Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'imagination en voyage (tome 1)

Index de l'article

La journée tirait à sa fin; le ciel bas et lourd avait plombé la ville sans discontinuer. Chris quitta son
travail sans entrain, malgré l'approche du week-end. L'arrivée dans son petit appartement lui fit
l'effet d'un coup de massue.

"Quelle tristesse!" pensa-t-il.


Pour tromper ce malaise qui le rongeait, il alluma la radio. Pas de chance, le journaliste annonçait un
nouvel attentat suicide d'un Palestinien.


Dans la cuisine, au fond de l'évier, la vaisselle sale attendait que l'on veuille bien s'occuper d'elle; un
vieux tas de linge froissé traînait près.... du casque intégral de Chris.

Entrée de maison marocaine

 


Ce fut comme un déclic dans sa tête. Tel un automate, il glissa quelques vêtements au fond de son sac de voyage, sortit son matériel de camping de l'armoire. Une demi-heure plus tard, sa moto était chargée et il se sentait déjà plus léger.


Le V-twin s'éveilla au premier coup de démarreur et, à allure modérée, il sortit de la ville encombrée. Il se retrouva sans l'avoir vraiment décidé sur la route de Toulouse.


A partir de là, il oublia cette semaine interminable, son chef autoritaire, le rapport à terminer. Il était un autre homme ou plutôt il redevint lui même sur cette route désertée par les automobilistes pour le ruban monotone de l'autoroute voisine. Le froid était vif et le temps bas empêchait de voir les Pyrénées au loin.


Chris sourit sous son casque; il retrouvait ses sensations, ce plaisir si particulier de sentir sa moto obéir à une impulsion du corps, à une rotation du poignet droit, aux deux doigts appuyés sur le levier de frein.


Pendant deux heures, il roula sans s'arrêter. La nuit le surprit mais quelques étoiles ça et là perçaient le ciel. Il ne put retenir quelques larmes, mélange d'émotion trop longtemps retenue et du bonheur de se retrouver sur cette petite route ariégeoise. Sans réfléchir, il décida de se rapprocher des montagnes qui commençaient à se dessiner.


Quand la fatigue se fit plus forte, il ralentit à l'approche d'un village; un terrain de camping fermé lui tendait les bras. Il contourna la barrière d'accès et installa rapidement sa tente. Le froid était vif et il se glissa sans tarder dans son sac de couchage le ventre vide.


La nuit fut mouvementée, entrecoupée par de nombreux cauchemars, comme si son cerveau procédait à un nettoyage en règle de tout ce qui le parasitait. Il quitta son sac de couchage très tôt.


La brume se dissipait lentement sur le village endormi, un chien errant s'approcha de lui le regard confiant. Il fit courir sa main sur le pelage encore froid et s'assit près de lui, dans l'attente du jour proche. Les premiers rayons de soleil franchirent le sommet de la colline qui surplombait le camping.


Il ferma les yeux le visage tendu en avant pour recevoir cette douce chaleur du matin et il resta ainsi un long moment. A quelques centaines de mètres, le café ouvrit ses portes et il prit son petit déjeuner.


Le patron entama la conversation; il l'avait vu arriver hier au soir et avait été surpris de le voir camper avec un tel froid. Chris parla un peu du plaisir de la moto, du contact direct avec la nature, de ce sentiment très fort de VIVRE au guidon d'un deux roues, de sa méfiance vis à vis d'un trop grand confort. Au fur et à mesure qu'il parlait, sa voix devenait plus douce, plus chaleureuse; il sentait que son interlocuteur l'écoutait vraiment et le comprenait un peu.

Cet échange lui fit chaud au coeur; sa journée d'hier était définitivement aux oubliettes de son cerveau. Le patron du café lui proposa gentiment de se laver dans la petite salle de bains située à l'étage.


Quand Chris lui fit ses adieux un peu plus tard, ils échangèrent un long regard rempli d'estime réciproque.

 

Une heure plus tard, alors qu'il traversait au ralenti un village, Chris sauta sur les freins en apercevant un bâtiment de La Poste. Sans réfléchir, il se présenta au guichet et retira une belle somme 'argent de son compte-chèques. "Qu'est ce que je suis en train de faire?" se demanda-t-il. C'était comme si une force intérieure le poussait à agir ainsi.


A partir de là, tout s'accéléra. A l'intersection suivante, le panneau "Frontière 43 kilomètres" l'attira comme un aimant. Il bifurqua sans hésiter et, en chantant sous son casque, enchaîna les virages comme dans un rêve; sa moto se dirigeait d'un simple regard, il était le roi du monde sur cette petite route sinueuse. Tout en restant concentré sur son pilotage, il put admirer le vol de quelques rapaces au dessus des montagnes.

En quittant la France, il ressentit une très forte émotion, un mélange d'excitation et d'inquiétude. Il ne maîtrisait plus ses actes et cela faisait monter en lui une légère angoisse;  en même temps, il se sentait un homme libre. Il s'arrêta peu durant la journée et arriva dans les environs de Valence alors que le soleil rentrait à la maison.


Un camping l'accueillit. Les palmiers, la mer en contrebas ; la France lui semblait très, très loin. Demain, la semaine de travail reprenait mais il savait déjà qu'il ne serait pas présent à la réunion de service du matin. Il regarda sa Transalp au repos sur sa béquille latérale; il lui trouva un air de voyageuse et décida d'aller voir plus au sud comment les hommes vivaient. Il sortit son passeport de la poche de son blouson, le contempla longuement; le Maroc était si proche...

 


 

 

 

Chapitre 2

Accoudé au bastingage, Chris regardait la ville d'Alméria, illuminée. L'avenue principale, bordée de palmiers, longeait la mer ; des centaines de véhicules la parcouraient alors que la nuit venait de s'installer. Au dessus, la blancheur éclatante des murs de la vieille ville se détachait. Il s'y était longuement promené au cours de l'après-midi sous le charme de l'atmosphère orientale de ce quartier.


Il y a quelques minutes, il avait soigneusement garé sa moto dans la cale et surveillé de près son amarrage
par un des hommes du ferry.


Il sentit une vibration parcourir le bateau ; les moteurs venaient d'être mis en marche ; son corps tout entier absorba le frémissement de cette carcasse métallique. Dans quelques minutes, il allait quitter l'Europe ; un léger vertige l'envahit.


Chris resta très longtemps sur le pont, bien après que la terre espagnole eut disparu de sa vue ; mais, le froid devenait trop intense et il regagna la cafétéria pour se restaurer. Alors qu'il cherchait une table libre, un vieil homme lui fit signe de s'asseoir près de lui ; un large sourire éclairait son visage ridé.


Deux heures plus tard, la conversation se prolongeait devant deux tasses de thé. Mustapha lui avait raconté sa vie de jeune Marocain arrivé dans les années 60 en France, son embauche dans les usines Renault, ses difficultés d'intégration, ses retours au pays, chaque année pendant les vacances, les économies durement amassées qui lui avaient permis de s'acheter un lopin de terre et de construire sa maison, dans la région de Zagora.

Cette traversée avait une saveur toute particulière : il regagnait définitivement son pays natal après sa mise à la retraite. Ses yeux brillaient quand il parlait de ses projets pour les années à venir, au milieu des siens.


A la fin de leur longue conversation, il griffonna son adresse sur un bout de papier. " Vous serez le bienvenu chez moi " dit-il à Chris. Ce dernier n'avait pas osé aborder les circonstances de son voyage;  il ne réalisait pas encore ce qui lui arrivait et le sentiment de faire quelque chose d'interdit ne quittait pas totalement son esprit. Son compagnon évita avec discrétion d'aborder des sujets trop personnels.


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Six heures du matin : assis sur le pont arrière du ferry, Chris porta à ses lèvres l'harmonica qui ne le quittait jamais . Il ressentait un besoin impérieux de jouer, comme pour fêter cette liberté qui envahissait out son être. Les yeux fermés, il joua longuement, les notes étaient projetées vers l'horizon, ricochaient sur la mer d'huile, puis fendaient l'eau, accompagnaient quelques dauphins dans leur course, se joignaient aux bancs de poissons, et enfin s'éteignaient doucement dans les fonds marins.


La côte africaine lui apparut enfin alors qu'il portait son regard au loin, impatient. L'arrivée au port lui sembla interminable. Enfin, il put sortir sa moto de la cale du ferry et parcourir les quelques kilomètres le séparant de la frontière. Deux heures plus tard, il foulait la terre marocaine. Il roulait sur un filet de gaz, attentif à tout ce qui l'entourait : quelques ânes , les camions d'un autre âge portant des chargements incroyables , les maisons en terre, les traversées de villages au milieu d'une joyeuse pagaille.

Le bruit feutré du V-twin le rassurait ; il semblait lui dire qu'il l'accompagnerait out au long de ce voyage un peu fou qui se construisait dans sa tête. D'ailleurs, instinctivement, il avait adopté un rythme de conduite sage ; il sut qu'il ne dépasserait plus les 5000 tours minute au compte tours, il accélérait avec progressivité, autant pour respecter sa mécanique que pour se mettre en phase avec ce pays qu'il découvrait.

Régulièrement, les enfants lui faisaient de grands signes de la main en souriant et c'était à chaque fois comme une petite impulsion qui le portait un peu plus loin sur cette route sinueuse.

Maroc


Il réalisa soudain qu'il roulait sans savoir où il allait ; il n'avait pas de carte routière et il suivait instinctivement
cette route qui se dirigeait vers le sud. C'était la première fois qu'il agissait ainsi.


Jusqu' à présent, les virées sur sa moto avaient toujours été programmées, avec un itinéraire précis,rassurant. Aujourd'hui, il se sentait maître de son destin, libre. Depuis son adolescence, il adorait se plonger dans des livres qui racontaient des voyages mais tout cela lui semblait inaccessible, effrayant et les vivre par procuration lui paraissait suffisant. Le bonheur qui l'envahissait à cet instant bouleversait toutes ses certitudes et il touchait du doigt un autre mode de vie.


Chefchaouen 17 kilomètres : ce nom sur le panneau indicateur l'amusa et il décida qu'elle serait sa première étape marocaine. Il arriva alors que les derniers rayons de soleil embrasaient cette petite ville accrochée aux montagnes du Rif.


Chris gara sa Transalp près d'un âne chargé de deux couffins qui stationnait devant un restaurant. La scène le fit sourire et c'est d'humeur joyeuse qu'il dégusta son premier tajine. Alors qu'il terminait son repas par un thé à la menthe au doux parfum, un jeune marocain l'aborda . Après quelques minutes de conversation, il lui proposa un peu de chocolat ! Surpris, Chris ne sut quoi répondre ce qui fit beaucoup rire son interlocuteur. Ce dernier lui montra son " chocolat ", un peu de kif, et lui indiqua que cette herbe était cultivée dans la région. Beaucoup d'habitants en fumaient régulièrement et cela remplaçait le pastis français. Autre pays, autres moeurs !

 Chefchaouen (Maroc)

 


 

 

 

 

Chapitre 3

" Et merde ! " s'exclama Chris sous son casque alors que la roue avant de sa moto butait contre une pierre plus grosse que les autres et se couchait brutalement sur son flanc. Cela faisait deux heures qu'il roulait sur cette piste du Moyen Atlas et il commençait à regretter son impulsion matinale qui l'avait décidé à quitter le bitume marocain.


Pourtant, tout avait si bien commencé. Sur les conseils du gardien du camping de Midelt, il avait pris la direction du cirque de Jaffar. Le soleil avait accompagné ses premiers tours de roues sur une piste et son coeur battait à tout rompre au moment d'affronter ce terrain nouveau.

Au départ, tout s'était bien déroulé; la piste s'élevait lui offrant un magnifique point de vue, il avait roulé prudemment en évitant les ornières, les passages trop caillouteux, mais, peu à peu, elle était devenue de plus
en plus impraticable pour un motard novice en matière de conduite en tout terrain.


Cette chute était la troisième et Chris commençait à se sentir découragé devant les difficultés. L'envie de faire demi-tour lui effleura l'esprit mais une force intérieure le poussait à aller de l'avant.


Après avoir redressé sa moto, il poursuivit cahin-caha son chemin. Il conduisait mal car c'est avec une rage rentrée qu'il avançait ; il s'en voulait d'avoir choisi un itinéraire aussi difficile.

Qu'allait-il donc chercher sur cette piste perdue ?

 

Moyen Atlas marocain


La peur au ventre, il dut entamer une descente périlleuse sur une piste étroite bordée par un ravin ;une fois l'obstacle franchi, il s'arrêta, livide. Il sentit qu'il perdait pied et décida de se poser un peu plus loin, près d'un ruisseau.

Il mangea lentement en essayant de chasser les idées noires qui le parcouraient.


Il réalisait qu'il n'était pas encore véritablement rentré dans son voyage ; pourtant, cela faisait maintenant deux semaines qu'il avait quitté sa vie routinière.

Il ferma les yeux et se remémora ces derniers jours ; il esquissa un sourire en songeant aux nombreuses rencontres qu'il avait déjà faites, beaucoup plus qu'en une année de sa vie habituelle, il revit les splendeurs de Fès, l'incroyable
labyrinthe de la vieille ville avec ses boutiques d'un autre âge, ses odeurs, ses couleurs, la vision surprenante
de singes dans une forêt de cèdres, les appels à la prière qui le réveillaient tous les matins.
Il resta un long moment perdu dans ses pensées ; il se sentit lentement envahi par un sentiment de
bien-être comme il en avait rarement éprouvé.

La nuit avait pris place et avec elle des milliers d'étoiles qui illuminaient le ciel. Chris se rapprocha du feu qu'il avait allumé quelques instants auparavant. Un froid vif s'était installé mais c'est une douce chaleur intérieure qui irradiait son corps.

Moyen Atlas marocain


Très vite, il se glissa dans son sac de couchage et, bercé par le chant du cours d'eau voisin, sombra dans le sommeil.

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Moyen Atlas marocain

 

Lorsque qu'il pénétra dans les gorges du Todra, Chris ne put retenir un cri, mélange de joie et de
soulagement après ces trois jours de piste. Sa Transalp était méconnaissable ; recouverte d'une
poussière ocre, un flanc de carénage cassé, elle avait abandonné sa tenue de moto propre sur elle
pour celle de baroudeuse. Il l'a remercia de l'avoir emmené jusqu'ici, de sa bonne volonté face à son
pilotage hésitant. Il eut un frisson rétrospectif en songeant qu'il aurait pu crever un pneu, chuter alors
qu'il était seul dans ces montagnes.

Pour l'heure, la recherche d'une douche était sa préoccupation principale et il s'arrêta au premier camping, dans la palmeraie de Tinherir. Il s'installa à proximité d'un vieux Land Rover à la peinture défraîchie.


Quelques heures plus tard, c'est tout naturellement qu'il était invité à manger par ses voisins, un
couple d'anglais de retour en Europe après un long voyage à travers l'Afrique. Des heures durant, ils
lui racontèrent avec un enthousiasme communicatif leurs péripéties de voyage.

Palmeraie de Tinerhir


Chris eut du mal à s'endormir rapidement ce soir là ; peu à peu, l'idée de poursuivre un peu plus en
avant sa route s'insinuait en lui. Pourquoi ne pas faire un saut dans la capitale, tenter de trouver
quelques pièces de rechange pour sa moto et demander un visa algérien. Les descriptions des
régions du Hoggar et du Tassili N'Ajjer par ses compagnons d'un soir l'avaient convaincu de visiter
ces déserts. Tout lui paraissait étrangement simple, il se sentait habité par une sérénité nouvelle pour
lui. Il s'endormit paisiblement.


Il se dirigea donc vers Rabat et sollicita un visa auprès du consulat algérien. Que d'obstacles, que de
complications pour obtenir ce droit d'entrée! A côté, l'administration française avait des airs de club
de vacances. Après avoir patienté des heures, rempli des formulaires en veux tu en voilà, on lui avait
dit qu'il devait attendre deux semaines avant d'avoir une réponse.

Aussi, après avoir réussi à trouver un pneu et une chambre à air de rechange pour sa moto décida-t-il de rendre visite à Mustapha dans la région de Zagora.

Il y reçut un accueil extraordinaire et passa deux jours dans la maison de cette famille marocaine. Autour, il y avait quelques palmiers et le désert ; un matin, très tôt, Chris partitmarcher, fasciné par ces étendues vierges. A son retour, il raconta à Mustapha l'énorme plaisir qu'ilavait éprouvé.

Ce dernier lui proposa alors de le présenter à un de ses neveux. " Je pense qu'il serait
heureux de te faire découvrir sa région " lui dit-il.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Chapitre 4

La journée tirait à sa fin et Hamid décida que l'endroit était propice à une halte. Il libéra le chameau
de son chargement, lui attacha les pattes de devant pour qu'il ne puisse pas s'éloigner du campement.
Ils ramassèrent quelques branches pour le feu et préparèrent le repas du soir. Cela faisait sept jours
qu'ils avaient quitté Zagora pour s'enfoncer dans le désert.

Sept jours de solitude, de marche silencieuse au cours desquels Chris eut la sensation de vider son corps de tout ce qui n'était pas essentiel ; seul comptait la recherche du point d'eau, du bois, d'un endroit pour bivouaquer. Lentement, il se détachait du monde qu'il connaissait et il vivait avec une intensité extrême chaque minute, chaque
seconde, tous les sens en éveil. Hamid était peu loquace mais quand il parlait, c'était avec une grande sagesse.

Désert marocain


En l'écoutant, Chris prit conscience qu'il faisait fausse route avec son mode de vie entièrement
tourné vers la société de consommation. Il remettait en question toutes ses certitudes qui l'avaient
guidé jusqu'à maintenant. Mais cela ne le troublait pas ; au contraire, il se sentait chaque jour un peu
plus fort dans sa tête.

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" Je vous souhaite la bienvenue dans notre pays " lui lança le douanier algérien non sans humour
après cinq heures de formalités diverses et variées dans ce poste perdu aux environs de Figuig.
Chris effectua quelques kilomètres la gorge serrée. Il ne pouvait détacher de son esprit les reportages
concernant le drame algérien, les attentats, les exécutions barbares et une peur irraisonnée
l'envahissait. Alors, pour tromper sa peur, il roula sans s 'arrêter ; il se sentait observé dans les
traversées de villages.


Soudain, son moteur cafouilla ; machinalement, il porta la main au réservoir pour passer sur la
réserve mais il y était déjà. Il se traita de tous les noms d'oiseaux d'avoir oublié de mettre la manette
en position ON lors du dernier plein d'essence. La moto finit sa course le moteur éteint ; en la penchant
sur le côté, il put repartir et parcourir quelques kilomètres supplémentaires.

La route était déserte. Il aperçut une maison en retrait à quelques centaines de mètres et poussa sa Transalp sur un
chemin pierreux. C'est avec une appréhension certaine qu'il frappa doucement à la vieille porte bleue. Pas de réponse, la maison paraissait vide.


Chris sentait monter une angoisse qu'il tentait de maîtriser, mais c'était plus fort, la peur s'était emparée de lui. Il aurait tant voulu être dans son petit appartement à ce moment là, dans un environnement rassurant. Pour éviter de se noyer dans ses sombres pensées, il s'assit sur une pierre voisine et entreprit de grignoter son pain acheté le matin.

 

" Bonjour " Chris sursauta, il n'avait pas entendu arriver l'homme qui le dévisageait. Ce dernier lui
proposa pour toute introduction de pénétrer dans sa demeure pour s'abriter du vent et boire un thé.


" C'est que je suis en panne d'essence et je voudrais poursuivre ma route " s'empressa de dire Chris.


" Tu as le temps, viens te reposer un peu chez moi " répliqua son interlocuteur.


Tout en préparant le thé, l'homme observait du coin de l'oeil ce motard étranger mal à l'aise, nerveux, inquiet. Il se garda bien de lui en faire la remarque et entama la conversation en lui demandant d'où il venait. Il l'écouta sans l'interrompre et finit par lui poser une question : " Tu n'as pas eu peur de venir en Algérie ? ".


Chris , un peu interloqué, avoua à demi-mot son inquiétude depuis son arrivée dans son pays.


" Tu sais, rajouta son compagnon, j'ai deux fils qui vivent en France et ils me racontent régulièrement l'image qui est donnée de mon pays par les journaux et la télévision. Je suis heureux que tu sois ici car tu verras que la réalité est toute autre. Dis toi que le peuple algérien a subi, d'abord un pouvoir corrompu qui se partageait les richesses nationales, puis cette violence qui s'est installée chez nous. C'est beaucoup de souffrance pour nous au quotidien et le fait d'avoir été rejeté par de nombreux pays occidentaux fut encore plus dur à accepter. Essaie d'oublier tout ce que tu as entendu ou vu sur l'Algérie. Laisse de côté tes craintes ; chez nous, on dit que tout est écrit , tu n'as pas à avoir peur du lendemain car tu n'en as pas la maîtrise. Vis chaque jour qu'Allah t'offre. Tu m'as dit que tu avais quitté ton travail du jour au lendemain pour t'engager dans ce long voyage, tel est donc on destin et je suis sûr que tu vas te découvrir en parcourant les pays avec ta moto. Aie confiance en toi, laisse parler ton coeur et forge TA vérité en sillonnant mon pays ".


Chris sentit la honte l'envahir. Comment avait-il pu être aussi méfiant. Il ne savait quoi dire et il écouta avec beaucoup de respect cet homme si sage qui lui parlait comme à un ami, le rassurait et lui redonnait confiance en lui. Mohamed l'invita à passer la nuit chez lui avant de se mettre à la recherche de carburant. Avant de se coucher, il l'emmena derrière sa maison et leva les yeux au ciel.

" Regarde ces milliers d'étoiles qui nous entourent ; j'aime les contempler, elles m'aident à penser et me font prendre conscience de la poussière que je suis dans l'univers. Et, en même temps, elles m'apportent le calme qui me fait parfois défaut ".

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C'est le braiment d'un âne qui réveilla Chris. Il avait beaucoup réfléchi aux paroles de Mohamed avantde sombrer dans un sommeil réparateur. Il resta longuement étendu, les yeux ouverts, à l'écoutedes bruits provenant de l'extérieur. Puis, il se leva ; la maison était déserte. Il sortit, s'appuya contre le mur et laissa la chaleur des rayons du soleil le pénétrer.

Sa moto l'attendait patiemment posée sur sa béquille latérale mais il sut qu'il ne reprendrait pas la route aujourd'hui. Pour la première fois depuis très longtemps, il avait envie de ne strictement rien faire. Quand Mohamed revint en fin de matinée avec une bouteille remplie d'essence, Chris lui dit simplement : "J'aimerais rester un peu plus ". Son hôte accueillit sa décision avec un grand sourire.

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" Mes pensées t'accompagneront tout au long de ton voyage " furent les dernières paroles de Mohamed alors qu'il serrait Chris dans ses bras. Ce dernier était ému jusqu'aux larmes quand il réveilla le moteur de sa Transalp après cette pause salutaire d'une semaine.

Durant tout ce temps, Mohamed lui avait fait découvrir son mode de vie en l'emmenant chez ses amis, auprès de sa famille. Chris avait été surpris par cette simplicité dans l'accueil qui lui était réservé à chaque fois. Il gardait un souvenir tout particulier de la dernière soirée au cours de laquelle il avait enfin osé sortir son harmonica devant les vingt personnes présentes ; il avait joué des heures durant jusqu'à l'épuisement accompagné par les youyous des femmes et par les hommes qui scandaient la musique en frappant leurs mains. C'était sa manière de remercier toutes ces personnes qui l'avaient accepté dans leur maison.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 5

Tamanrasset. Chris freina, arrêta sa moto près du panneau indiquant l'entrée de la ville. Derrière lui,
2000 kilomètres le séparaient d'Alger ; devant, le Niger. Il répéta le nom à plusieurs reprises comme
pour mieux réaliser qu'il était arrivé dans cette ville dont il avait fait la découverte il y a plusieurs
années dans une de ses lectures. Il avait envie de danser autour de ce panneau usé par le temps. Tout
son corps frissonnait de plaisir. " Merci " dit-il simplement sans savoir à qui il adressait ce remerciement
: à tous les gens de rencontre qui, chacun à leur manière, l'avaient encouragé à poursuivre sa
route, à sa moto qui n'avait connu aucune défaillance, à sa bonne étoile comme il l'appelait qui lui
avait permis de parcourir ces milliers de kilomètres sans encombre.


Il avait encore en tête ces longues journées passées sur les routes et pistes du sud de l'Algérie. Il
s'était peu à peu habitué aux immensités, aux paysages dénudés, à la circulation si rare, aux routes
défoncées, à la sécheresse de l'air. Timimoun, l'Erg Occidental, El Goléa, In Salah , le plateau du
Tadémaït, les gorges d'Arak, tous ces endroits l'avaient profondément marqué. Imperceptiblement, il
était en train de tomber amoureux de ce pays grandiose si attachant ; surtout, les Algériens qu'il
avait croisés avaient tous été d'une extrême gentillesse qui lui avait fait oublier les moments de fatigue,
de doute aussi quand il roulait des heures durant sur ces plateaux infinis. Son voyage prenait
une autre dimension.

Erg occidental


Il en était de ses réflexions quand le bruit si caractéristique du bicylindre à plat d'une BMW parvint
à ses oreilles. Le motard s'approcha de lui, descendit de sa monture et vint lui serrer la main avec vigueur.
Il se présenta : il s'appelait Jurgen, était allemand et poireautait depuis une semaine dans cette
ville perdue suite à un problème d'embrayage sur sa moto. Il venait enfin de la récupérer en état de
fonctionnement. Dix minutes plus tard , ils se retrouvèrent dans un café et les discussions allèrent
bon train ; c'était le premier voyageur que rencontrait Chris en Algérie. La conversation en anglais
se prolongea tard dans la soirée ; Chris se surprit à parler de choses très personnelles avec cet inconnu
qu'il avait le sentiment de toujours avoir connu, comme s'il retrouvait un ami après une longue
séparation. Jurgen était arrivé en Algérie par la Tunisie et envisageait de rejoindre Djanet dans
quelques jours. Ils décidèrent d'un commun accord de rouler ensemble.
La moto de Jurgen était superbement préparée : gros réservoir, suspensions spéciales, bagagerie en
aluminium. A côté, la Transalp détonnait avec son chargement de bric et de broc. Jurgen avait trois
mois pour réaliser son voyage et il fut étonné quand Chris lui annonça qu'il ne savait pas pour combien
de temps il était parti et plus encore quand il apprit qu'il avait quitté sa ville et son travail sur un
coup de tête.


Une complicité s'était spontanément installée entre les deux motards et c'est dans une ambiance
chaleureuse qu'ils préparèrent la prochaine étape, 650 kilomètres de piste. Chris fit l'achat de deux
jerricans pour augmenter son autonomie en essence et il inspecta soigneusement sa moto. Le jour du
départ, l'excitation était à son comble. La première journée se déroula à travers les montagnes du
Hoggar où la végétation n'avait pas le droit de cité. C'est dans un monde minéral que les deux motards
roulèrent des heures durant, impressionnés par la beauté des lieux. La piste était caillouteuse et
cassante et c'est à petite vitesse qu'ils traversèrent cette région.


Ils bivouaquèrent à l'abri d'une falaise à l'abri du vent qui s'était installé. Si les journées étaient
tempérées, les nuits étaient glaciales en ce mois de décembre. Malgré le froid, Chris délaissa la tente
et, les yeux grand ouverts, il se noya dans le ciel étoilé enveloppé par le silence du désert.
Ils quittèrent cette zone montagneuse le deuxième jour ; ils roulaient plein est au milieu d'espaces
sans fin, guidés par le GPS de Jurgen. Ils se sentaient gagnés par un état d'euphorie.
Ils étaient comme les cow-boys sur leurs chevaux dans les plaines du far-west ; les motos
soulevaient un nuage de poussière derrière eux. Le ciel était d'un bleu très pur qui contrastait avec la
terre qui les entourait tout en ton de beige. Plus rien n'avait d'importance que ces heures passées à
chevaucher leur moto dans ce décor grandiose.

 


A la mi-journée, ils s'arrêtèrent à l'ombre d'un acacia solitaire pour se restaurer. Après le repas, ils
entamèrent une petite sieste pour récupérer des fatigues de la matinée. Une brise légère caressait leur
visage pendant qu'ils rêvaient à leurs prochaines étapes. Mais, peu à peu, le vent forcit. Chris ouvrit
les yeux et réalisa qu'ils étaient enveloppés par une brume de sable et de poussière balayée par le
vent. La visibilité était devenue très réduite. Les deux compagnons se regardèrent inquiets. Il était
hors de question de rouler dans de telles conditions et ils décidèrent prudemment de se poser ici en
attendant une accalmie. Avec difficulté, ils parvinrent à monter une tente dans laquelle ils
s'engouffrèrent pour se mettre à l'abri de ce vent de sable de plus en plus violent qui leur cinglait le
visage. Pendant des heures, un peu abasourdis, ils attendirent, guettant la moindre amélioration mais
le vent ne faiblissait parfois que pour mieux reprendre des forces et la tente ployait de plus belle. Ils
parlaient peu, gardant en eux la peur qui s'installait. Le cerveau de Chris fonctionnait à plein régime
; il récapitulait la quantité d'eau restante et en déduisait le temps qu'ils pouvaient tenir avec. Il se
sentait soudain infiniment petit et fragile face à cette nature si belle il y a quelques heures et qui les
menaçait maintenant. Leur angoisse monta d'un cran quand l'obscurité s'installa. Ils mangèrent peu
ce soir là et tentèrent en vain de trouver le sommeil.


Après une période faite de silence, la parole s'installa peu à peu entre les deux hommes, comme pour
briser cette angoisse qui les écrasait. Ils se racontèrent mutuellement leur enfance, leur adolescence,
le passage parfois difficile à l'âge adulte, leurs amours, leurs ruptures, le sens qu'ils donnaient à la
vie. Pendant des heures, ils se mirent à nu, sortant des choses enfouies en eux depuis de nombreuses
années. Ils s'isolaient de l'extérieur, ils en oubliaient presque la tempête qui soufflait dehors.
Tard dans la nuit, la conversation s'arrêta. Ils éprouvaient un soulagement après ces confidences. Ils
s'endormirent avec un peu plus de sérénité.


Leur patience fut de nouveau mise à rude épreuve le lendemain ; l'absence de visibilité ne leur permettait
pas de lever le campement. Il n'y avait pas d'autre alternative que d'attendre.
La journée leur parut interminable.

                                                           _______

" Jurgen, réveille toi " chuchota Chris. Son compagnon ouvrit les yeux. Le silence du désert avait repris
possession du lieu. Ils s'extirpèrent de leur sac de couchage et sortirent. La lune et les étoiles
brillaient de mille feux ; ils respirèrent à plein poumons l'air pur et vif de la nuit. Le poids qui les
oppressait s'était évanoui avec le vent. Une immense joie les envahit. Il était 5 heures à la montre de
Chris et, sans se concerter, ils commencèrent à remballer leurs affaires et à charger les motos.
Aux premières lueurs de l'aube, les moteurs s'éveillèrent et les deux motards s'élancèrent l'esprit
léger. Après ces deux nuits, Chris portait un regard différent sur ce désert; il réalisait combien il
avait été présomptueux en imaginant le traverser sans réelle difficulté. Pour la première fois de sa
vie, il avait été confronté à une situation de grand danger. Son sentiment d'impuissance face à cette
tempête lui avait ouvert les yeux et appris l'humilité.


Plus qu'un voyage, cette longue route qu'il avait entamée il y a deux mois ressemblait à une recherche
de soi. Il se découvrait chaque jour un peu plus au travers des épreuves qu'il traversait. Il
commençait à réellement prendre conscience de la signification de ce long voyage dans lequel il
s'était engagé un triste jour d'octobre.

 

 



Chapitre 6

A l'horizon, le beige cédait sa place à une tâche de verdure ; l'oasis de Djanet s'offrait enfin aux deux
motards. Jurgen qui roulait en tête, leva la main vers le ciel en signe de victoire. Chris klaxonna à
plusieurs reprises pour manifester sa joie. Jamais entrée dans une ville ne lui avait procuré un tel
sentiment de bonheur ; il avait envie de dire bonjour à toutes les personnes qui marchaient dans le
rue. La douche prise au camping eut un goût divin, le repas du soir (trois morceaux de mouton noyés
dans une montagne de riz) prit les allures d'un véritable festin.


Une certaine mélancolie s'installa lors de la journée du lendemain ; après le contretemps provoqué
par sa panne mécanique, il était plus que temps pour Jurgen d'entamer sa remontée vers l'Allemagne.
Chris essaya de le convaincre de passer un peu plus de temps dans cette région mais ce fut peine
perdue. Son patron ne lui ferait pas de cadeau s'il arrivait avec du retard. " Je t'envie, tu es libre et il
n'y a que toi pour décider de ton rythme de voyage " lui dit-il.


Un grand vide s'empara de Chris quand Jurgen quitta le camping. A plusieurs reprises, il avait songé
l'accompagner. Ces dix jours passés ensemble avaient été d'une grande intensité et il lui était
douloureux de se séparer de ce compagnon si attachant et de retomber dans la solitude qu'il avait
connue en début de voyage. Il s'était pourtant bien habitué à cette longue route en solitaire, d'autant
qu'elle avait à de nombreuses reprises été entrecoupée de belles rencontres. Malgré cela, il se sentit
soudain bien orphelin dans cette petite ville perdue du sud-est algérien. Il déambula tristement dans
les rues poussiéreuses de Djanet à la recherche d'un peu d'énergie.


En fin de journée, Chris fut attiré par la douce fraîcheur d'un jardin situé à l'écart du centre ville. Il y
régnait une atmosphère apaisante. Son harmonica prit le relais en exprimant son mal être du moment.
Il ne remarqua pas la présence de ce touareg étendu sous un palmier dattier ; ce dernier
l'écouta sans se manifester.
Quand Chris s'arrêta de jouer, il se leva et vint le saluer en lui disant : " J'ai beaucoup aimé ta musique
; elle est mélancolique et triste mais très belle. Je joue moi même d'un instrument de musique
et cela me ferait plaisir de te faire écouter les airs traditionnels du peuple touareg ".


Chris balbutia quelques mots. La présence de cet homme alors qu'il se sentait en panne de moral,
doutant de l'intérêt de ce long périple , l'interpelait. Quel était ce hasard qui mettait cette personne
sur son chemin ? Il était troublé par ces rencontres qui semblaient surgir de nulle part pour lui donner
à chaque fois une énergie nouvelle et lui permettre de poursuivre le cours de son voyage. " Tu
réfléchis trop " se dit-il pour atténuer ce trouble qui l'envahissait " Prends les choses comme elles arrivent
". Il suivit l'homme jusqu'à une maison où ils partagèrent le traditionnel thé. Il laissa vite de
côté ses interrogations ; Siakou, c'était son nom, se montra particulièrement affable et lui inspira une
grande confiance. Ils parlèrent longuement d'un sujet qui les passionnait tous les deux : la musique.
Siakou retournait dans son village dans deux jours et il proposa à Chris de l'accompagner. Ce dernier
accepta avec joie, heureux de partager quelques journées avec ce touareg. Ce peuple le fascinait et
il avait parcouru de nombreux livres le concernant. Son voyage prenait un nouveau départ. Il passa
la journée du lendemain à réviser sa moto, à lui trouver un abri et à acheter de la nourriture.


Le lendemain, le jour se levait alors qu'ils entamaient les premiers pas d'une longue marche
accompagnés par quelques beaux nuages bordés de soleil.

 

 



Chapitre 7

Dans son champ de vision, il y avait le dromadaire et sa démarche chaloupée. La tête recouverte
d'un chèche bleu pour se protéger du soleil et de la sécheresse de l'air, Chris peinait un peu à suivre
le rythme. Il aurait voulu être une libellule mais, il se sentait plutôt éléphant avec son corps qui
s'enfonçait à chaque pas dans le sable du Tassili N'Ajjer. Il enviait Siakou qui marchait en avant et
guidait son chameau. Celui-ci avançait avec une facilité étonnante, sans effort apparent.


Chris était émerveillé par les paysages qu'ils traversaient depuis deux jours. Ils pénétraient dans
d'immenses vallées encadrées par des falaises rocheuses et il avait peu à peu perdu tout point de
repère. Régulièrement, surgissaient d'étonnantes compositions de rochers érodés ; entraîné par son
imagination, il croyait reconnaître un champignon, un chien, la silhouette d'une femme derrière cette
nature aux talents d'artiste qui avait sculpté ces formes incroyables. Il avait le sentiment profond de
fouler le sol d'une nouvelle planète ; cela le plongeait dans un état second. Il finissait par oublier qui
il était, d'où il venait. Son esprit se détachait de tout ce qui avait fait sa vie jusqu'à aujourd'hui ; une
légèreté s'emparait de tout son être dans ce coin de désert perdu.

Siakou parlait peu, sauf lorsqu'il désirait lui faire découvrir certains sites remarquables telles les
nombreuses peintures et gravures rupestres. Au pied d'immenses falaises, ils découvraient de
véritables oeuvres d'art dans ce musée en plein air. Ce qui n'était maintenant qu'un vaste désert avait
abrité de nombreuses populations qui, au travers de ces quelques peintures, avaient laissé un
témoignage de leur vie passée.
C'est avec une profonde émotion que Chris contemplait ces scènes datant de plusieurs milliers
d'années.

                                                               _______


Pas un souffle de vent, le silence était total alors que la nuit avait pris place. Devant eux, la silhouette
d'une fantastique arche de pierre se dessinait dans la douce lumière de l'astre lunaire. Ils
n'étaient plus qu'à quelques heures de marche du campement de Siakou. Alors qu'il venait de se consacrer
au rituel du thé, ce dernier entama un long monologue au cours duquel il raconta sa vie, celle
des touaregs.
" D'ailleurs, ce nom de touareg a été donné à mon peuple lors des conquêtes arabes. Mais, nous
sommes des Imohagh qu'on peut traduire par " être libre ".
Tu sais, comme beaucoup, je travaille en ville maintenant. Je fais visiter notre région aux touristes ;
mais, dès que je peux, je vais rejoindre ma femme dans notre campement. Je suis un nomade et ne
peux pas rester trop longtemps en ville ; il y a trop de tristesse dans ces endroits, je m'y sens comme
un prisonnier. Mon père, mes oncles ont connu les caravanes de sel jusqu'au Niger, pas moi. Et je le
regrette profondément ".


Chris fut touché par ce langage du coeur d'un homme luttant pour ne pas se laisser enfermer dans
une politique de sédentarisation de l'Etat Algérien. Quels que soient les pays, il était décidément mal
vu d'être nomade. Il réalisait que, chez lui, les gitans étaient confrontés aux mêmes problèmes. Il eut
soudain honte de ne jamais s'y être intéressé ; il lui était tellement plus confortable de vivre avec des
oeillères.


Il souhaita une bonne nuit à son compagnon qui s'emmitoufla dans sa couverture. Il y avait
longtemps que les rares morceaux de bois ramassés au cours de la journée avaient fini de brûler ; il
ne restait plus que quelques braises au dessus desquelles il se réchauffait les mains. Il n'avait pas
sommeil ; il s'adossa à la paroi rocheuse, inspira profondément, enfonça ses doigts dans le sable
frais. Il sentait tout son être absorbé par ce coin de désert, il laissa échapper quelques larmes comme
un trop plein de son émotion.

                                                              _______

Imperceptiblement, Siakou accéléra le pas. Son campement était proche et Chris nota quelques
changements dans son attitude. Lui habituellement si calme balayait de plus en plus souvent du regard
les paysages alentours ; soudain, il s'arrêta, tendit le bras. Chris eut beau scruter l'horizon, il ne
vit rien. Son compagnon, lui, avait déjà aperçu, au loin, le léger nuage de poussière soulevé par son
troupeau de chèvres.
Une heure plus tard, ils arrivaient au campement de Siakou, constitué de quelques zéribas, huttes de
roseaux secs, et de tentes. Entre sédentarisation et nomadisme.
Une femme les fit pénétrer dans une des tentes et ils furent invités à boire le thé. C'était l'épouse de
Siakou et Chris fut surpris de leurs retrouvailles ; aucune manifestation de joie après ces longues semaines
de séparation. Mais il crut déceler dans leurs yeux une grande tendresse partagée. Une adorable
petite fille surgit et se précipita dans les bras de Siakou. Plus aucune retenue entre le père et sa
fille. Ils discutèrent un moment en tamacheq, le langage touareg.

 

 



Chapitre 8

L'archet effleura le cordage de l'imzad. La main ridée le fit glisser lentement. Les sons s'éveillèrent,
presque timidement d'abord comme pour ne pas interrompre brutalement le silence environnant,
puis ils devinrent plus présents, s'installèrent pleinement et la vieille femme se mit à chanter.
Chris frissonna de plaisir ;la musique prenait possession du lieu.
Il ne comprenait pas les paroles, mais peu lui importait. Il imaginait des histoires d'amour, des
scènes de vie nomade. Plus tard, ce fut Siakou qui prit le relais avec son oud rythmé par les claquements
des mains des personnes présentes et accompagné par le choeur des femmes.
Longtemps, Chris resta immobile, fermant parfois les yeux pour s'imprégner ce cette musique et, enfin,
sortit son harmonica de sa poche. Comme par magie, les sons se marièrent naturellement. La
complainte de l'harmonica accompagna le rythme lancinant de la musique touareg.
Un véritable enchantement.

                                                             _______

Chris regarda machinalement sa montre .Il suivit pendant un instant l'avancée de l'aiguille des
secondes qui, sans relâche, retournait inexorablement à son point de départ, sur le chiffre 12. La
présence de cet objet autour de son poignée lui parut soudainement incongrue. Il fit signe à Khamo,
un adolescent du campement, qui partait avec son troupeau de chèvres à la recherche de pâturages.
Un large sourire éclaira le visage de ce dernier quand il lui offrit sa montre. La date du 29 janvier y
était indiquée.
La mesure du temps n'avait plus de raison d'être.

                                                              _______

Il s'était éloigné pour rejoindre le sommet d'une dune où était posé un énorme rocher, comme porté
jusqu'ici par la main d'un géant. Il aimait cet endroit d'où il gardait une vue sur ce campement qu'il
avait adopté. Ses amis touaregs respectaient ses moments de solitude.
Il s'assit, laissa son regard se perdre vers l'horizon. Il avait abandonné depuis longtemps ses habits
occidentaux et revêtu la gandora bleue et le chèche noir que lui avait offerts Siakou.


Ses pensées s'entrechoquaient. Hier, Siakou était revenu au campement après s'être absenté pour encadrer
un groupe de touristes. Il n'était pas seul. Mabrouka, sa cousine l'accompagnait.
Durant le repas, Chris qui mangeait avec les hommes n'avait eu de cesse de jeter des coups d'oeil furtifs
en direction de cette jeune femme. Il se sentait hypnotisé par ses yeux noirs d'une profondeur
sans fin. Il n'avait quasiment pas dormi cette nuit là, il n'arrivait pas à détacher son esprit de ce visage.
Il resta immobile sur ce rocher, insensible au soleil aveuglant.


Cet élan amoureux qu'il ressentait le désarmait. Le mur de deux cultures, deux modes de vie si
différents, si éloignés, semblait se dresser soudain devant lui.
Etait-il concevable qu'un petit motard français aille faire une déclaration d'amour à une Targuia ?
Lorsque Chris revint au campement alors que le soleil déclinait lentement, son tourment ne l'avait
pas quitté.
Au petit matin, Siakou partit à la recherche de quelques chameaux disséminés dans le désert. Chris
insista pour l'accompagner. Il avait le sentiment qu'un éloignement provisoire l'aiderait à réfléchir
plus sereinement. Il était désemparé et Siakou lui demanda à plusieurs reprises s'il se sentait bien.
Cette longue marche lui fit du bien. Il forçait l'allure, puisait dans ses réserves physiques comme
pour s'empêcher de trop penser.


En fin de journée, son coeur se mit à battre de plus belle lorsqu'ils arrivèrent en vue du campement.
Au loin, au milieu d'un groupe de femmes, il aperçut Mabrouka. Elle rayonnait dans sa tenue noire,
elle se déplaçait avec une grâce naturelle qui éclipsait toutes celles qui l'entouraient.

                                                              _______

*Il était à Tarbes et arrivait dans la maison parentale. Dans le jardin, toute la famille l'attendait, les
parents, frères et soeur, oncles et tantes, cousins, et même ses amis les plus proches. L'atmosphère
était pesante. Chris alla vers chacun d'eux pour leur dire adieu puis, doucement, s'éloigna en levant
la main aussi haut qu'il pouvait. Ses jambes étaient de plomb.
Au bout de la rue, il y avait une énorme porte en bois usée par le temps ; derrière, le bois disjoint
laissait apparaître un paysage de désert et, assise près d'une tente, une jeune femme au regard profond
. Chris poussa de tout son poids cette porte mais elle ne s'ouvrit que de quelques centimètres.
Plus il s'escrimait dessus et plus celle-ci résistait. Derrière, le campement s'éloignait ; bientôt, il devint
une simple tâche au milieu des dunes et, au final, disparut totalement dans le sable. La porte céda
enfin mais il n'y avait plus qu'un terrain vague jonché de détritus. Désemparé, Chris se retourna. La
rue s'animait, quelques gamins faisaient une partie de billes contre un mur, deux chiens se disputaient
un os, un air d'accordéon s'échappait de la fenêtre d'une vieille bâtisse. Il leva les yeux, écouta
le chant d'un moineau installé sur la branche d'un platane.
Il respira profondément et se dirigea vers la maison de ses parents...... *


Chris se réveilla en sursaut. Le silence de la nuit l'accueillit au sortir de son rêve. Il se leva silencieusement
et alla rejoindre " son " rocher.


Quand l'aube apparut, il rejoignit le campement. Sa décision était prise : il devait partir.

 

 



Chapitre 9

Lorsqu'ils arrivèrent dans la palmeraie de Djanet, Chris eut un temps d'arrêt. Après ce long séjour
dans un campement touareg en plein désert, cette petite ville avait des airs de grande métropole et il
se sentait mal à l'aise au milieu de la foule qui se pressait autour du marché local au milieu des
étalages. Toute cette agitation l'agressait et il regrettait déjà l'atmosphère si paisible qu'il avait connue
des semaines durant.


Quand ils pénétrèrent dans la maison, la phrase de Siakou prononcé quelque temps auparavant " La
maison est le tombeau des vivants " prit toute sa signification. Après avoir vécu auprès de ses amis
touaregs, il comprenait leur attachement à perpétuer ce nomadisme, cette liberté qui en découlait
même si c'était au prix de conditions de vie parfois difficiles.


Dans un coin de la cour intérieure, la vision de sa moto recouverte d'une couche de sable lui redonna
un léger sourire. Depuis son départ du campement en compagnie de Siakou, il avait emmené avec
lui une grande tristesse. Son corps l'éloignait de Mabrouka mais son coeur était avec elle en permanence.
Il récupéra sa monture qui répondit au premier coup de démarreur ; il y vit comme un signe. Il était
temps pour lui de poursuivre cette longue route.


Avant de quitter Siakou, il s'épancha, avouant les sentiments qui l'animaient, la souffrance qui en
découlait, cette certitude qu'un tel amour était impossible. Siakou l'écouta sans l'interrompre. Quand
Chris eut terminé de parler, il lui dit simplement : " Ta décision est bonne car tu as fait le choix de
ton coeur. Bonne route et, à bientôt, Inch Allah ".
Siakou repartait dans son désert en compagnie d'un groupe de touristes. Une grand émotion planait
au dessus des deux hommes quand ils se séparèrent.
Chris rejoignit le camping de Djanet, l'esprit mélancolique. Un grand vide s'était emparé de lui.
Plus d'énergie, plus d'envie.

Il resta sous sa tente toute la journée, étendu sur son duvet. Perdu dans ses pensées, hermétique à
l'animation du camping. Amorphe.
Il y avait comme un refus de retrouver cette vie occidentale qu'il avait oubliée en partageant celle de
ses amis touaregs. Peu à peu, il s'était intégré au groupe, passant du statut d'invité à celui de membre
à part entière de la communauté. Ses amis lui avaient rapidement manifesté leur confiance en le laissant
accomplir certaines tâches quotidiennes.


Il eut une pensée très forte pour ses parents, frères et soeur ; le dernière fois qu'il avait donné de ses
nouvelles, c'était de Tamanrasset, il y avait .. .. il ne savait plus. Une éternité.
Il leur avait dit de ne pas s'inquiéter, qu'il était heureux d'avoir laissé pour quelque temps sa vie
morne et sans saveur, qu'il se nourrissait de rencontres extraordinaires et que cela suffisait à son
bonheur.


Pour l'instant, il se sentait écartelé ; il avait touché du doigt un mode de vie si différent du sien mais
auquel il avait adhéré naturellement. Il s'était rapidement senti comme chez lui, avait peu à peu appris
quelques mots de tamacheq. Depuis, il n'était " ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre " ,
partagé entre ces deux cultures.
Il y avait comme une force intérieure qui le poussait à abandonner sa moto, rejoindre le campement
et y vivre, simplement. En même temps, cette perspective l'effrayait. N'était ce pas l'espoir de retrouver
cette jeune femme, qu'elle s'intéresse à lui, qui l'amenait à envisager cela. Son cerveau bouillonnait,
il était incapable de réfléchir sereinement. A l'aube d'une décision qui pouvait changer sa
vie, une peur immense le tenaillait.


Il suffoquait et sortit précipitamment de la tente.
Il balaya du regard l'enceinte du camping. Trois petites tentes tentaient vainement de remplir
l'espace et, derrière l'une d'entre elles, deux motos étaient stationnées. Sa passion du deux roues fut
la plus forte, il s'en approcha et commença à les détailler. Il s'agissait d'une Honda Transalp et de sa
petite soeur la Dominator avec cette couche de poussière qui caractérise les véhicules circulant dans
ces contrées . Françaises, immatriculées dans le 29.


Des paysages bretons traversèrent l'esprit de Chris ; il aimait cette région qu'il avait visitée à deux
reprises. Elle avait un côté sauvage qui lui rappelait son département, les montagnes en moins.
Il eut soudain très envie de rencontrer les propriétaires de ces deux montures. Il n'eut pas à attendre
longtemps ; alors qu'il préparait le thé, deux personnes entrèrent dans le camping et, l'apercevant, se
dirigèrent vers lui.
Il attrapa deux verres de plus et les invita à boire en sa compagnie. Ils se présentèrent, Colette et
Loïc, arrivés il y a quelques jours et qui se préparaient à remonter vers le nord de l'Algérie après
avoir visité la région.


A leur tour ; ils questionnèrent Chris sur ce qu'il comptait faire.
" Je n'en sais rien " avoua-t-il, sentant soudain le besoin de parler, de mettre des mots sur le désarroi
qui le rongeait. Il raconta longuement son départ brutal de France, ses rencontres, la tempête de
sable, la période de bonheur qu'il avait connue chez ses amis touaregs et, enfin, son incertitude du
moment. Le jeune couple l'écoutait les yeux écarquillés, stupéfait qu'il puisse envisager de s'installer
en plein désert, à mille lieux de la civilisation européenne moderne.


" Je suis heureux de vous avoir rencontrés, j'étais perdu dans ma tête " leur dit Chris.
Quand ils se quittèrent, très tard dans la nuit, Chris s'engouffra dans son duvet, le coeur plus léger. Il
ne savait toujours pas de quoi serait fait son avenir mais il avait la conviction que sa décision devait
arriver naturellement sans avoir besoin de se torturer l'esprit. Ses doutes s'envolèrent dans la nuit
étoilé, il s'endormit en rêvant qu'il chevauchait un magnifique chameau blanc dans un paysages de
dunes à l'infini.

 

 



Chapitre 10

Depuis des heures, les trois motos roulaient sur un plateau de rochers noirs. Chris s'imaginait fouler
le sol lunaire.
Ils étaient partis hier et il lui avait fallu se réhabituer au bruit du moteur. Lui qui le trouvait si feutré
habituellement , se sentait agressé par les trop nombreux décibels dans ces endroits où le silence
était roi. Mais, peu à peu, il avait retrouvé le plaisir de piloter sa Transalp sur cette piste accidentée.
Devant lui, Loïc et Colette ouvraient la route. Il appréciait leur gentillesse, leur simplicité, et l'amour
qu'ils se portaient l'un l'autre faisait chaud au coeur.


Il y a deux jours, alors qu'ils entamaient les préparatifs de départ, Chris s'était approché d'eux et leur
avait dit qu'il serait très heureux de les accompagner. En les voyant charger les motos, une
irrésistible envie de reprendre le cours de son voyage l'avait envahi.

                                                                _______

Une interminable ligne droite longeait les magnifiques dunes de l'Erg Oriental, les trois moteurs ronronnaient,
les voyageurs en pilotage automatique avaient tout loisir de profiter du paysage. Ils
décidèrent de s'éloigner de la route pour bivouaquer. Chris aimait cet instant lorsque, à la fin de la
journée, il fallait se mettre en quête d'un endroit où passer la nuit, partagé entre l'incertitude et
l'espoir de trouver un petit coin de paradis. Derrière ces campements improvisés en pleine nature
sommeillaient souvent des moments d'intense bonheur.


Ce soir là, il ramassa quelques morceaux de bois dans ce désert aride ; il savait maintenant où le
trouver, sous ces petits monticules de sable où traînaient toujours quelques vieilles racines.
Puis, il prépara la taguella, le pain touareg. Il malaxa longuement l'eau et la farine pendant que
Colette et Loïc allumaient le feu. Quand la pâte fut prête, il creusa un bassin, y glissa la galette qu'il
recouvrit de sable et de braises.
" Cela vous changera de vos crêpes bretonnes " dit-il à ses amis qui découvraient, étonnés, ce mode
de cuisson naturel.

Enfin, il y eut le moment privilégié de la préparation du thé. Chris avait adopté avec grand plaisir ce
rituel. Durant les longues minutes que nécessitait cette préparation, son esprit se coupait de tout,
uniquement tourné vers cet acte; les gestes étaient précis et il recherchait même une certaine beauté
dans leur accomplissement .
Il servit le thé dans les petits verres, de très haut pour le plaisir d'assister à la naissance de la mousse
au sommet du verre.


La conversation se poursuivit entre deux gorgées du breuvage brûlant. Loïc et Colette s'étaient
récemment portés acquéreurs d'une petite maison de pierre dans la lande bretonne et ils prévoyaient
déjà de la retaper pour en faire un petit nid douillet où il ferait bon vivre. Ils s'animaient en évoquant
leur projet et Chris crut se reconnaître quelques années en arrière quand il était devenu propriétaire;
que de semaines passées à remettre à neuf son petit appartement! L'énergie qu'il avait déployée lui
paraissait aujourd'hui bien dérisoire ; ce besoin de posséder l'avait complètement abandonné maintenant.

 


 


Chapitre 11

Un rayon de soleil s'infiltra par la fenêtre entrouverte, se déposa sur son visage. Chris ouvrit les
yeux. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser où il se trouvait. Ca lui arrivait souvent d'avoir ces
petits " passages à vide " et il éprouvait toujours un certain plaisir à sentir ce flottement dans sa tête
avant de reconnaître le monde qui l'entourait.


Les cris des mouettes lui rappelèrent que le désert était bien loin.
Alger les avait accueillis , il y a trois jours. Chris avait passé des heures interminables dans les locaux
de la police pour régulariser sa situation ; son visa n'était plus valable depuis longtemps et il
était en situation irrégulière dans ce pays. Heureusement, après être passé de bureau en bureau, il
avait atterri chez le chef de police avec lequel le courant était passé. Il avait simplement raconté à
cet homme combien il était tombé amoureux de l'Algérie, de ses déserts et qu'il en avait oublié le
temps qui passait. L'homme avait rapidement laissé tomber le masque du fonctionnaire de police
sévère et, en 24 heures, lui avait obtenu une extension de son visa !


Aujourd'hui, Colette et Loïc embarquaient sur la bateau qui les ramènerait en Europe. Il les accompagna,
eut un petit pincement au coeur lorsque les deux motos s'engouffrèrent dans la cale du ferry.
Mais, il ne se sentait pas encore prêt à quitter le sol africain. Quelque chose le retenait, comme si au
fond de lui, il sentait qu'il lui restait un bout de chemin à accomplir.


Assis sur un muret, il regarda s'éloigner le bateau. Il le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse à
l'horizon puis se mit à observer la vie du port.
Il s'attarda sur un gamin qui déambulait et tentait de vendre quelques paquets de cigarettes. Les yeux
rieurs, simplement vêtu d'un pantalon de toile déchiré et d'un vieux pull, il arpentait le port avec une
énergie peu commune et parvenait souvent à ses fins en sollicitant les clients potentiels. Difficile de
résister à ce gamin fonceur qui éclipsait tout le monde par sa présence.


Au bout d'un moment, il remarqua Chris et s'approcha de lui.
" Je ne fume pas, c'est beaucoup trop compliqué quand on roule en moto " annonça Chris tout de go
avant même d'être sollicité.
" Tu as une moto ? Où ça ? Tu me la montres ? "
Et il n'eut de cesse alors d'aller voir cette moto. Il le bombarda de questions sur sa monture, sur son
voyage, s'extasia quand il lui raconta son séjour dans le Tassili N'Ajjer.
" Tu en as de la chance, moi, je n'ai jamais quitté Alger mais je rêve de voyager quand je serai plus
grand ".
Puis, il lui parla de sa vie ici, de la mort de ses parents quand il était tout petit, des ventes à la
sauvette qu'il faisait dans les rues pour ramener un peu d'argent dans la maison du cousin qui l'avait
pris en charge. Mais, il ne se plaignait pas, il racontait juste quelle était sa vie actuelle et il gardait
une foi extraordinaire dans l'avenir.
Chris fut touché par ce petit bonhomme et lui donna rendez vous en fin de journée devant son petit
hôtel afin de lui montrer sa Transalp.
En attendant, il marcha au hasard dans la ville, jusqu'à se perdre dans un quartier pauvre sur les
hauteurs d'Alger. Une activité débordante y régnait avec de minuscules ateliers de confection dans
lesquels des machines hors d'âge fonctionnaient à plein régime.


Quand il fut saoul du bruit, de la foule, de la pollution, Chris regagna sa chambre. Il avait hâte de
retrouver ce gamin dont il ne connaissait même pas le nom.

" Je m'appelle Bob et j'ai dix ans "
" Ce n'est pas très arabe comme nom "
L'enfant lui avoua qu'il l'avait choisi après avoir longtemps admiré un poster de Bob Marley dans un
magasin d'alimentation de son quartier ; l'épicier lui avait fait écouter à plusieurs reprises une cassette
de ce chanteur . Ca lui avait évoqué l'évasion, la liberté et il s'était approprié son nom dont il
était très fier.
La Transalp était stationnée dans la cour intérieure de l'hôtel et Bob tourna autour en poussant des
cris d'admiration.
" Qu'elle est belle, qu'elle est belle ! " ne cessait-il de répéter.
" Tu peux monter dessus, si tu veux " lui proposa Chris.
Bob s'installa sur la selle et oublia durant de longues minutes qu'il était à Alger. Accroché au guidon,
il parcourait les routes du monde.

                                                            _______

Ils s'étaient donnés rendez-vous en bas de la rue, à quelques centaines de mètres de la maison de
Bob. Chris était arrivé en avance, comme souvent. Ca ne lui déplaisait pas d'attendre dans ce quartier
populaire ; il lui suffisait d'ouvrir en grand ses yeux, ses oreilles et ses narines pour s'imprégner
de l'ambiance de la rue.


Justement, deux hommes s'apprêtaient à vider une camionnette et la discussion était animée entre
eux, manifestement en désaccord sur la manière de porter les meubles.
Il sourit ; il avait fini par s'habituer au langage parfois excessif utilisé dans les pays arabes. Au
début, cette violence verbale l'avait inquiété mais il avait vite remarqué que ce n'était qu'une façon
d'être, simplement différente de la sienne.


Il se dégagea du mur sur lequel il avait pris appui, s'approcha des deux hommes manifestement en
difficulté et ajouta ses deux mains sous l'armoire en situation de déséquilibre. A trois, tout devint
plus aisé et l'armoire trouva rapidement sa place dans une des pièces de la maison. Bob n'était pas
encore arrivé et Chris embraya naturellement sur le transport des autres meubles. En une demi-heure,
la camionnette fut déchargée. C'est à ce moment là que Bob arriva en courant avec son sourire
habituel au bout des lèvres.
" Qu'est ce que tu fais ? "
" Tu vois, je donne un coup de main "
" Salut, petit, tu vas bien ? " lui lança un des deux hommes.
Apparemment, Bob faisait partie du décor dans le quartier et la conversation s'engagea dans le café
voisin devant quelques verres de thé.


Plus tard, c'est au repas du soir que Chris fut convié en guise de remerciement. Comme souvent en
Algérie, quelques membres de la famille et voisins se rajoutèrent au groupe. Parmi eux, le cousin de
Bob.
Un homme à l'apparence rigide, avec un regard froid. Il n'adressa pas la parole à Chris pendant tout
le repas mais, en fin de soirée, alors que la pièce se vidait, il s'approcha de lui.
" Bob m'a beaucoup parlé de vous. J'étais un peu inquiet au départ car je craignais que vous n'ayez
une mauvaise influence sur lui. Il me disait qu'il quitterait Alger un jour , qu'il partirait sur les
routes, comme vous. Vous savez, depuis la mort de ses parents, j'essaye de l'élever mais j'ai beaucoup
de mal. Je n'ai pas de travail fixe et j'ai des moyens financiers limités. Alors, je le laisse parfois
aller dans la rue pour vendre quelques paquets de cigarettes. Il est très débrouillard et cela m'aide.
D'un autre côté, il n'aime pas l'école.
" C'est dur, parfois " conclut-il après un silence.

" Ne jamais se fier aux apparences " pensa Chris en regardant cet homme qui se débattait avec
l'éducation d'un petit garçon qui n'était pas le sien.


Plus tard, dans la nuit, alors que le sommeil se refusait à lui, il pensa longuement à ce gamin sans
parents, à cet homme essayant d'être un père. Il se souvint de son enfance heureuse, de ses parents
omniprésents dans toutes les étapes importantes jusqu'à son envol en tant qu'adulte.


 


Chapitre 12

Il frappa à la porte en fer. Après quelques secondes, elle s'ouvrit. Saïd ,le cousin de Bob, parut
heureux de le voir. Il le fit entrer dans la petite cour intérieure.
" J'ai une proposition à vous faire " lui annonça Chris.


Les deux hommes entamèrent une longue conversation dont Bob était le fil conducteur. Chris expliqua
l'idée qui lui était venue à l'esprit : emmener Bob en vacances, lui permettre de découvrir son
pays ; il était persuadé qu'une telle expérience lui serait très profitable. Il sentait son interlocuteur
réticent. Alors, il insista, ne lâcha pas prise comme si sa vie en dépendait. En dernier recours, il promit
de tout faire pour pousser Bob à reprendre l'école au retour. Là , il sut qu'il avait marqué un
point car Saïd marqua un temps d'arrêt.
" Vous pensez pouvoir le convaincre ? ".
Il fit une nouvelle pause avant de reprendre : " Ce serait tellement bien pour lui. Comme je vous l'ai
dit, je suis un peu dépassé par les évènements, j'ai du mal à avoir de l'autorité sur lui. J'avais
envisagé il y a quelques mois de l'envoyer chez une tante éloignée qui habite à Timimoun pour
qu'elle s'occupe de lui. Mais il a refusé catégoriquement. Vous comprenez, il a toujours vécu ici ".


Les deux hommes se levèrent. Saïd serra la main de Chris.
" Je vous fais confiance. Vous pourrez partir avec Bob. Je lui annoncerai la nouvelle ce soir ; je
pense qu'il sera fou de joie. Je crois que vous avez raison, ce petit n'est jamais parti en vacances.
Et je voudrais tant que son avenir soit moins sombre que le mien " conclut-il dans un soupir.


Chris descendit vers le port en sifflotant. Une douceur printanière s'était installée dans la ville, les
arbres étaient en fleurs. Il fit un signe de la main à l'épicier du quartier. Il se mit soudain à courir sur
les trottoirs d'Alger, indifférent au regard étonné de certains passants ; il était léger,  rempli de
bonheur. Il riait, s'imaginait déjà sur la route avec Bob à l'arrière de la Transalp.

                                                              _______

Il y eut d'abord le départ au petit matin, de la maison de Saïd. Bob avait très peu dormi et il était
venu réveiller Chris très tôt. Ce dernier s'était amusé de son impatience à prendre la route.
Depuis le jour où son cousin lui avait annoncé la nouvelle, il était devenu une véritable boule de
nerfs. Chris avait réussi à lui dénicher un casque et une paire de gants ainsi qu'un jeans et un
blouson.


Tout doucement, la moto et son équipage descendirent les ruelles de la ville encore endormie ; Bob
tenait à voir le port, son port, une dernière fois ; le soleil du matin avait repeint en tons de rose et de
rouge la baie d'Alger. Chris arrêta le moteur de la Transalp et ils contemplèrent ce spectacle
étonnant.
Puis, ils s'éloignèrent du centre ville, traversèrent la banlieue qui s'éveillait. Enfin, les habitations
étaient devenues plus rares. La route leur appartenait.


Chris conduisait avec une prudence extrême, il se sentait responsable du gamin posé à l'arrière de la
selle. Ce dernier bougeait beaucoup, s'exclamait parfois en faisant de grands signes . Les arrêts se
multipliaient pour permettre à Bob de se reposer et de commenter tout ce qu'il avait vu.
Le premier soir ,ils trouvèrent un endroit isolé dans la nature. Tout était sujet à émerveillement :
l'installation de la tente, l'allumage du feu, le préparation du repas.
Bob s'endormit très vite ce soir là.

Assis en tailleur sur son sac de couchage, Chris le regarda un long moment, hypnotisé par ce petit
bonhomme de dix ans. Il espérait que ce voyage lui apporterait beaucoup au delà du plaisir du moment.
Il méritait tellement mieux que cette jeunesse à arpenter les rues d'Alger pour ramener
quelques dinars à la maison.

                                                             _______

Une muraille de dunes s'élevait à droite de la route. Ils avaient traversé il y a peu de temps El Goléa
et ils découvraient la naissance de l'Erg Occidental qui s'étendait jusqu'à Taghit, quelques centaines
de kilomètres plus loin vers l'ouest. A la vue de ces montagnes de sable, Bob tapota l'épaule de
Chris.
" On grimpe là-haut ? " lui demanda-t-il en lui montra la plus haute dune.


Difficile, devant un tel enthousiasme, de refuser, de lui expliquer que la nuit n'allait pas tarder à
tomber et qu'il fallait se mettre à la recherche d'un coin pour bivouaquer.
Ils gravirent la pente sableuse avec difficulté ; derrière, à perte de vue, il y avait des dunes. Ils
s'étendirent dans le sable encore chaud et assistèrent au coucher de soleil dans ce paysage de toute
beauté. Ensuite, ils attendirent la naissance des étoiles dans le ciel bleu nuit. Bob n'arrêtait pas de
poser des questions sur tout ce qu'ils découvraient et Chris essayait, parfois maladroitement, de lui
transmettre ses connaissances.


C'est un tout nouveau voyage qui s'offrait à lui ; Bob en était le centre et il était surpris d'avoir laissé
aussi facilement son égoïsme de côté pour s'occuper de son jeune compagnon ; les relations avec la
population avaient changé aussi. Les gens étaient étonnés de voir cet enfant sur une moto et plus encore
quand ce dernier s'adressait à eux en arabe.

 


 


Chapitre 13

Timimoun. Chris ressentit une impression étrange alors qu'ils pénétraient dans la ville. Il était déjà
venu ici il y a plusieurs mois alors que son voyage prenait son envol.
Dans son esprit, cela faisait une éternité. Aujourd'hui, il avait l'impression d'achever une boucle.
Timimoun méritait son surnom d'oasis rouge avec ses constructions en briques d'argile séchées au
soleil.


Ils trouvèrent assez rapidement la maison de la tante de Bob. Retrouvailles émouvantes avec cet enfant
qu'elle n'avait pas vu depuis de nombreuses années.
Cela faisait deux semaines qu'ils avaient quitté Alger, qu'ils avaient vécu une relation extraordinaire
faite de complicité, d'échanges , de respect mutuel.
En regardant Bob s'approprier en quelques heures cette maison, jouer et rire avec les enfants du
quartier, chercher régulièrement la présence d'Aïcha, Chris comprit qu'il était à l'aube d'une nouvelle
vie.


Salah, le mari d'Aïcha, avait un petit atelier de menuiserie attenant à la maison. Dans les jours qui
suivirent, Bob y passa beaucoup de temps. Le soir, il décrivait avec passion comment de simples
planches de bois pouvaient devenir de beaux meubles que l'on trouverait plus tard dans les maisons.
Un jour, à la fin du repas, Salah questionna Bob : " Tu aimerais faire ce métier de menuisier plus
tard ? " " Oui, oui, ça me plairait beaucoup " répondit-il avec enthousiasme. S'ensuivit une longue
discussion sur la nécessité d'avoir des connaissances de base et donc de fréquenter les bancs de
l'école.


Chris intervint pour convaincre Bob de se mettre sérieusement aux études. Il parla de son
expérience, de la chance qu'il avait eue de pouvoir étudier, expliqua que ça lui avait permis d'avoir
une liberté dans le choix de son travail plus tard. Bob était à l'écoute des deux adultes qui lui expliquaient
leur position sans le contraindre à adopter leur point de vue.


Tard dans la soirée, il rejoignit Chris qui, assis sur un muret, regardait la nuit s'installer dans les rues
de la ville. " Tu vas bientôt repartir ? " lui demanda-t-il tout en glissant sa petite main dans la sienne.
Emu, Chris lui expliqua qu'il devrait bientôt quitter l'Algérie, que son visa arrivait à terme. Il le
questionna sur ses intentions : revenir à Alger ou rester ici. Il le sentait un peu perdu, ce petit bonhomme
de même pas onze ans, alors il tenta de le rassurer, lui parla de tous les copains qu'il avait
après ces quelques jours passés à Timimoun, de la chance énorme d'avoir Salah qui se proposait de
l'initier au travail du bois et Aïcha qui l'aimait comme son fils.
" Tu sais " conclut-il " Jamais je ne t'oublierai même loin de toi et nous pourrons nous écrire. Et, qui
sait, peut-être que plus tard, tu pourras venir me voir en France. Et je te ferai visiter mon pays si
différent du tien ".


Ils avaient tout dit, le silence s'installa. Chris sentit le corps de Bob s'alourdir peu à peu contre son
épaule. Il s'était endormi comme savent le faire les enfants où qu'ils se trouvent. Il l'attrapa
délicatement et le porta jusqu'à sa chambre.


 

 

Chapitre 14

Les enfants se précipitèrent vers le portail en criant. La journée d'école était finie. Bob était parmi
eux.
Chris l'attendait sur le trottoir. Il venait d'achever la préparation de sa moto pour le départ du lendemain
et il avait ressenti le besoin d'aller à la rencontre de Bob pour profiter de ces dernières heures
avec lui. Il avait le coeur serré mais essaya de n'en rien laisser paraître. Ils s'installèrent à l'ombre
d'un palmier et mangèrent les gâteaux confectionnés par Aïcha .


Bob lui raconta sa journée de classe ; il semblait heureux d'apprendre et son instituteur qui avait
accepté de l'intégrer en cours d'année passait beaucoup de temps avec lui. Il lui était même arrivé de
lui donner quelques cours après la classe. Chris aurait voulu arrêter le temps mais l'obscurité gagnait
la ville. Il sortit son harmonica, comme il le faisait chaque jour depuis leur départ d'Alger. C'était
leur moment à eux au cours duquel il apprenait à Bob les rudiments de l'instrument. Il trouvait
d'ailleurs qu'il progressait vite, comme dans beaucoup de choses qu'il entreprenait. Aujourd'hui, il
lui installa l'harmonica dans les mains en lui disant : " Il est à toi, maintenant ".
Bob regarda l'instrument, leva les yeux vers Chris, silencieux. Il était incapable de dire quoi que ce
soit. Enfin, il bredouilla quelques mots :
" Mais, il t'appartient. Tu m'as dit que tu l'aimais beaucoup " " C'est vrai et c'est pour ça que je te
l'offre. Je compte sur toi pour bien t'en occuper. Quand tu en joueras, j'espère que tu penseras un peu
à moi. Ainsi, nous serons toujours ensemble ".
Il serra Bob dans ses bras en retenant ses larmes.
" Allons-y ! Aïcha a préparé un bon repas pour ce soir. Je ne voudrais pas la faire attendre ".

                                                           _______

Le Tassili était à quai. Chris était venu regarder ce bateau qui repartait pour Marseille demain et
dont le nom évoquait pour lui de si beaux souvenirs et un beau visage ancré dans sa mémoire. La
date du 7 juin était indiquée sur le billet qu'il venait d'acheter.


" Demain, tu rentres au pays " se dit-il à voix haute comme pour s'en convaincre.
Son esprit vagabondait. Il y a quelques jours, alors qu'il remontait sur Alger, il avait fait la rencontre
d'un touareg originaire de la région de Djanet, venu rendre visite à des amis à El Goléa.
Chris lui avait parlé de son long séjour dans le désert du Tassili N'Ajjer.
Il avait encore en tête les paroles de cet homme quand ils s'étaient séparés : " Dans deux semaines,
je rentre chez moi avec quelques chameaux. Si tu le veux, tu pourras te joindre à moi ". Il avait
décliné l'invitation en invoquant son retour prochain en France mais le touareg avait semblé ne pas
l'entendre et lui avait répété qu'il serait heureux de sa présence.

Il plongea son regard vers la grande bleue alors, qu'au même moment, des images d'étendues sablonneuses circulaient dans sa tête. Il ne
vit pas arriver le soir. Son esprit était rempli de sensations vécues tout au long de ces huit mois de
liberté ;il se laissa envahir par cette montagne d'émotions. Il sut qu'il passerait la nuit adossé contre
ce mur à écouter le clapotis de l'eau contre la jetée. Demain, il poursuivrait son chemin. Lequel ? Il
ne le savait pas mais il était étonnamment calme à quelques heures de sa décision. A pas feutrés, un
chat errant s'était approché de lui ; il caressa la boule de poils qui se blottit contre lui en ronronnant.


Demain ....... peut-être.

FIN ( et début).