Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'imagination en voyage (tome 1) - chapitre 11

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Chapitre 11

Un rayon de soleil s'infiltra par la fenêtre entrouverte, se déposa sur son visage. Chris ouvrit les
yeux. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser où il se trouvait. Ca lui arrivait souvent d'avoir ces
petits " passages à vide " et il éprouvait toujours un certain plaisir à sentir ce flottement dans sa tête
avant de reconnaître le monde qui l'entourait.


Les cris des mouettes lui rappelèrent que le désert était bien loin.
Alger les avait accueillis , il y a trois jours. Chris avait passé des heures interminables dans les locaux
de la police pour régulariser sa situation ; son visa n'était plus valable depuis longtemps et il
était en situation irrégulière dans ce pays. Heureusement, après être passé de bureau en bureau, il
avait atterri chez le chef de police avec lequel le courant était passé. Il avait simplement raconté à
cet homme combien il était tombé amoureux de l'Algérie, de ses déserts et qu'il en avait oublié le
temps qui passait. L'homme avait rapidement laissé tomber le masque du fonctionnaire de police
sévère et, en 24 heures, lui avait obtenu une extension de son visa !


Aujourd'hui, Colette et Loïc embarquaient sur la bateau qui les ramènerait en Europe. Il les accompagna,
eut un petit pincement au coeur lorsque les deux motos s'engouffrèrent dans la cale du ferry.
Mais, il ne se sentait pas encore prêt à quitter le sol africain. Quelque chose le retenait, comme si au
fond de lui, il sentait qu'il lui restait un bout de chemin à accomplir.


Assis sur un muret, il regarda s'éloigner le bateau. Il le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse à
l'horizon puis se mit à observer la vie du port.
Il s'attarda sur un gamin qui déambulait et tentait de vendre quelques paquets de cigarettes. Les yeux
rieurs, simplement vêtu d'un pantalon de toile déchiré et d'un vieux pull, il arpentait le port avec une
énergie peu commune et parvenait souvent à ses fins en sollicitant les clients potentiels. Difficile de
résister à ce gamin fonceur qui éclipsait tout le monde par sa présence.


Au bout d'un moment, il remarqua Chris et s'approcha de lui.
" Je ne fume pas, c'est beaucoup trop compliqué quand on roule en moto " annonça Chris tout de go
avant même d'être sollicité.
" Tu as une moto ? Où ça ? Tu me la montres ? "
Et il n'eut de cesse alors d'aller voir cette moto. Il le bombarda de questions sur sa monture, sur son
voyage, s'extasia quand il lui raconta son séjour dans le Tassili N'Ajjer.
" Tu en as de la chance, moi, je n'ai jamais quitté Alger mais je rêve de voyager quand je serai plus
grand ".
Puis, il lui parla de sa vie ici, de la mort de ses parents quand il était tout petit, des ventes à la
sauvette qu'il faisait dans les rues pour ramener un peu d'argent dans la maison du cousin qui l'avait
pris en charge. Mais, il ne se plaignait pas, il racontait juste quelle était sa vie actuelle et il gardait
une foi extraordinaire dans l'avenir.
Chris fut touché par ce petit bonhomme et lui donna rendez vous en fin de journée devant son petit
hôtel afin de lui montrer sa Transalp.
En attendant, il marcha au hasard dans la ville, jusqu'à se perdre dans un quartier pauvre sur les
hauteurs d'Alger. Une activité débordante y régnait avec de minuscules ateliers de confection dans
lesquels des machines hors d'âge fonctionnaient à plein régime.


Quand il fut saoul du bruit, de la foule, de la pollution, Chris regagna sa chambre. Il avait hâte de
retrouver ce gamin dont il ne connaissait même pas le nom.

" Je m'appelle Bob et j'ai dix ans "
" Ce n'est pas très arabe comme nom "
L'enfant lui avoua qu'il l'avait choisi après avoir longtemps admiré un poster de Bob Marley dans un
magasin d'alimentation de son quartier ; l'épicier lui avait fait écouter à plusieurs reprises une cassette
de ce chanteur . Ca lui avait évoqué l'évasion, la liberté et il s'était approprié son nom dont il
était très fier.
La Transalp était stationnée dans la cour intérieure de l'hôtel et Bob tourna autour en poussant des
cris d'admiration.
" Qu'elle est belle, qu'elle est belle ! " ne cessait-il de répéter.
" Tu peux monter dessus, si tu veux " lui proposa Chris.
Bob s'installa sur la selle et oublia durant de longues minutes qu'il était à Alger. Accroché au guidon,
il parcourait les routes du monde.

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Ils s'étaient donnés rendez-vous en bas de la rue, à quelques centaines de mètres de la maison de
Bob. Chris était arrivé en avance, comme souvent. Ca ne lui déplaisait pas d'attendre dans ce quartier
populaire ; il lui suffisait d'ouvrir en grand ses yeux, ses oreilles et ses narines pour s'imprégner
de l'ambiance de la rue.


Justement, deux hommes s'apprêtaient à vider une camionnette et la discussion était animée entre
eux, manifestement en désaccord sur la manière de porter les meubles.
Il sourit ; il avait fini par s'habituer au langage parfois excessif utilisé dans les pays arabes. Au
début, cette violence verbale l'avait inquiété mais il avait vite remarqué que ce n'était qu'une façon
d'être, simplement différente de la sienne.


Il se dégagea du mur sur lequel il avait pris appui, s'approcha des deux hommes manifestement en
difficulté et ajouta ses deux mains sous l'armoire en situation de déséquilibre. A trois, tout devint
plus aisé et l'armoire trouva rapidement sa place dans une des pièces de la maison. Bob n'était pas
encore arrivé et Chris embraya naturellement sur le transport des autres meubles. En une demi-heure,
la camionnette fut déchargée. C'est à ce moment là que Bob arriva en courant avec son sourire
habituel au bout des lèvres.
" Qu'est ce que tu fais ? "
" Tu vois, je donne un coup de main "
" Salut, petit, tu vas bien ? " lui lança un des deux hommes.
Apparemment, Bob faisait partie du décor dans le quartier et la conversation s'engagea dans le café
voisin devant quelques verres de thé.


Plus tard, c'est au repas du soir que Chris fut convié en guise de remerciement. Comme souvent en
Algérie, quelques membres de la famille et voisins se rajoutèrent au groupe. Parmi eux, le cousin de
Bob.
Un homme à l'apparence rigide, avec un regard froid. Il n'adressa pas la parole à Chris pendant tout
le repas mais, en fin de soirée, alors que la pièce se vidait, il s'approcha de lui.
" Bob m'a beaucoup parlé de vous. J'étais un peu inquiet au départ car je craignais que vous n'ayez
une mauvaise influence sur lui. Il me disait qu'il quitterait Alger un jour , qu'il partirait sur les
routes, comme vous. Vous savez, depuis la mort de ses parents, j'essaye de l'élever mais j'ai beaucoup
de mal. Je n'ai pas de travail fixe et j'ai des moyens financiers limités. Alors, je le laisse parfois
aller dans la rue pour vendre quelques paquets de cigarettes. Il est très débrouillard et cela m'aide.
D'un autre côté, il n'aime pas l'école.
" C'est dur, parfois " conclut-il après un silence.

" Ne jamais se fier aux apparences " pensa Chris en regardant cet homme qui se débattait avec
l'éducation d'un petit garçon qui n'était pas le sien.


Plus tard, dans la nuit, alors que le sommeil se refusait à lui, il pensa longuement à ce gamin sans
parents, à cet homme essayant d'être un père. Il se souvint de son enfance heureuse, de ses parents
omniprésents dans toutes les étapes importantes jusqu'à son envol en tant qu'adulte.