyrénées. Décidément, il avait l´impression de faire un saut dans le temps !

 

Il longea un long moment l´immense palmeraie de Tozeur dont il atteignit l´extrémité par une piste sablonneuse où le Scrambler, lourdement chargé, ne demandait qu´à s´enfoncer. Il arriva dans un petit camping à l´ombre des palmiers dattiers où le gardien, du nom de Mabrouk, l´accueillit avec un large sourire. En cette période de l´année, l´endroit était désert, délaissé par les touristes.

Chris se sentit bien dans cette palmeraie et c´est avec beaucoup de soin qu´il installa sa tente. Il éprouva le besoin de se poser dans cette ville du sud de la Tunisie.

 

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Il partit rejoindre le groupe de jeunes qui se réunissait quotidiennement dans cette partie de la palmeraie ; un bassin se trouvait là et ils se baignaient aux heures les plus chaudes de la journée.

Les premiers contacts avec eux avaient été un peu difficiles car ils l´avaient accueilli avec son statut de touriste, denrée omniprésente dans ce pays. Cela avait faussé leurs relations au départ, puis, à force de le voir chaque jour, une certaine complicité s´était instaurée. Chris avait alors retrouvé le plaisir des longues discussions sur les sujets les plus divers.

Il avait pris conscience que la Tunisie n´était pas seulement ce pays enchanteur pour occidentaux en mal de dépaysement à bon prix; dans ce pays, vivaient des gens dirigés par un chef d´Etat autoritaire. Chris avait rencontré un soir le père d´un des jeunes; cet homme d´une soixantaine d´années lui avait expliqué que beaucoup de personnes étaient en prison uniquement pour leurs idées politiques en opposition avec le pouvoir en place. Il lui avait ouvert les yeux sur la réalité de ce pays.

« Tu sais, on donne souvent l´exemple du pays voisin, la Libye, lorsque l´on parle d´une dictature mais ici, la vie y est aussi très dure et nous n´avons pas beaucoup de liberté. Tu ne réalises peut-être pas la chance que tu as de vivre en France. Vous changez régulièrement de président de la république mais vous conservez à chaque fois un bien infiniment précieux : la démocratie ».

Ce n´était pas la première fois que Chris entendait ce genre de discours; il se souvenait de certaines conversations animées en Algérie sur le sujet. Mais, il était troublé d´avoir été si aveugle concernant ce pays où « il faisait bon vivre » d´après lui. Quelle vision déformée et limitée pouvait-on avoir d´un territoire en le survolant quelques jours.

Il se sentit soudain heureux de la décision qu´il avait prise en quittant sa ville, son pays, pour ce voyage au long cours dont il ne connaissait ni la destination, ni la fin. Il avait emporté avec lui le bien le plus précieux : le temps. Il ne comptait plus les jours ; il vivait simplement, en fonctions de ses désirs, de son instinct, de ses rencontres.

Pour l´instant, il se sentait heureux dans cette palmeraie au milieu de ses habitants qu´il apprenait à connaître. Il retrouvait chez eux cette faculté de profiter de l´instant présent sans se projeter dans l´avenir qu´il avait côtoyée lors de son voyage au Maroc et en Algérie.

 

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« Salam Aleikum »

« Aleikum Salam »

Chris fit entrer son invité dans sa « maison », en fait son campement qu´il avait, au fil des semaines, aménagé en le délimitant avec quelques pierres et en y installant quelques vieux tapis que lui avaient prêtés Mabrouk.

A proximité, creusé dans le sable, un foyer garni de branches attendait son heure qui n´allait pas tarder; les morceaux de mouton étaient prêts. Il avait décidé d´organiser cette soirée il y a quelques jours. Il était reçu régulièrement par ses nouveaux amis Tunisiens et il avait fini par être gêné, d´autant que, en sa qualité d´invité, il était à chaque fois accueilli comme un roi.

Ce soir, il leur rendait la pareille. C´est avec un grand plaisir qu´il vit arriver tous ses amis, en famille. La soirée était douce en ce début de printemps. On parla beaucoup, on mangea jusqu´à être repu et le thé à la menthe coula à flots.

Enfin, accompagné par un jeune aux percussions, Chris leur joua des airs traditionnels de son pays. Il regardait tour à tour ses invités, près du feu de bois, qui frappaient en rythme dans les mains, et les palmiers, autour du campement, qui se dressaient, majestueux, dans la nuit étoilée; un bonheur sans limite l´envahit; alors, il continua longtemps à faire courir ses doigts sur les boutons de nacre, serrant l´instrument en bois d'érable contre lui; il lui semblait que rien ne pouvait arrêter la magie de cette fête et il tira un peu plus fort sur le soufflet pour crier sa joie au désert environnant.