Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Voyage dans le temps avec la Honda CA 77 Touring Early 305

Quand je l'ai vue pour la première fois sur un des ponts de l'atelier, j'ai eu un coup de coeur pour cette moto. Je ne connaissais pas ce modèle de la gamme Honda mais j'ai tout de suite craqué en voyant cette machine toute simple. Je crois que ce qui m'a attiré fut son côté fonctionnel.

 

 

Quand j'y réfléchis, je réalise que, dans ma vie de motard, j'ai toujours été attiré par des motos atypiques. Je les ai aimées parce que je sentais, derrière leur conception, des machines aptes à m'emmener sur les routes, loin et longtemps. Si j'ai aimé les Honda 125 avant d'en acheter une quelques années plus tard, c'est parce que, derrière le choix unique d'un moteur 4 temps dans cette cylindrée, il y  avait la promesse d'une grande fiabilité et, par voie de conséquence des voyages au long cours en toute tranquillité. Dans les grosses cylindrées, j'ai le souvenir avoir été fasciné par la Honda CX 500 qui semblait vouloir emmener son pilote aussi loin que ses envies le souhaitaient. C'est ainsi que régulièrement, des motos m'ont interpellé. Ce n'étaient pas les plus puissantes ou les plus belles, les mieux équipées ou les plus grosses. Souvent, c'est leur simplicité ou l'intelligence de leur conception qui m'attiraient. Je me souviens notamment de la Yamaha TR1 avec son bicylindre tranquille et sa chaîne à bain d'huile, de la BMW 80 GS, de la Moto Guzzi V 50, de la Suzuki VX 800, pour en citer quelques unes. 

Et c'est ce qui s'est produit, je crois, avec cette Honda arrivée sur le marché américain en 1957. Je la trouvais belle dans sa simplicité, j'aimais ce grand garde-boue avant protecteur, cette fourche à balancier, son large guidon, son carter de chaîne étanche. Elle me donnait envie de prendre la route avec elle, ce qui est un bon signe pour moi. 

Depuis, j'avais pris l'habitude de la voir, parfois, au milieu des Honda neuves de la concession Top Moto et elle me plaisait toujours.

Le dernier déclic eut lieu, il y a quelques mois, quand je suis allé chez Philippe, mon concessionnaire, en vue de réaliser une petite interview. Dans une partie de sa maison, il a aménagé un lieu pour ses motos et nous l'avons visité ensemble. Il y avait de belles motos mais c'est la petite blanche qui m'attira le plus. 

Philippe me la fit connaitre un peu mieux. Lui-aussi avait découvert par hasard cette machine.

 

Il était intarissable à son sujet, ce qui ne fit qu'augmenter mon intérêt pour cette Honda CA 77 Touring Early. Cette moto est arrivée sur le marché en 1956 en 250 cm3 mais une version 305 cm3 est venue rapidement s'ajouter. C'est un modèle important pour Honda car c'est avec cette moto qu'il lança une exportation de masse. Son style très personnel fut inspiré par les temples Shintoïstes, et ce jusqu'aux amortisseurs carrés (!).

Autant dire que je ne me suis pas fait prier quand Philippe me proposa d'essayer sa moto.

Samedi 30 mai 2020. Un soleil radieux m'accompagne entre Pau et Tarbes. J'arrive à la concession. Je suis en train de sortir mon appareil photo de ma sacoche de réservoir quand Philippe arrive souriant au guidon de sa Dream. 

Avant de me laisser partir, il fait un contrôle du niveau d'huile. Depuis sa remise en route, il a parcouru 1000 miles avec. Pour accéder à la jauge, il faut retirer un petit cache. Tout est OK à ce niveau-là. Philippe m'explique que, lorsqu'il a récupéré cette moto, le vendeur lui avait dit que le moteur était bloqué. En fait, c'était le kick qui faisait des siennes et la moto a redémarré telle quelle, sans même avoir à changer les bougies. Depuis, il parcourt de petites distances dans nos montagnes et, à l'écouter, ce n'est que du bonheur. Je ne demande qu'à vérifier par moi-même!

C'est le moment de partir. Pression sur le démarreur électrique. Le moteur se réveille dans un ralenti boiteux, très Harley....c'est bien la première fois que je trouve un rapprochement entre les deux marques. Philippe m'explique que c'est le calage de la distribution à 360° qui en est à l'origine. Je m'installe sur la selle basse et j'ai les pieds bien à plat sur le sol. J'actionne un levier d'embrayage doux et enclenche la vitesse toute aussi douce, c'est bien une Honda.... C'est parti! Je suis vraiment en mode découverte. Je monte rapidement les rapports, le bicylindre fait preuve d'une grande souplesse. J'apprécie le  large guidon relevé qui m'offre une position détendue.  

Premiers virages, la moto s'y inscrit presque trop facilement pour moi, il faut que j'apprenne à la laisser faire sans forcer sur le guidon. Pour le moment, je reste sur un rythme pépère, le temps pour moi de mieux comprendre cette sympathique machine.

Sortie de Barbazan-Debat, je rejoins le village d'Allier et grimpe sur les coteaux par une route étroite et sinueuse. La moto est légère à manier mais je reste sur la réserve dans les virages; Philippe m'a dit que le pneu avant Nitto était d'origine! En fait, cela m'étonne à moitié car j'ai le souvenir que le pneu de la même marque à profil ligné installé sur ma Honda CG 125 de 1980 avait été changé à .... 80 000 kilomètres. Cela confirme ce qui se dit dans le milieu motard. Comme Coca Cola pour sa boisson, le fabricant de pneus japonais avait une recette secrète. Elle consistait à rajouter à la gomme du pneu une petite quantité de béton pour parvenir à cette longévité hors normes.... Résultat garanti, mais pas au niveau de l'adhérence!

Je suis époustouflé par la souplesse incroyable du moteur. Il accepte de reprendre sur le quatrième (et dernier) rapport à 20 miles/heure (soit 32 km/h) dans une douceur incomparable. Le bruit est lui-aussi à la hauteur, complètement différent de celui des motos modernes. 

C'est le même constat lorsque l'on aborde le freinage. J'apprends très vite à coupler les deux freins pour pallier un manque évident à ce niveau. Le frein avant est mou et peu efficace, le frein arrière remonte (un peu), le niveau. Anticipation obligatoire! Cela tombe bien, c'est ma manière de conduire.

Quand j'accélère, je sens le moteur prendre paisiblement ses tours dans son bruit charmeur. Je me retrouve à rouler à 40 miles/heure (64 km/h) dans les courtes lignes droites le sourire aux lèvres. Je comprends un peu mieux le plaisir qu'éprouvent les possesseurs de Harley Davidson que je double ou croise parfois alors qu'ils roulent à allure de tortue.

Je retrouve pour un instant une longue ligne droite jusqu'à Ordizan. Je me cale naturellement à 50 miles/heure (80 km/h). Voilà une moto adaptée aux limitations de vitesses actuelles. 

Montée raide du golf de Bigorre. J'utilise le second et troisième rapport pour grimper. Il n'y a pas de compte-tours mais je sens que ce bicylindre tourne à des régimes bas. 

Sur les revêtements bosselés, je suis un peu secoué, bien sûr, mais plus modérément que ce à quoi je m'attendais. La fourche à balancier joue bien son rôle et les amortisseurs  sont plutôt souples.

Je me dirige maintenant vers le col des Palomières, porte d'entrée de la très belle région des Baronnies.

Je commence à me sentir en phase avec la moto et je rentre plus fort dans les virages. J'ai fini par oublier les 58 ans du pneu. En haut du col, je ne peux résister à l'envie de prendre le chemin qui mène au casque du Lhéris. Moto légère (156 kg à sec) et basse, guidon relevé et moteur souple, voilà de bonnes bases pour permettre de s'engager en tout-chemin. Effectivement, à allure modérée, j'ai l'impression de pouvoir passer partout et je rejoins ainsi mes copines les vaches sur ce terrain que j'ai souvent fréquenté avec mon VTT. 

 

 

 

Quelques photos plus tard, je redescends le chemin.

 

 

Puis, je m'engage sur la route de Banios. Cette moto est faite pour ce type d'itinéraire sinueux. Au fil des kilomètres, mon degré de confiance grandit. Mon regard se pose sur la commande de frein de direction, le petit compteur encastré dans le bloc optique et la clef de contact enfoncée sur le côté gauche.

 

Je me surprends à augmenter (raisonnablement) le rythme en enchaînant les successions de virages qui s'offrent à moi. Je lui trouve un côté trail, à cette moto, avec son grand guidon que j'utilise pour l'inscrire sur l'angle d'une petite impulsion du poignet, avec ce train avant agile, avec cet imposant garde-boue relevé. 

Je me régale du bruit envoûtant du bicylindre. Les montées en régime tranquilles font ressortir une certaine "inertie" mécanique. Je ne sais pas si c'est le bon terme pour définir mon ressenti de pièces mécaniques imposantes à l'intérieur du moteur générant ce caractère placide. Il me rappelle celui que possédait la Moto Guzzi 850 California qu'un ami m'avait prêtée en 1982. Personnellement, j'aime beaucoup cette impression de force tranquille qui correspond tout à fait à ce que j'imaginais d'un moteur de l'ancienne génération.

Alors que je longe un bois où le soleil pénètre avec difficulté, j'y vois un bel endroit pour une photo et je fais demi-tour. C'est l'occasion de noter un excellent rayon de braquage, d'autant plus rassurant qu'il est assisté par une hauteur de selle réduite.

 

Je poursuis ma route. Je suis content que cet essai dure plusieurs heures car je suis passé du stade de la découverte à celui d'une certaine complicité avec une moto dont j'ai compris le mode de fonctionnement.  Ponctuellement, je passe la vitesse avec la partie arrière du sélecteur double branche, juste pour le plaisir car cela s'avère moins rapide.

J'ai appris à composer avec le point mort que j'avais du mal à trouver. Dorénavant, je le passe avant l'arrêt d'une petite impulsion sur le sélecteur alors que je suis sur le second rapport.

Je termine mon très beau parcours en privilégiant les petites routes désertes.

Avant de ramener la moto à la concession, je m'arrête à la station d'essence. En partant, j'avais fait le plein. Ce n'est pas parce que c'est une vieille moto qu'elle va échapper au contrôle de la consommation! Le compteur indique 70 miles depuis mon départ (soit 112 kilomètres). Je rajoute 2,91 litres soit une consommation moyenne de 2,6 litres. Je n'ai pas roulé très vite mais je ne m'attendais pas à un chiffre aussi bas.

Je reprends la route de Pau. Sébastien vient de me dire de faire gaffe au moment de freiner pour ne pas piler. Il avait vu juste, c'est ce qui m'arrive. Après plus de quatre heures au guidon de cet ancêtre, mes doigts ont intégré la mollesse du levier de frein et je me fais surprendre en empoignant celui de ma moto qui plonge brutalement. De même, j'ai l'impression d'avoir un "camion" à manier dans les premiers virages.

Pas facile de franchir 58 années en quelques minutes!

 

 

 

 

 

PS: on peut également trouver des pièces pour ce modèle.