Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'imagination en voyage (tome 1) - chapitre 5

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Chapitre 5

Tamanrasset. Chris freina, arrêta sa moto près du panneau indiquant l'entrée de la ville. Derrière lui,
2000 kilomètres le séparaient d'Alger ; devant, le Niger. Il répéta le nom à plusieurs reprises comme
pour mieux réaliser qu'il était arrivé dans cette ville dont il avait fait la découverte il y a plusieurs
années dans une de ses lectures. Il avait envie de danser autour de ce panneau usé par le temps. Tout
son corps frissonnait de plaisir. " Merci " dit-il simplement sans savoir à qui il adressait ce remerciement
: à tous les gens de rencontre qui, chacun à leur manière, l'avaient encouragé à poursuivre sa
route, à sa moto qui n'avait connu aucune défaillance, à sa bonne étoile comme il l'appelait qui lui
avait permis de parcourir ces milliers de kilomètres sans encombre.


Il avait encore en tête ces longues journées passées sur les routes et pistes du sud de l'Algérie. Il
s'était peu à peu habitué aux immensités, aux paysages dénudés, à la circulation si rare, aux routes
défoncées, à la sécheresse de l'air. Timimoun, l'Erg Occidental, El Goléa, In Salah , le plateau du
Tadémaït, les gorges d'Arak, tous ces endroits l'avaient profondément marqué. Imperceptiblement, il
était en train de tomber amoureux de ce pays grandiose si attachant ; surtout, les Algériens qu'il
avait croisés avaient tous été d'une extrême gentillesse qui lui avait fait oublier les moments de fatigue,
de doute aussi quand il roulait des heures durant sur ces plateaux infinis. Son voyage prenait
une autre dimension.

Erg occidental


Il en était de ses réflexions quand le bruit si caractéristique du bicylindre à plat d'une BMW parvint
à ses oreilles. Le motard s'approcha de lui, descendit de sa monture et vint lui serrer la main avec vigueur.
Il se présenta : il s'appelait Jurgen, était allemand et poireautait depuis une semaine dans cette
ville perdue suite à un problème d'embrayage sur sa moto. Il venait enfin de la récupérer en état de
fonctionnement. Dix minutes plus tard , ils se retrouvèrent dans un café et les discussions allèrent
bon train ; c'était le premier voyageur que rencontrait Chris en Algérie. La conversation en anglais
se prolongea tard dans la soirée ; Chris se surprit à parler de choses très personnelles avec cet inconnu
qu'il avait le sentiment de toujours avoir connu, comme s'il retrouvait un ami après une longue
séparation. Jurgen était arrivé en Algérie par la Tunisie et envisageait de rejoindre Djanet dans
quelques jours. Ils décidèrent d'un commun accord de rouler ensemble.
La moto de Jurgen était superbement préparée : gros réservoir, suspensions spéciales, bagagerie en
aluminium. A côté, la Transalp détonnait avec son chargement de bric et de broc. Jurgen avait trois
mois pour réaliser son voyage et il fut étonné quand Chris lui annonça qu'il ne savait pas pour combien
de temps il était parti et plus encore quand il apprit qu'il avait quitté sa ville et son travail sur un
coup de tête.


Une complicité s'était spontanément installée entre les deux motards et c'est dans une ambiance
chaleureuse qu'ils préparèrent la prochaine étape, 650 kilomètres de piste. Chris fit l'achat de deux
jerricans pour augmenter son autonomie en essence et il inspecta soigneusement sa moto. Le jour du
départ, l'excitation était à son comble. La première journée se déroula à travers les montagnes du
Hoggar où la végétation n'avait pas le droit de cité. C'est dans un monde minéral que les deux motards
roulèrent des heures durant, impressionnés par la beauté des lieux. La piste était caillouteuse et
cassante et c'est à petite vitesse qu'ils traversèrent cette région.


Ils bivouaquèrent à l'abri d'une falaise à l'abri du vent qui s'était installé. Si les journées étaient
tempérées, les nuits étaient glaciales en ce mois de décembre. Malgré le froid, Chris délaissa la tente
et, les yeux grand ouverts, il se noya dans le ciel étoilé enveloppé par le silence du désert.
Ils quittèrent cette zone montagneuse le deuxième jour ; ils roulaient plein est au milieu d'espaces
sans fin, guidés par le GPS de Jurgen. Ils se sentaient gagnés par un état d'euphorie.
Ils étaient comme les cow-boys sur leurs chevaux dans les plaines du far-west ; les motos
soulevaient un nuage de poussière derrière eux. Le ciel était d'un bleu très pur qui contrastait avec la
terre qui les entourait tout en ton de beige. Plus rien n'avait d'importance que ces heures passées à
chevaucher leur moto dans ce décor grandiose.

 


A la mi-journée, ils s'arrêtèrent à l'ombre d'un acacia solitaire pour se restaurer. Après le repas, ils
entamèrent une petite sieste pour récupérer des fatigues de la matinée. Une brise légère caressait leur
visage pendant qu'ils rêvaient à leurs prochaines étapes. Mais, peu à peu, le vent forcit. Chris ouvrit
les yeux et réalisa qu'ils étaient enveloppés par une brume de sable et de poussière balayée par le
vent. La visibilité était devenue très réduite. Les deux compagnons se regardèrent inquiets. Il était
hors de question de rouler dans de telles conditions et ils décidèrent prudemment de se poser ici en
attendant une accalmie. Avec difficulté, ils parvinrent à monter une tente dans laquelle ils
s'engouffrèrent pour se mettre à l'abri de ce vent de sable de plus en plus violent qui leur cinglait le
visage. Pendant des heures, un peu abasourdis, ils attendirent, guettant la moindre amélioration mais
le vent ne faiblissait parfois que pour mieux reprendre des forces et la tente ployait de plus belle. Ils
parlaient peu, gardant en eux la peur qui s'installait. Le cerveau de Chris fonctionnait à plein régime
; il récapitulait la quantité d'eau restante et en déduisait le temps qu'ils pouvaient tenir avec. Il se
sentait soudain infiniment petit et fragile face à cette nature si belle il y a quelques heures et qui les
menaçait maintenant. Leur angoisse monta d'un cran quand l'obscurité s'installa. Ils mangèrent peu
ce soir là et tentèrent en vain de trouver le sommeil.


Après une période faite de silence, la parole s'installa peu à peu entre les deux hommes, comme pour
briser cette angoisse qui les écrasait. Ils se racontèrent mutuellement leur enfance, leur adolescence,
le passage parfois difficile à l'âge adulte, leurs amours, leurs ruptures, le sens qu'ils donnaient à la
vie. Pendant des heures, ils se mirent à nu, sortant des choses enfouies en eux depuis de nombreuses
années. Ils s'isolaient de l'extérieur, ils en oubliaient presque la tempête qui soufflait dehors.
Tard dans la nuit, la conversation s'arrêta. Ils éprouvaient un soulagement après ces confidences. Ils
s'endormirent avec un peu plus de sérénité.


Leur patience fut de nouveau mise à rude épreuve le lendemain ; l'absence de visibilité ne leur permettait
pas de lever le campement. Il n'y avait pas d'autre alternative que d'attendre.
La journée leur parut interminable.

                                                           _______

" Jurgen, réveille toi " chuchota Chris. Son compagnon ouvrit les yeux. Le silence du désert avait repris
possession du lieu. Ils s'extirpèrent de leur sac de couchage et sortirent. La lune et les étoiles
brillaient de mille feux ; ils respirèrent à plein poumons l'air pur et vif de la nuit. Le poids qui les
oppressait s'était évanoui avec le vent. Une immense joie les envahit. Il était 5 heures à la montre de
Chris et, sans se concerter, ils commencèrent à remballer leurs affaires et à charger les motos.
Aux premières lueurs de l'aube, les moteurs s'éveillèrent et les deux motards s'élancèrent l'esprit
léger. Après ces deux nuits, Chris portait un regard différent sur ce désert; il réalisait combien il
avait été présomptueux en imaginant le traverser sans réelle difficulté. Pour la première fois de sa
vie, il avait été confronté à une situation de grand danger. Son sentiment d'impuissance face à cette
tempête lui avait ouvert les yeux et appris l'humilité.


Plus qu'un voyage, cette longue route qu'il avait entamée il y a deux mois ressemblait à une recherche
de soi. Il se découvrait chaque jour un peu plus au travers des épreuves qu'il traversait. Il
commençait à réellement prendre conscience de la signification de ce long voyage dans lequel il
s'était engagé un triste jour d'octobre.